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2e dimanche de l'Avent B - 4 décembre 2005
 

Le désert de la peur

La prédication de Jean le Baptiseur Marc 1, 1-8
Autres lectures : Isaïe 40, 1-5.9-11; Ps 84(85); 2 Pierre 3, 8-14


Bien qu'il ait été un militant de l'athéisme, Friedrich Nietzsche a dit au sujet de l'homme du désert quelque chose que l'on peut appliquer à Jean Baptiste : « C'est au désert qu'ont toujours vécu les véridiques, les libres esprits, seigneurs des déserts; dans les villes habitent les sages bien nourris et célèbres - les bêtes de trait ».

     Jean Baptiste, dans sa volonté de convertir les foules, s'est installé au désert. Cela ne manque pas d'étonner car le désert est une solitude dépeuplée. Pourquoi ne l'aurait-il pas fait pour donner à ce geste toute sa valeur pédagogique! Le désert avec son sol aride, ses arbres décharnés, son roc austère, figure bien le péché. C'est l'image du mal dans lequel Jean Baptiste a plongé tout en demeurant innocent.

     On avait gardé un souvenir épeurant de la traversée du désert depuis l'Égypte jusqu'à la Terre Promise. Moïse, enfin parvenu avec le peuple au bord du Jourdain, remémore la frayeur qu'il avait éprouvée au point de départ : Nous entrâmes en ce désert grand et effroyable que vous avez vu sur le chemin de la montagne des Amorites (Deutéronome 1, 19). La rareté de la nourriture, la présence des bêtes sauvages rendaient le désert tout à fait inhospitalier. Aujourd'hui la photo, même si elle nous permet de voir les couleurs splendides du désert, nous fait connaître de plus près ce qui causait la terreur des Israélites. Il n'y a pas âme qui vive sur de longues distances et le solitaire qui s'y trouve paraît comme livré aux démons qui y habitent. L'évangile évoque l'esprit mauvais qui est sorti des possédés : Lorsque l'esprit impur est sorti de l'homme, il erre par des lieux arides en quête de repos et il n'en trouve pas (Matthieu 12, 43).

     Les foules ont intuitionné cet aspect de la chose et c'est pourquoi elles sont accourues. Le grand désert qui sépare Babylone de Jérusalem faisait peur lui aussi. Les exilés du temps d'Ézéchiel redoutaient d'en affronter les dangers et c'est pourquoi les poètes en prédisaient la transformation totale : Que la steppe exulte et fleurisse; comme l'asphodèle, qu'elle se couvre de fleurs (Isaïe 35, 1). Jean Baptiste a été vivre au désert pour réfléchir à la puissance du mal mais aussi à la puissance de Dieu qui est capable de faire toute chose nouvelle. Le pays de la soif allait devenir le pays de la fraîcheur. Les inspirés en avaient eu la vision : Le Seigneur changea le désert en nappe d'eau, une terre sèche en source d'eau; là il fit habiter les affamés et ils fondèrent une ville habitée (Psaume 107, 35-36). La « ville » nouvelle, c'est sans doute celle de tous les chercheurs d'absolu qui ont été attirés par une expérience forte.

Ceux qui cherchent Dieu
     Nombreux étaient ceux qui avaient quitté les villes de Judée pour tenter la vie au désert. Ceux qui habitaient à Qumrân étaient de ceux-là. Ils sont responsables des fameux manuscrits de la mer Morte qui disent beaucoup sur les élites spirituelles d'Israël. Que d'hommes et de femmes désiraient connaître Dieu et pressentaient sa présence au désert. Le paradoxe était donc que c'était le lieu des démons, le séjour d'Azazel (Lévitique 16, 26), mais aussi celui de Dieu venu y remporter une victoire décisive contre l'empire du mal.

     L'armement de la lutte contre les forces des ténèbres comportait pour Jean Baptiste, des habitudes ascétiques. Il portait un vêtement de poil de chameau comme celui d'Élie, il se contentait aussi d'une nourriture frugale : des sauterelles et du miel sauvage.

