INTERBIBLE
Au son de la cithare
célébrer la paroleintuitionspsaumespsaumespsaumes
off Nouveautés
off Cithare
off Source
off Découverte
off Écritures
off Carrefour
off Caravane
off Scriptorium
off Artisans

 

 
Célébrer la Parole

 

orant
Imprimer

3e dimanche de Pâques C - 7 avril 2013

 

Un invité rare !

Le Seigneur ressuscité apparaît au bord de la mer de Tibériade : Jean 21,1-19
Autres lectures : Actes 5, 27b-32.40b-41; Psaume 29(30); Apocalypse 5, 11-14

 

L’évangile de Jean ne se présente pas souvent au rendez-vous de la messe dominicale dans notre cycle liturgique triennal, mais quand il le fait, il ne le fait ordinairement pas à moitié ! Pratiquement un chapitre complet de cet évangile nous est servi en ce dimanche ! Pour les pasteurs qui seraient tentés, pour ne pas trop allonger la messe, d’avoir recours à la lecture brève proposée par le Lectionnaire dominical – comme un accommodement raisonnable ! - sachez que c’est la manière même d’écrire de Jean qui commande ces longues proclamations. En effet, les unités littéraires plutôt longues du 4e évangile sont assemblées de façon telle que le texte ne s’ampute pas d’une seule de ses composantes sans que l’intelligibilité de l’ensemble n’en souffre. Et pourquoi ne pas s’offrir, de temps à autre, ce petit excès d’un texte plus long de cet invité rare ?

Un appendice à l’évangile

     Tous les commentateurs de l’évangile de Jean vous le diront, le chapitre 21 joue un rôle d’appendice à cet évangile. Il a sûrement été ajouté postérieurement au reste de l’évangile par des disciples de l’évangéliste. Plusieurs indices appuient cette hypothèse. Pour vous en convaincre, allez d’abord dans vos bibles lire les deux versets précédant l’extrait de ce dimanche (Jn 20,30-31) et vous constaterez que l’évangile était bel et bien conclu avec le chapitre 20. De plus, ce chapitre 21 s’agrafe un peu maladroitement au reste de l’évangile johannique. En effet, jusqu’ici, les disciples ont déjà vécu deux rencontres avec Jésus ressuscité (Jn 20,19-23 et Jn 20,26-29), ce que semble ignorer ce récit nous racontant une « troisième » manifestation du Ressuscité à des disciples ayant perdu la mémoire de leurs deux expériences antérieures !

     Autre argument en faveur de l’hypothèse de l’ajout postérieur de ce récit d’apparition au bord du lac : le ton très ecclésial de ce chapitre qui contraste avec le reste de l’évangile qui n’a été, jusqu’ici, que christologique. Autrement dit, si les 20 premiers chapitres ne consistaient qu’à nous faire découvrir le mystère du Christ et la relation personnelle devant s’établir entre lui et le croyant, ce prolongement semble introduire pour la première fois le rôle que jouera l’Église dans la poursuite de l’aventure croyante d’après Pâques. La barque, le filet, la pêche et la figure de Pierre sont tous, en effet, des symboles de l’Église et de sa mission. Cet ajout postérieur pourrait très bien être le reflet du besoin tardif d’un rapprochement de la communauté qu’avait fondée « le disciple que Jésus aimait » avec l’Église universelle, dont Pierre est la figure et le pasteur premier 1. Le chapitre 21 jouerait donc le rôle « mettre en Église » l’ensemble du 4e évangile !

     Peu importe la manière dont ce récit d’apparition au bord du lac  nous soit parvenu, cet appendice nous sera fort utile pour nous renseigner sur trois dimensions de la vie de l’Église : sa mission universelle, l’eucharistie et la primauté de Pierre.

La pêche-mission (versets 1-11)

