(Ia Huh / Unsplash)

Hagar, une mère célibataire migrante

Martin BelleroseMartin Bellerose | 21 avril 2025

Nous voyons cette image quotidiennement, celle d’une mère migrante seule avec son enfant en plein désert social, sans réseau familial, sans revenu, sans papiers ni statut. Seule, affrontant la sécheresse, cherchant qui pourrait lui offrir un coup de main. Sans relation humaine pour s’abreuver, se rafraichir, étant la proie des vautours, les griffes acérées de leurs jugements irréfléchis et apathiques. C’est le visage d’Hagar aujourd’hui.

Le récit

C’est horrible ce que vit Hagar seule dans le désert avec son fils, ils sont en train de mourir de soif, quelle fin tragique. Toutefois, force est d’admettre qu’elle ne fait qu’assumer les conséquences de ses actes. (Je le dis ironiquement, évidemment.)

Il [Abraham] alla vers Hagar qui devint enceinte. Quand elle se vit enceinte, sa maîtresse ne compta plus à ses yeux. Saraï dit à Abram : « Tu es responsable de l’injure qui m’est faite. C’est moi qui ai mis sur ton sein ma servante. Dès qu’elle s’est vue enceinte, je n’ai plus compté à ses yeux. Que le Seigneur décide entre toi et moi ! » Abram répondit à Saraï : « Voici ta servante en ton pouvoir, fais-lui ce qui est bon à tes yeux. » Saraï la maltraita et celle-ci prit la fuite. (Genèse 16,4-6)

Elle n’a fait qu’obéir à sa maitresse certes, mais cette vilaine Hagar (je le dis encore ironiquement) à profiter de l’occasion pour se prendre « pour une autre » et jouer aux arrogantes avec sa maitresse. Le pauvre Abraham dans tout cela (je le dis encore ironiquement) il a, à peu de choses près, été abusé dans cette histoire, non seulement il a obéi à sa femme en allant vers Hagar, mais dans sa grande bonté (je suis toujours dans le registre de l’ironie) il ne s’est pas imposé et a laissé sa femme prendre la décision et il l’a humblement respecté. Bref un bon mari docile (toujours de l’ironie).

Nos réceptions contemporaines sont généralement très soucieuses du rôle d’Abraham dans tout cela prenant bien soin d’expliquer le contexte, qu’il est un homme de son temps et de le blanchir de toute responsabilité. « Que voulez-vous, ce n’est pas de sa faute, dans le fond il n’a fait qu’obéir à sa femme », n’est-ce pas Sara dans le fond la responsable de tout cela? Ella a voulu bien faire, mais elle a voulu tout contrôler, et n’avait pas suffisamment de foi dans le Seigneur (encore et toujours dans l’ironie, bien entendu). C’est bien connu, les femmes ont une tendance « gère-mène », surtout les « féminisses ».

Dans ces derniers paragraphes, je n’ai fait qu’un bref condensé de tout ce que j’entends de part et d’autre à propos du récit dont il est question.

Dépatriarcaliser le récit

Les croyants sont en effet très soucieux de blanchir Abraham de toutes fautes. Et on comprend qu’après tout Sara a commis un impair mais c’était pour donner une descendance à Abraham. N’avait-il pas reçu une promesse de la part du Seigneur?

Tout, tout, tout est toujours centré sur Abraham et c’est là, à mon avis, le problème. L’âge avancée d’Abraham et de Sara était mois un défi pour lui que pour elle. En tout et partout Abraham aura eu huit fils : Ismaël, avec Hagar ; Isaac, avec Sara ; et Zimrân, Yoqshân, Medân, Madiân, Yishbaq et Shouah avec Qetoura (Genèse 25,2). Selon le texte, le propre du peuple d’Israël n’est pas d’être descendant d’Abraham, mais descendant de Sara. Force ici est de constater que beaucoup d’autres peuples sont aussi descendants d’Abraham. La promesse d’une descendance est essentiellement faite à Sara, dans laquelle Abraham est appelé à jouer un certain rôle, indéniablement. « Y a-t-il une chose trop prodigieuse pour le Seigneur? À la date où je reviendrai vers toi, au temps du renouveau, Sara aura un fils. » » (Genèse 18,14).

Les hommes ne sont pas le centre de tout, à essayer de « comprendre Abraham pour l’innocenter » ou à essayer de culpabiliser Sara qui n’avait pas compris que c’était elle qui avait reçu la promesse, normale puisque les femmes ne peuvent pas comprendre Dieu tout puissant, Ève en est un autre bon exemple (je récidive dans l’ironie).

Cessons de chercher à trouver les coupables et les non coupables, car pendant ce temps, au chapitre 16 de la Genèse, il y a une femme laissée à son sort, abandonnée, méprisée et mal traitée. Lorsque l’on se concentre sur la migrante en question, celle qui a dû fuir avec son enfant, on voit agir un Dieu qui pourvoit à cette migrante vivant des conditions de migration extrêmes. Dans les traditions juive et chrétienne, l’ange du Seigneur lui apparait et lui dit : « Retourne vers ta maîtresse et plie-toi à ses ordres. » (Genèse 16,9). On y verra un ordre de se soumettre pour Hagar, mais il y a là, d’abord et avant tout une exigence d’hospitalité et de réparation de la part de Sara, elle y est implicitement exhortée à reprendre Sara « comme avant », en « pardonnant tout ». Plus jamais de châtiments ou de mauvais traitements pour Hagar.

Un peu plus loin il est mentionné : « Hagar invoqua le nom du Seigneur qui lui avait parlé : « Tu es Dieu qui me voit. » Elle avait en effet dit : « Est-ce bien ici que j’ai vu après qu’il m’a vue? » C’est pourquoi on appela le puits : « Le puits de Lahaï qui me voit » ; on le trouve entre Qadesh et Bèred. » (Genèse 16,13-14) C’est le puit qui l’a abreuvé dans le désert, une eau de Dieu qui l’a miraculeusement sauvé.

Dans la tradition musulmane, on parle de cette eau comme l’eau de Zamzam que l’on trouve dans la maison sacrée dans ce qui est aujourd’hui La Mecque.

Ô notre Seigneur, j’ai établi une partie de ma descendance dans une vallée sans agriculture, près de Ta Maison sacrée [la Ka’ba], -Ô notre Seigneur -afin qu’ils accomplissent la Salat. Fais donc que se penchent vers eux les cœurs d’une partie des gens. Et nourris-les de fruits. Peut-être seront-ils reconnaissants ? (Ibrahim Sourate 16,37) [1]

Martin Bellerose est professeur et directeur de l’Institut d'étude et de recherche théologique en interculturalité, migration et mission (IERTIMM) et directeur de la formation en français de l’Église Unie du Canada.

[1] Le texte est disponible sur ce site web.

Le furet biblique

Bible et migration

La question des migrations est de plus en plus présente dans les enjeux et débats de société. La présente rubrique cherche à mettre en évidence l’importance de cette thématique dans les différents textes bibliques et souhaite offrir des pistes, à partir des Écritures, afin de réfléchir sur des enjeux contemporains. Nous y explorons la littérature biblique, parfois extrabiblique, et des réceptions anciennes et actuelles de cette littérature.