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2e dimanche de l 'Avent A - 5 décembre 2010

 

 

Mettre Jean Baptiste à sa place!

La prédication de Jean Baptiste : Matthieu 3, 1-12
Autres lectures : Isaïe 11, 1-10; Psaume 71(72); Romains 15, 4-9

 

L’évangile du deuxième dimanche de l’Avent ramène invariablement à l’avant-plan le personnage de Jean le Baptiste. Choix liturgique sans doute naturel, qu’à la veille de fêter la naissance dans l’histoire du Messie, on fasse intervenir celui que la tradition chrétienne désigne depuis toujours comme son « précurseur ». Chacun de nos évangiles commence d’ailleurs par la narration de l’activité du Baptiste, cherchant, sitôt en début d’œuvre, à situer Jean par rapport à Jésus.

     Or, il était important de le faire car, - rappelons-nous le contexte historique du premier siècle  -, longtemps après la mort de Jean, des communautés de disciples lui ont subsisté 1, continuant à pratiquer le baptême, croyant même à la messianité du prophète baptiste. Ces communautés coexistent et sont même, d’une certaine façon,  en compétition avec les communautés chrétiennes au début de l’Église. On trouve une trace de cette coexistence dans le Nouveau Testament lorsque Paul, à Éphèse, rencontre une communauté de disciples de Jean (Ac 19,1-7). D’où tous les efforts que déploient les auteurs du Nouveau Testament à mettre Jean à sa juste place : une place d’honneur certes, car - ne l’oublions pas - beaucoup des premiers chrétiens proviendront des cercles du Baptiste et continueront à tenir Jean en haute estime, mais tout de même une place « sous » Jésus. D’en faire le précurseur ou « celui qui prépare la voie » en récupérant une prophétie d’Isaïe et voilà que le double but est atteint, voilà qu’on a trouvé son identité et son rôle dans l’œuvre du salut.

Désert et baptême

     Le judaïsme de Palestine au temps de Jésus est loin d’être homogène. Plusieurs partis, écoles, tendances, sectes cohabitent, donnant lieu à des attentes messianiques multiformes. On connaît bien, de par les évangiles et le Nouveau Testament, trois grands partis qui, parfois, s’opposent et s’affrontent : les pieux Pharisiens, les conservateurs Sadduccéens et les révolutionnaires Zélotes. Ces trois grands partis attendaient sans doute un Messie issu de la lignée de David 2 qui viendrait chasser l’impur occupant romain et, du même coup, redonner l’indépendance à Israël par le rétablissement de la royauté. Mais outre ceux-ci, des historiens du premier siècle 3 nous fournissent de précieux renseignements sur un mouvement juif dont le Nouveau Testament ne parle pas du tout : les Esséniens (ou Esséens). Secte de juifs ayant pris leur distance avec le judaïsme plus institutionnel gravitant autour de Jérusalem, ne croyant plus au culte du Temple, ils vivent reclus au désert de la mer Morte dans une forme de vie dépouillée, communautaire, « monacale » avant le terme. Ils étudient assidûment les Écritures, ils pratiquent un judaïsme plus spirituel, centré sur la pureté légale. Leur attente messianique, moins politique, se catalyse autour de cette promesse de Dieu faite à Moïse dans le Deutéronome : Je leur susciterai, du milieu de leurs frères, un prophète semblable à toi (Moïse), je mettrai mes paroles dans sa bouche et il dira tout ce que je lui ordonnerai (Dt 18,18).

     C’est un prophète de Dieu qu’ils attendent comme Messie, un nouveau Moïse venant renouveler le judaïsme, Messie qu’ils appellent « Celui qui doit venir ». Messie dont la venue sera d’autant plus accélérée qu’on se gardera pur. C’est pourquoi les Esséniens pratiquaient des rites de baptême, bains rituels de purification de façon quotidienne.

     Vivant une vie ascétique au désert, pratiquant le baptême de conversion, distant et critique par rapport aux officiels du judaïsme (Pharisiens et Sadduccéens) venus de Jérusalem - en témoignent ses sévères fustigations à leur endroit (Mt 3,7-10) –, utilisant un langage semblable pour désigner le Messie à venir (Celui qui vient derrière moi Mt 3,11; Es-tu celui qui doit venir Mt 11,2), décidemment Jean le Baptiste a beaucoup en commun avec ces Esséniens! Sans pouvoir dire de façon sûre que Jean ait été un de leurs, on est en droit de penser que Jean, une certaine part des premiers chrétiens et peut-être même Jésus se soient retrouvés davantage dans cette mouvance spirituelle juive du premier siècle, plutôt que dans celle du judaïsme officiel.

Élie précédant la venue du Messie

     Toujours en lien avec les attentes messianiques diffuses et multiformes du premier siècle, il y avait cette croyance dans le retour d’Élie, précédant immédiatement la venue des temps messianiques, croyance prenant sa source dans le livre du prophète Malachie (Ml 3,1.23). Élie n’étant pas mort, mais ayant été emporté au ciel sur un char de feu, il pouvait donc en redescendre, après tout (voir 2 R 2,11)! Il est clair ici que Matthieu cherche à dépeindre Jean Baptiste dans les traits d’Élie pour en faire le précurseur de la venue de Dieu, tel qu’annoncé par Malachie. Jean est vêtu comme Élie et vit au désert (comparez leur tenue : Mt 3,4 et 2 R 1,8). Cette interprétation du rôle de Jean Baptiste sera d’ailleurs confirmée par la bouche du Jésus de Matthieu (Mt 11,14).

Matthieu, le scribe théologien

     Le génie de Matthieu, spécialiste des Écritures, est d’avoir pris les attentes messianiques multiformes de son temps et d’avoir démontré, par son Évangile, que chacune d’elles se trouve réalisée en Jésus. Attendions-nous le retour d’Élie, ouvrant l’ère messianique? Le voilà personnifié en Jean le Baptiste (Mt 3,4 et 11,14)! Avec le judaïsme plus officiel, attendions-nous un fils de David inaugurant un nouveau règne? Voici le Roi des juifs naissant à Bethléem, bourgade de son aïeul (Mt 2,1-2)! Attendions-nous « Celui qui doit venir », le nouveau Moïse comme les sectes du désert? Laissons Jean nous le désigner en ses mots, s’effaçant devant lui : Moi je vous baptise dans l’eau, … mais celui qui vient derrière moi est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales (Mt 3,11).

_________________

1 On croit que des communautés de disciples de Jean Baptiste ont pu subsister jusqu'au troisième siècle, après quoi on perd leus traces dans l'histoire.

2 Selon la promesse de Dieu faite à David par le prophète Natan d'assurer la pérennité de sa descendance : voir 2 S 7, 8-16.

3 Notamment Philon d'Alexandrie, Pline l'Ancien et Flavius Josèphe.

 

Patrice Bergeron, ptre

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2250. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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