     Il faut lire la Bible avec toute la Bible en tête ! C’est-à-dire que la comparaison de textes bibliques entre eux, offrant des points de convergences, similitudes, parallélismes ou éléments symboliques semblables, peut enrichir notre compréhension d’un texte particulier. L’évangile de ce dimanche, où Jean entremêle deux types de récit qu’on retrouve ailleurs dans le Nouveau Testament (pêche miraculeuse et apparition du Ressuscité aux disciples), se prête particulièrement bien à cet exercice. Leurs comparaisons seront instructives. Par exemple, les autres récits d’apparition du Ressuscité s’accompagnent toujours d’un envoi explicite des disciples par le Christ pour une mission aux dimensions universelles (voir Mt 28,19 ; Mc 16,15 ; Lc 24,47-48 ; Jn 20,21-23 et Ac 1,8). Ici, pas d’envoi explicite en mission ! Cependant, symboliquement, le motif de la mission est bel et bien évoqué par le miracle de la pêche, devenu, depuis le récit que Luc nous en a fait (en Lc 5,1-11 2), anticipation de la mission future de Pierre et de son équipage, appelés à devenir « pêcheurs d’hommes ». L’universalité de cette mission des disciples est, quant à elle, suggérée curieusement par le nombre des poissons. Selon saint Jérôme, 153 serait le nombre total d’espèces de poissons connues dans l’Antiquité. Ce sont donc des hommes de toutes les nations qui se trouvent symboliquement repêchés dans le filet indéchirable de l’unité de l’Église !

Le repas du Ressuscité : l’eucharistie (versets 12-14)

     Comment les chrétiens de toutes les époques - ces bienheureux qui croiront sans avoir vu (Jn 20,29) – feront-ils une rencontre aussi réelle du Ressuscité que celle qu’ont vécue, ce matin-là, les convives de Jésus sur la grève ? Réponse : par le repas de l’eucharistie ! Tout évoque ici l’eucharistie. L’eucharistie n’est-elle pas le repas offert par le Christ glorifié lui-même ? L’heure de ce déjeûner sur la grève – au lever du jour - correspond à l’heure où les premiers chrétiens célébraient l’eucharistie, avant de reprendre le travail, au premier jour de la semaine 3. Et même si un élément essentiel de l’eucharistie est passé sous silence – à savoir le vin - le pain et le poisson suffisent pourtant à symboliser le repas eucharistique, comme en témoigne l’iconographie chrétienne primitive. Enfin, les gestes de Jésus, « il prend le pain et le leur donne », n’imitent-ils pas ceux de la dernière cène ? Le narrateur se permet même une leçon indirecte au lecteur de l’évangile de toute époque à ne pas se laisser berner par ses sens à propos de la réalité de la présence du Seigneur à l’eucharistie : Aucun des disciples n’osait lui demander : ‘ Qui es-tu ?’. Ils savaient que c’était le Seigneur.

Le rôle de Pierre (versets 15-19)

     La fin de notre évangile joue un double rôle, celui de réhabiliter, par une triple confession de son amour, celui qui, par trois fois, mû par la peur, avait renié son maître et celui d’instituer Simon-Pierre comme premier pasteur du troupeau du Christ, l’Église. À noter l’adjectif possessif, à la première personne du singulier, qui qualifie les termes « agneaux » ou « brebis ». N’en déplaise à nos contemporains allergiques au - pourtant très biblique - symbolisme ovin, mais les « agneaux » et les « brebis » nous désignent bel et bien, nous, les croyants ! Ils appartiennent au Christ ressuscité qui députe un homme bien imparfait à prendre soin de « son » troupeau. Le Ressuscité n’attend pas que son berger soit parfait, mais que son amour pour lui soit profond. C’est dans son amour du Christ et non dans ses propres forces qu’on sait défaillantes, que Pierre trouvera le fondement solide qui le qualifie pour cette tâche. L’amour du Christ seul, donnera la force à Pierre de le suivre jusqu’au bout, même là où il ne voudrait pas aller. Quelle leçon, à la fois d’humilité et d’espérance, pour toute personne appelée par le Christ, comme Pierre, à paître la portion de son troupeau qui lui sera confiée !

___________________

1 C’est, du moins, l’hypothèse de R. Brown dans son livre La communauté du disciple bien aimé. Il suppose que l’ajout du chapitre 21, indice d’un besoin de rapprochement avec l’Église universelle, se serait fait après la crise des premières hérésies qui a durement secoué la communauté johannique à la fin du premier siècle et dont les épitres johanniques sont l’écho (1 Jn 2,18-19 ; 2 Jn 7-9).

2 Luc est le seul autre évangéliste à raconter une pêche miraculeuse provoquée par Jésus. Bien que son récit offre de nombreuses ressemblances avec celui de Jean, Luc situe cet évènement bien avant la résurrection, au début du ministère public de Jésus en Galilée.

3 Dans l’Antiquité, le dimanche n’était pas férié.

 

Patrice Bergeron, ptre

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2355. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

Chronique précédente :
Les miracles des Apôtres
… plus éclatants que ceux de Jésus