La reconstruction du temple (Zephirx / Pixabay)

« Nous sommes les seuls vrais et purs » : regard critique sur Esdras 4

Martin BelleroseMartin Bellerose | 17 juin 2024

Il n’y a rien de nouveau dans ce que je dis ici : la Bible n’est pas un tout homogène, il y a une grande diversité en tout, même une diversité de positions qui semblent parfois contradictoires. À mon avis, cela est une bonne chose, car cela empêche ceux qui croient qu’elle est parole de Dieu de la brandir comme un carnet de devoirs moraux desquels on ne peut bifurquer sans risquer une condamnation. Euh… bon, sa diversité de positions n’empêche malheureusement personne de croire qu’il est le seul à avoir la juste interprétation de celle-ci. Et si certains textes bibliques nous servaient de contre-exemple?

Les purs, c’est nous!

Lorsque l’on lit le texte d’Esdras, nous avons parfois l’impression qu’il clame tous azimuts : « les purs, c’est nous! » L’auteur y fait même une déclaration déconcertante : « Le prêtre Esdras se leva et leur dit : « Vous avez été infidèles, et prendre des femmes étrangères n’a fait qu’accroître la culpabilité d’Israël. Maintenant, confessez-vous au Seigneur, le Dieu de vos pères, et faites sa volonté : séparez-vous des gens du pays et des femmes étrangères. » (Esd 10,10-11) Surtout ne vous métissez pas! C’est ce qui cause la perte du peuple d’Israël. Pour Esdras, les vrais juifs sont ceux qui ont été déportés, en fait leurs descendants, qui se sont mariés entre déportés à Babylone, et qui se sont rendus imperméables à toutes influences extérieures. C’est du moins ce qu’il semble prétendre.

Un peu avant dans le texte, au chapitre 4, il est fait mention des descendants des exilés qui sont « revenus » à Jérusalem. En fait, ces exilés sont revenus à Jérusalem pour reconstruire le Temple.

Quand les ennemis de Juda et de Benjamin apprirent que les déportés bâtissaient un temple au Seigneur, le Dieu d’Israël, ils s’approchèrent de Zorobabel et des chefs de famille et leur dirent : « Nous voulons bâtir avec vous ! Comme vous, en effet, nous cherchons Dieu, le vôtre, et nous lui offrons des sacrifices, depuis le temps d’Asarhaddon, roi d’Assyrie, qui nous a fait monter ici. » Mais Zorobabel, Josué et le reste des chefs de famille d’Israël leur dirent : « Nous n’avons pas à bâtir, vous et nous, une Maison à notre Dieu : c’est à nous seuls de bâtir pour le Seigneur, le Dieu d’Israël, comme nous l’a ordonné le roi Cyrus, roi de Perse. » Les gens du pays en arrivèrent pourtant à rendre défaillantes les mains du peuple de Juda et à effrayer les bâtisseurs. Ils payèrent contre eux des conseillers pour faire échouer leur plan, durant tout le temps de Cyrus, roi de Perse, jusqu’au règne de Darius, roi de Perse. (Esd 4,1-5)

Les juifs qui n’avaient pas été déportés s’étaient métissés ; des non-juifs qui ont immigrés à Jérusalem au temps de l’occupation assyrienne avaient adopté le culte au Dieu d’Israël.  Évidemment, leur croyance et leur pratique cultuelle étaient inévitablement influencées par leur culture et religion d’origine. Pas question ici, pour ceux qui reviennent d’exil, de travailler avec les jérusalémites qui vouent un culte au Dieu d’Israël, à rebâtir le temple avec eux. Cela laissera une certaine amertume à ceux qui croient en Yahvé et qui ont vécu pendant des générations à Jérusalem et qui ne font pas partie de ce groupe de descendants d’exilés. Ils seront, bien entendu, peu enclins à embrasser le projet de reconstruction du temple puisqu’ils en sont exclus. Ils vont même empêcher les fils des exilés de mener à bien leur projet de reconstruction du temple. Cette logique n’a pas de fin et est sans issue.

Ressemblances avec aujourd’hui

Cette compréhension de la foi et du salut juste pour « nous autres » n’est clairement pas l’option de la majorité des chrétiens. Même si à certains endroits du globe des chrétiens de toutes dénominations confondues tendent à être farouchement contre l’immigration, cela ne veut pas dire qu’ils ne croient pas en leur possibilités de salut ; mais d’ici le jour de la résurrection, « que les étrangers restent chez eux! »

Jésus a marqué profondément sa différence avec d’autres juifs de son époque sur cette question. Que ce soit par ses propos sur les Samaritains (Lc 9,51-56 ; 10,25-37 ; 17,11-19), avec la femme syro-phénicienne ou cananéenne (Mc 7,24-30 ; Mt 15,21-28), Jésus adopte une ouverture avec les étrangers en général (Mt 25,35), lui-même ayant pris les traits d’un étranger lorsqu’il est apparu aux disciples d’Emmaüs le jour de sa résurrection (Lc 24,18).

La « fermeture nationaliste » dont fait preuve le livre d’Esdras est choquante et est en décalage sans équivoque avec ce que Jésus a prêché dans les passages évoqués plus haut. Posons-nous la question : et si les descendants des exilés avaient reconnu une communion de foi avec les jérusalémites de l’époque et qu’ils avaient construit le temple avec eux? Très certainement, le judaïsme du temps de Jésus aurait été moins exclusiviste et le christianisme n’aurait probablement pas émergé en réponse à la classe dirigeante juive réactionnaire.

Il est intéressant de critiquer Esdras et ses déviations, « nous » qui avons su nous tenir à part de toutes hérésies. Ne sommes-nous pas en train de nous ériger en nouveaux « purs »? Car beaucoup d’Églises, et ce de toutes dénominations confondues, craignent l’invasion d’autres pratiques cultuelles et les déviances des autres cultures. On craint que des chrétiens venus d’ailleurs ne minent la saine doctrine de « notre » Église en brandissant les populaires adages « on a toujours fait ça comme ça, n’essayez pas de changer ça », et « ici c’est comme ça que ça fonctionne, adaptez-vous! »

Ne cessons jamais d’être critiques avec nous-mêmes, car si le livre d’Esdras nous enseigne des positions à ne pas répéter, il faut aussi voir que si l’on décolonise notre regard sur le texte, nous pourrions aussi voir que la foi en Yahvé des descendants assyriens (ceux et celles qui n’ont pas été déportés) pourrait aussi être comprise comme une « appropriation culturelle ». Cela n’est-il pas comme si aujourd’hui un « blanc » Européen disait à un afro-descendant laissez-nous organiser les célébrations du mois de l’afro-descendance ou bien aux premières nations du continent américain, nous vous ferons une place lorsque nous célébrerons la « découverte » de l’Amérique ?

Martin Bellerose est professeur et directeur de l’Institut d'étude et de recherche théologique en interculturalité, migration et mission (IERTIMM) et directeur de la formation en français de l’Église Unie du Canada.

Le furet biblique

Bible et migration

La question des migrations est de plus en plus présente dans les enjeux et débats de société. La présente rubrique cherche à mettre en évidence l’importance de cette thématique dans les différents textes bibliques et souhaite offrir des pistes, à partir des Écritures, afin de réfléchir sur des enjeux contemporains. Nous y explorons la littérature biblique, parfois extrabiblique, et des réceptions anciennes et actuelles de cette littérature.