Les figures ressemblent à celles de lascension,
dans leurs regards, leurs mains, leurs liens entre elles. À
nouveau, les disciples sont réunis tous ensemble et Marie est
là. Mais ils sont rendus à une nouvelle étape,
celle promise à lascension.. Une force nouvelle vient
les habiter, du dedans : « Tous furent alors remplis
de lEsprit Saint. » Un même mystère,
une même présence poursuit son oeuvre, depuis lannonciation.
Mais maintenant, nous sommes à un tournant. Le temps est venu
du don plus intime, qui rend capable de communiquer la bonne nouvelle
à lunivers entier : « Tous se mirent
à parler en dautres langues. »
Cet univers est vaste.
Luc évoque cette diversité des cultures dans sa longue
liste des gens présents et stupéfaits, des Parthes jusquaux
Arabes : chacun entend les disciples parler dans sa langue
maternelle. Cet univers est encore plus diversifié aujourdhui.
Tant de peuples y vivent, que nous côtoyons parfois lors d'un
voyage ou que nous rencontrons dans nos milieux. Et pour la première
fois de l'histoire, nous formons maintenant une Église vraiment
universelle, avec des croyants de tant de nations, cultures et langues
différentes. Le défi est de communiquer entre nous et
avec tant d'autres, mais aussi de communiquer une bonne nouvelle qui
puisse vraiment être entendue et saisie, pour pouvoir être
reçue, écartée, ou laissée en suspens.
Défi de transmettre aux générations et aux cultures
autres que la nôtre ce qui nous fait vivre, de donner corps
et parole à lévangile, comme les autres époques
lont fait avant nous, de le faire avec nos mots usés
et neufs, nos mots fragiles et vifs, ceux du quotidien et ceux des
grandes occasions.
Le récit de la
pentecôte témoigne d'un moment de grâce, quand
cette communication se réalise et que les convictions partagées
sont entendues dans la langue de l'autre, dans son univers propre.
Il y a là quelque chose d'unique qui porte la marque du temps
des fondations, avec son élan, son enthousiasme. Cette communication
réussie est liée à un don, venant du ciel, c'est-à-dire
du Dieu vivant. Elle est située aussi dans un contexte précis,
celui d'une assemblée qui a reconnu déjà le ressuscité
et se recueille, mais dont la foi naissante est encore timide. L'événement
unique, miraculeux, de cette pentecôte n'est pas seulement que
des langues, comme de feu, se posent sur chacun, avec ce qu'elles
donnent de capacité de langage, de courage d'aller vers les
autres et d'audace de parler. L'expérience de l'Esprit est
autant laudition, la capacité de réception dans
sa propre langue, son propre univers. La communication a lieu, la
rencontre advient, des deux côtés.
La parole qui unit les
disciples et les auditeurs n'est pas un discours moral, une information
factuelle ou une prédiction de catastrophes, mais l'annonce
des merveilles de Dieu, une proclamation joyeuse qui étonne
et réjouit, qui ouvre des temps nouveaux pour que circule une
espérance et naisse une communauté. Elle rassemble des
univers variés, elle brise des frontières, elle inaugure
une universalité. Lenjeu de fraternité qu'elle
porte est plus vaste que les étroitesses et les clôtures
qui essaient de la limiter. Elle déjoue Babel et sa tour d'incompréhension,
ses tours d'ivoire, pour poser un signe d'encouragement sur la place,
là où les gens se promènent et se retrouvent,
dans l'espace commun de leur humanité.
En ce temps de mondialisation,
quelle parole pourra nous rapprocher, sans éliminer nos différences
ou sans simplement juxtaposer nos intérêts? Ne restera-t-il
que l'échange des biens sur le marché et la consommation
de l'identique, décidés dans les tours, pour qu'une
communication advienne? Les malheurs peuvent nous rapprocher, un temps,
mais plus encore les solidarités face à ces malheurs
et le travail commun de construire, au fil des jours, une espérance
ferme. Et le défi dexprimer et de célébrer
les merveilles de Dieu par tous les langages humains, dans la fidélité
aux origines joyeuses.
Daniel Cadrin, OP