     Les moines de Qumrân qu'on appelle souvent Esséniens observaient des coutumes de purification religieuse dans des bassins que l'on a retrouvés dans leurs installations. Jean Baptiste, de son côté, avait réduit ce lavage rituel du corps à une seule fois. Une autre différence majeure entre les Esséniens et lui, est que cette immersion dans l'eau créait un lien personnel entre le Baptiseur et ceux qui se soumettaient à ce rite. Ils pouvaient être appelés « disciples de Jean » (Jean 3, 25).

Jésus et Jean Baptiste
     Jésus a sans doute fait partie du groupe des disciples de Jean Baptiste. Une phrase du quatrième Évangile le laisserait clairement entendre : Or les disciples de Jean s'étaient mis à discuter avec un Juif à propos des bains de purification. Ils allèrent donc trouver Jean et lui dirent : « Rabbi, celui qui était avec toi de l'autre côté du Jourdain, celui à qui tu as
rendu témoignage, le voilà qui baptise, et tous vont à lui! »
(Jean 3, 25-26). C'est par humilité que Jésus s'est joint à des pécheurs repentants. Il est cependant intouché par le péché.

     Certains ont vu un lien entre Qohélet (l'Ecclésiaste) et Jean Baptiste. Qohélet, le sage réputé le plus pessimiste de la Bible, se situe dans le temps de l'attente. Le regard qu'il jette sur le monde est dépourvu de toute complaisance. Il passe en revue tout ce qui fait la vie de l'homme et constitue son environnement. Comme le monde de Marc, celui de Qohélet est marqué par la force destructrice du mal. L'existence y est insupportable et l'homme ne peut que la regretter et la maudire : D'autre part, je vois toutes les oppressions qui se pratiquent sous le soleil. Regardez les pleurs des opprimés: ils n'ont pas de consolateur; la force est du côté des oppresseurs; ils n'ont pas de consolateur. Et moi, de féliciter les morts qui sont déjà morts plutôt que les vivants qui sont encore en vie. Et plus heureux que les deux celui qui n'a pas encore été, puisqu'il n'a pas vu l'œuvre mauvaise qui se pratique sous le soleil (Qohélet 4, 1-3). Cependant, et contrairement aux apparences, Qohélet ne se livre en rien à la profession nihiliste de « l'homme sans Dieu »; tout au contraire, il nous livre l'expérience du croyant qui porte devant Dieu la misère et la vanité du monde, et qui les assume.

     Pour Jean, comme pour Qohélet, il ne s'agit donc nullement de condamner le monde, ni les hommes qui l'habitent, mais de les appeler à prendre en compte la dure réalité de la vie et à se « convertir ». Qohélet est dans le temps de l'attente, et il fait ce que font tous les prophètes: avertir les hommes de la misère profonde du monde, afin qu'ils en prennent conscience et se convertissent. Si Qohélet fait un premier pas, Jean en fait un deuxième; après avoir proclamé un baptême de conversion pour le pardon des péchés (Marc 1, 4), il annonce celui qui viendra derrière moi, celui qui est plus puissant que moi (Marc 1, 7). Ce que Qohélet avait vainement attendu, Jean l'annonce : celui qui viendra apporter l'espérance au cœur de l'homme, cette espérance dont Qohélet ne dit mot. Jésus enfin va faire un troisième pas : annoncer que les temps sont accomplis et que le Règne de Dieu est tout proche (Marc 1, 15).

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Pour votre information...

     À la différence de saint Marc, saint Matthieu précise que le vêtement était fait de poils de chameau, c'est-à-dire tissé avec ce poil. La peau de chameau est beaucoup trop épaisse et dure pour que les Bédouins songent à l'employer comme vêtement, dit le Père Lagrange. La ceinture ne se plaçait pas par-dessus, mais tenait lieu de tunique. Ce n'était pas une courroie, mais une sorte de pagne en peau enroulé autour des reins.

     La sauterelle se mange salée comme le poisson de conserve; on la fait sécher pour la conserver. La sauterelle ne répugne pas aux gens de Palestine. Le miel peut être un miel végétal qui proviendrait de l'exsudation des tamaris. Les anciens Arabes le mêlaient d'eau pour s'en faire une boisson.


Pierre Bougie, PSS, bibliste
Grand Séminaire de, Montréal

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2034. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

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