
Juifs pleurant pendant leur captivité à Babylone. Eduard Bendemann, circa 1832.
Huile sur toile183 x 280 cm. Musée Wallraf-Richartz, Cologne (Wikipédia).
Une lettre d’espérance aux déportés
Martin Bellerose | 20 janvier 2025
En Jérémie 29, le prophète écrit une lettre aux premiers exilés déportés à Babylone par Nabuchodonosor. Il leur adresse un message pour le moins étonnant. Alors, qu’on s’attend à un certain apitoiement sur le sort des exilés, qui pourrait jeter sur eux un sentiment de culpabilité et leur faire regretter la mère patrie laissée derrière eux, son discours est tout autre.
Deux types d’exils
L’exil n’est jamais véritablement volontaire. Même si certaines personnes décident délibérément de quitter le pays qu’ils habitent, c’est pour en fuir la misère, la persécution, l’oppression ou pour simplement rester en vie. D’autres, n’ont pas eu à prendre la difficile décision de partir et tout laisser derrière eux puisqu’on les a physiquement déplacés de manière forcée en les mettant dans des convois, à pied, en train ou en bateau, ou d’autres moyens de transport. Cela a été le cas des exilés d’Israël à Babylone et aussi celui d’Africains envoyés de force en Amérique pour y être « esclavisés » (nous disons esclavisés parce qu’aucun être humain n’est esclave en soi, quelqu’un a nécessairement dû prendre la décision de le mettre en esclavage dans une volonté de le déshumaniser, il n’en devient pas moins un être humain pour autant). Cela a aussi été le cas des Accadiens déportés en Louisiane et de personnes des Premières nations déplacées de force pour occuper des territoires polaires de l’Arctique canadien.
Installez-vous
Un déplacement forcé est terrifiant pour ceux qui le vive. Quand on nous a tout pris, qu’il ne nous reste que notre langue, notre héritage culturel et notre foi, dans le nouvel environnement de vie on sent tout cela menacé. La peur de perdre ce qui nous reste nous envahit, la seule issue possible semble être de retourner d’où on vient et avant le grand retour, vivre en communauté le plus hermétiquement possible afin de ne pas perdre ce qui nous reste. Pourtant, le Seigneur dit autre chose aux exilés d’Israël :
Ainsi parle le Seigneur de l’univers, le Dieu d’Israël, à tous les exilés que j’ai fait déporter de Jérusalem à Babylone : Construisez des maisons et habitez-les, plantez des jardins et mangez-en les fruits […] Soyez soucieux de la prospérité de la ville où je vous ai déportés et intercédez pour elle auprès du Seigneur : sa prospérité est la condition de la vôtre (Jérémie 29,4-57).
D’abord le Seigneur dit : « les exilés que j’ai fait déporter »… Le Dieu d’Israël s’approprie la déportation alors qu’il s’agit d’un coup de force contre lui et son peuple. Le revirement est surprenant. Dieu est ici placé dans sa condition de Dieu des dieux et Dieu unique duquel aucun événement historique échappe. C’est comme s’il disait au peuple d’Israël, « ce n’est pas ce que je souhaitais pour vous, mais puisqu’on y est et que cet événement n’échappe pas à ma souveraineté, profitons-en! »
Le peuple des déportés est invité à s’installer. Ainsi la dynamique sclérotique du désir de conservation bercé par la nostalgie du pays perdue est brisé. En s’appropriant la terre d’exil, le peuple d’Israël devient « autre chose » que leurs compatriotes demeurer en terre d’Israël. Les exilés à Babylone ont rompu avec ce que leurs ancêtres ont été culturellement, politiquement et religieusement.
Cette rupture est la base même de toute révolution culturelle. Les défaites et humiliations du peuple d’Israël ont été attribuées à son infidélité envers son Dieu. Selon les Écritures, Israël avait la fâcheuse tendance d’abandonner son Dieu pour se vouer au culte d’autres divinités, souvent celles des oppresseurs. Il fallait rompre avec cet aspect de la culture hébraïque et cela s’est avéré salutaire.
La promesse
L’invitation à s’installer en terre d’exil n’était pas incompatible avec la promesse de retour, bien au contraire. Une nouvelle culture « juive », bien différente de l’hébraïsme d’après l’exode enraciné dans l’identité abrahamique et mosaïque, a permis à Israël de se renouveler, de s’adapter aux nouvelles conditions du monde. Elle a aussi favorisé la restauration de son projet eschatologique orienté vers le royaume de Dieu « à venir » plutôt que de l’enliser dans la nostalgie d’une gloire perdue, passée et déchue. C’est dans ce ton que le prophète communique les projets de Dieu pour son peuple :
« Ainsi parle le Seigneur : Quand soixante-dix ans seront écoulés pour Babylone, je m’occuperai de vous et j’accomplirai pour vous mes promesses concernant votre retour en ce lieu. Moi, je sais les projets que j’ai formés à votre sujet – oracle du Seigneur –, projets de prospérité et non de malheur : je vais vous donner un avenir et une espérance. (Jérémie 29,10-11)
Martin Bellerose est professeur et directeur de l’Institut d'étude et de recherche théologique en interculturalité, migration et mission (IERTIMM) et directeur de la formation en français de l’Église Unie du Canada.
