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chronique du 4 septembre 2015

 

Beer Sheva, la cité des patriarches

Ce panneau à l'entrée du tell montre une reconstitution de la ville antique avec ses murailles.

Ce panneau à l'entrée du tell montre une reconstitution de la ville antique avec ses murailles.
(photos © Rosario Pierri)


Beer Sheva est située à 81 km de Jérusalem, au bout d’une route située sur une chaîne de montagnes et qui traverse Bethléem et Hébron. Elle se trouve sur un plateau situé à 240 mètres au-dessus du niveau de la mer. Beer Sheva est le centre stratégique du Néguev, à mi-chemin entre la Méditerranée et la mer Morte. Depuis toujours, elle est le point de rencontre des voies communications qui, depuis la Judée, se prolongent vers le Sinaï, vers la mer Rouge, et vers l’Égypte.

     L’Ancien Testament situe la tradition des Patriarches dans le désert du Néguev, précisément aux alentours de Beer Sheva. Abraham parcourt alors toute la terre promise, de Sichem à Béthel jusqu’au Néguev, où il planta ses tentes (Gn 12,9). La fondation de Beer Sheva est liée à l’alliance scellée entre Abraham et Abimélek, roi Philistin (Gn 21,22-23). Abraham envoie Agar, la servante de sa femme Sara, et Ismaël, son fils, dans le désert de Beer Sheva (Gn 21,14) : Ismaël sera sauvé et deviendra le père de 12 tribus (Gn 25,12-18). Dans Gn 26,23-33, Isaac vit également entre Beer Sheva et Gérar. C’est dans cette région qu’il conclut une alliance avec les Philistins. C’est aussi depuis Beer Sheva que commence le voyage de Jacob et de ses fils, appelés par Joseph en Égypte, pour fuir la famine qui a frappé le pays de Canaan (Gn 46,1-5). Dans certains passages, la cité est considérée comme la frontière sud du royaume de David (de Dan jusqu’à Beer Sheva).

     À 40 km au sud de Beer Sheva se trouve la cité nabatéenne et byzantine de Shivta. Elle est la ville la mieux conservée et la mieux étudiée de tout le Néguev. Ses églises et ses quartiers urbains offrent un exemple précis de ce que pouvait être la vie quotidienne dans la période nabatéenne (à partir du Ier siècle avant J.-C.) et byzantine (jusqu’au VIIe siècle après J.-C.).

Panorama du torrent de Beer Sheva.

Panorama du torrent de Beer Sheva.

Tell es-Saba, l’ancienne Beer Sheva

     À quelques kilomètres au nord de la ville moderne se trouve Tell es-Saba, sur la rive nord du torrent de Beer Sheva. En plus de ruines d’époques romaines et byzantines, qui sont étendues sur 7 km au sud de Tell es-Saba, où la ville moderne ne cesse de se développer, la cité offre également de nombreux témoignages de l’époque biblique.

     Les fouilles de Tell es-Saba ont mis à jour les témoignages de la première occupation du site, datant du Ve millénaire avant J.-C. Il s’agit d’une culture chalcolithique, caractérisée par des tunnels utilisés comme des habitations, où les hommes développaient leurs activités autour d’une culture matérielle très raffinée. Le cuivre, l’ivoire et l’argile y étaient travaillés : en témoignent les outils et les objets précieux retrouvés en abondance. Entre autres, des statuettes féminines ciselées dans de l’ivoire et dans des os, signe attestant d’un culte de la maternité. L’argile a été retrouvée dans le modelage d’amulettes et de barattes, instrument servant à battre le beurre. Une société d’artisans qualifiés qui pratiquaient le commerce. Les deux formes de subsistance principales étaient le gardiennage de chèvres, de moutons, et de petits ovins, ainsi que la culture de céréales, principalement d’orge et de blé. Les premières habitations étaient sous-terraines, construites selon un plan triangulaire et dotées d’une petite abside. Progressivement, dans une seconde période, les maisons ont été construites à la surface, sur une base de pierres et de briques. La culture chalcolithique a mystérieusement disparu à la fin du IVe millénaire avant J.-C. pour des raisons encore inconnues.

     La période d’abandon du site a duré jusqu’en 1200 avant J.-C., date vers laquelle les premiers noyaux de la tribu de Juda se sont installés sur la colline de Tell es-Saba. L’installation simple que prend la forme du camp de nomades est typique de la première phase de l’établissement d’Israël en Canaan, dans les sites du Néguev, comme à Tel Masos, Tel Esdar, Tel Ira etc. Des habitations de quatre pièces ont été retrouvées, ainsi que des silos creusés dans le sol. Aucun lieu de culte n’a été mis à jour. Le site est dépourvu de murs défensifs, mais les habitations étaient réunies selon un plan circulaire de manière à former la défense du village.

