Deux personnages, deux visages qui sont proches, se
touchant, mais leur regard est tourné, comme dans lannonciation,
vers un mystère qui les dépasse et qui les inclut, mystère
des naissances, de la vie nouvelle incertaine mais promise. Avec une
certaine perplexité devant ce qui advient, ce sentiment dêtre
surpris par la visite du Dieu vivant, dêtre ébahi
devant ce qui commence et sannonce.
Mystère de la visitation,
celui dune double rencontre : celle de deux femmes, Marie
et Élisabeth, et celle de deux vies à venir, Jésus
et Jean Baptiste, car ces deux femmes sont enceintes. Rencontre des
entrailles, porteuses de vie, et rencontre de deux enfants, promesses
de vie. Ainsi advient une rencontre des deux alliances : lancienne,
dont Élisabeth et Jean Baptiste sont les témoins ultimes,
et la nouvelle, commençant avec Marie et Jésus, accomplissant
lancienne. Jeunesse et vieillesse sunissant dans cette
rencontre pour que lhistoire de la visite de Dieu se poursuive.
Ce récit commence
sur la route, par un voyage : Marie se déplace du nord
au sud et en hâte. Son oui la mise en marche, vivement.
Elle se met en route pour aller vers une autre, porteuse de vie, pour
lui être présente, la soutenir; et à la fin, elle
va reprendre la route. La rencontre de laînée et
de la jeune femme a lieu dans la maison, celle de lhospitalité
et de la bénédiction. LEsprit est présent
en cette visite, comme à lannonciation. Cette fois-ci,
cest Élisabeth qui en est remplie, comme les prophètes
de l'alliance, Élisabeth qui parle avec force pour rendre grâce.
Elle annonce la présence du Seigneur dans les entrailles de
Marie, comme plus tard Jean Baptiste, son fils, lui aussi prophète,
annoncera le Messie qui vient. La mère, par sa propre vocation
prophétique, inaugure déjà celle de son fils,
qui tressaille en son sein.
Marie, par son chant,
le Magnificat, exalte le Seigneur à son tour. Elle exprime
sa joie dabord pour des motifs personnels, puis elle élargit
sa prière à tout le peuple et rend grâce pour
la bonté de Dieu de génération en génération,
avec une attention particulière aux humbles, aux affamés,
aux pauvres. Marie, femme des béatitudes dans le Magnificat,
et Élisabeth qui proclame une béatitude : « Bienheureuse,
celle qui a cru en laccomplissement. »
Élisabeth et Marie
ressemblent à dautres femmes des Écritures, ainsi
à Sarah qui tint pour fidèle lauteur de la
promesse (He 11, 11). Sarah, Élisabeth, Marie, trois
femmes qui ont en commun dêtre fécondes, porteuses
de vie, là où lon croyait que la vie nétait
pas possible. Trois femmes qui annoncent, dans leur être même,
le Dieu de limpossible. La visitation est récit de lespérance:
quest-ce qui soutient mieux lespérance quune
vie nouvelle à venir? Sarah, Élisabeth, Marie, trois
femmes qui font mémoire de la bonté de Dieu, dans la
suite des temps, du passé jusquà lavenir.
De génération en génération, dit
Marie. Cette expression évoque le sens dune transmission
de la vie, dune histoire qui se poursuit jusquà
aujourdhui et dans laquelle nous sommes inclus.
Comment le présent
peut-il être porteur davenir? Aujourdhui, nous sommes
facilement enfermés dans une vie présente immédiate
et dans lisolement du chacun pour soi. Ce déplacement
de Marie, cette rencontre de deux femmes de lalliance et en
alliance, nous invitent à élargir notre regard, à
louvrir vers la vie à venir. En témoignant de
la bonté de Dieu au cours des âges, en transmettant ce
goût de lavenir pour que dautres, après nous,
soient habités par ce goût et rayonnent cette bonté.
Ainsi se bâtit une lignée, depuis la promesse à
Abraham et Sarah jusquà celle qui nous est chantée
en chacune de nos visitations. Vers qui nous hâter pour lui
rendre visite? Ou quelle visite sapproche de nous pour laquelle
bénir Dieu? Visites porteuses de vie nouvelle.
Daniel Cadrin, OP