Le puits près de la porte de la ville.

Le puits près de la porte de la ville.

Tell es-Saba, la ville israélite

     Sur le site de Tell es-Saba, l’archéologue Y. Aharoni a identifié neuf strates couvrant la période du Xe au VIe siècle avant J.-C. À partir d’environ 1000 ans avant J.-C., la ville s’est développée sur un espace comprenant tout le sommet de la colline. Le centre de la ville se présente donc comme un cercle allongé. Les ruelles forment des cercles concentriques, et les maisons et bâtiments publics sont disposés de chaque côté des rues. Ces maisons, établies sur des fondations de pierre, ont été construites en briques semi-cuites. La reconstitution des quartiers urbains montre la fonctionnalité des habitations, équipées de citernes et de silos pour la nourriture.

     Un puits a été creusé près de la porte de la ville, à l’extérieur, ce qui a permis à Beer Sheva de survivre à travers les siècles. Mais au nord de la ville se trouve aussi le sinnor, un puits interne qui, au moyen d’une petite rampe, permet de puiser l’eau à la source. Un tunnel long d’une dizaine de mètres environ, creusé dans une roche très tendre, conduit aux sources alimentées par le torrent de Beer Sheva. Certains réservoirs ont été directement creusés le long du corridor afin d’augmenter les capacités de réserve d’eau.

     La porte monumentale est insérée dans le côté est du mur de défense. Elle est formée de la rampe extérieure, protégée par deux tours, et de la porte à tenailles intérieure. L’ancien pavage de la route d’accès, qui dans sa largeur offre beaucoup d’espace, a été en partie conservé. Sur le côté ouest de la place sont situés les dépôts publics, où ont été retrouvés des pièces d’un autel réutilisé durant les dernières heures de la ville (VIIe siècle avant J.-C.). Il s’agit de la corne d’un grand autel sacrificiel et des pierres de la structure sacrée qui se trouvait dans le sanctuaire de la ville. Celui-ci n’a pas été identifié. Les dimensions de ces pièces nous permettent de reconstituer l’autel des sacrifices : 1,50 m de hauteur, et 2,60 m de largeur. Le sanctuaire de Beer Sheva, mentionné en Am 3,14, semble avoir été éliminé sous la réforme d’Ézéchias, au cours du VIIIe siècle avant J.-C. (2 R 18,4-22).

Reconstitution de l'autel à corne.

Reconstitution de l'autel à corne.

     Durant la période postexilique, Beer Sheva a été refondée en au moins trois étapes. 40 ostraca en langue araméenne sur lesquels ont été déchiffrés des noms israélites, édomites et arabes, ont été retrouvés et datés de la période perse (Ve siècle avant J.-C.). À l’époque hellénistique (IIIe siècle avant J.-C.), la colline était occupée par une grande forteresse militaire, plus tard reconstruite pour accueillir les légions romaines de Limes Palestinae (IIe-IIIe siècle avant J.-C.). À l’époque arabe, le fort militaire fut réutilisé comme caravansérail pour les nomades qui traversaient le Néguev.

Shivta, la ville des trois églises

     La ville de Shivta est située à 47 km au sud-ouest de Beer Sheva. Elle s’étend sur une surface de 330 m sur 430 m. La longue ligne continue que forment les églises et les maisons plus à l’extérieur, constitue un puissant mur de protection; c’est pourquoi aucune fortification n’entoure la ville. Sa fondation remonte au milieu de la période nabatéenne (30-70 après J.-C.). Dans le papyrus n°49 de Nizzana, la ville de Shivta n’est pas mentionnée dans la liste des taxes militaires imposées sous Dioclétien pour la restructuration des provinces orientales (IIIe siècle), ce qui suggère que Shivta ne disposait pas de défense militaire, à la différence de Nizzana ou d’Avdat.

     L’exploration de Shivta a été lancée en 1870 et s’est poursuivie sans interruption jusqu’à aujourd’hui, avec les travaux du Département israélien des Antiquités qui souhaiterait étendre les fouilles à l’ensemble de la zone urbaine. La découverte accidentelle d’inscriptions funéraires avait attiré l’attention des chercheurs qui avaient déjà récupéré un ensemble discret d’inscriptions monumentales et funéraires, en grec et en arabe. Les inscriptions ont été publiées par A. Jaussen-M.- R. Savignac (1905), A. Alt (1921) et A. Negev (1981).

Porte décorée de l'église du sud de Shivta.

Porte décorée de l'église du sud de Shivta.

     Pour plus de commodité, les trois églises de Shivta sont nommées par leur position : l’église du sud, l’église du centre et l’église du nord. Il semble qu’elles aient été construites sur des édifices antérieurs, dont le plan n’est pas toujours régulier. L’église du nord est la plus intéressante car elle est la plus ancienne, mais aussi parce qu’elle est rattachée à un monastère. L’église du centre de la ville a été redécouverte par A. Segal au cours de fouilles effectuées en 1985.

     D’après A. Negev, l’église du sud a été construite sur un plan mono absidal, dans la seconde moitié du IVe siècle. Une grande citerne publique a été retrouvée dans l’atrium, en face de l’église; celle-ci semble avoir influencé le plan de l’église elle-même. Au cours du VIe siècle, les deux sacristies de service (pastoforia en grec), situées de chaque côté de l’abside centrale, sont devenues les absides des deux nefs latérales ajoutées au cours de travaux d’agrandissement. On peut lire sur une inscription tardive retrouvée dans l’église : « Au temps du très saint évêque Georges et de l’archidiacre et trésorier Pierre a été achevé le pavement de pierres, le premier jour du mois d’Audinaios, en l’année de l’Indiction 14, an 534 », ce qui signifie 17 décembre 639 après J.-C.

Le baptistère de l'église du sud avec sa cuvette en forme de croix.

Le baptistère de l'église du sud avec sa cuvette en forme de croix.

     Le plan, presque carré (14 x 19 m), comprend un narthex qui n’est pas aligné sur la nef de la basilique. Un graffiti trouvé sur le mur d’entrée rapporte que cette église a été dédiée au protomartyr saint Etienne. La scène de la Transfiguration avait été peinte sur le bassin de l’abside centrale, mais on ne la voit presque plus aujourd’hui. Le baptistère de l’église est situé dans un espace doté d’une petite abside, construite au nord du narthex. Le font baptismal, en forme de croix, est un monolithe inséré dans une abside. Au cours de la période arabe, une petite mosquée a été construite contre le baptistère sur le côté nord. Les salles situées au nord de l’église pourraient être les vestiges d’un monastère dédié au service de l’église, ou bien ceux de la maison du prêtre et de sa famille.

L'église du nord de Shivta

L'église du nord.

     L’église du nord (12 x 19 m), qui semble avoir été construite au IVe siècle, fait partie d’un complexe ecclésiastique très développé. Il comprend l’église principale, une chapelle secondaire, la chapelle baptismale, une chapelle mortuaire, un monastère. D’autres espaces sont également toujours visibles, parmi lesquels la cour, le réfectoire, les chambres des moines et les escaliers pour accéder à l’étage supérieur. Une inscription funéraire fait mémoire d’un défunt très estimé : « (Il avait) la foi comme Abraham, (de la joie) comme Isaac, de l’espoir comme Jacob, de l’humilité comme Moïse, de la gloire comme David, de la sagesse comme Salomon, de la persévérance comme Job. » Malheureusement, la première partie du texte a été perdue, c’est pourquoi le nom de ce saint reste inconnu.

     Dans le baptistère, une épitaphe mentionne le trois fois béni Arsenio, d’Abraamios, moine et prêtre, décédé le 4 janvier 630. Au départ, l’église avait été construite sur un plan monoabsidal, mais au cours du VIe siècle, tout comme dans l’église du sud, deux absides latérales ont été ajoutées. Une inscription datée de 505 après J.-C. ait référence à la rénovation de l’abside : « Avec l’aide de Dieu, ce travail a été accompli au temps du très illustre prieur, au temps de Flavio Giovanni di Stefano, le vicaire; dans la troisièmee année de l’Indiction 9, le 13e jour du mois d’Hiperberetaios, en l’an 400. » Une seconde inscription complète l’historique des travaux achevés en 517 : « Ce travail a été accompli au temps du très saint évêque Thomas, par Jean, prêtre; et le très illustre Jean, vicaire, au mois de Desio, en l’année de la 10e Indiction. »

     Le grand atrium était entouré de galeries et de nombreuses pièces sur ses trois côtés. Dans cet atrium, on pouvait lire l’épitaphe de l’abbé Themos, mort le 1er avril 644.

L'église du centre de Shivta

L'église du centre.

     La petite église (14 x 17 m) dite « centrale » est placée sur le côté nord d’un très grand complexe privé comprenant une tour et plusieurs cours. Une hypothèse affirme qu’il s’agissait du siège du gouverneur de la ville à l’époque byzantine, tandis que pour A. Segal, il devait s’agir du monastère en charge de l’église. Dotée de trois absides, l’église est datée du début du VIe siècle, ce qui en fait donc la plus récente des églises de Shivta. Autrefois, l’abside centrale de l’église était recouverte de peintures, mais les dessins ont pratiquement disparu.

Source : La Terre Sainte 633 (2014) 6-11 (reproduit avec autorisation).

Pietro Kaswalder

Article précédent :
Khan al-Ahmar, le monastère de saint Euthyme le Grand

 

 

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