Le baptême du Christ. Daniel Bonnell, Mount Calvary Missionary Baptist Church, Hilton Head Island.

Pourquoi le baptême?

Francis Daoust Francis Daoust | Baptême du Seigneur (A) – 12 janvier 2020

Le baptême de Jésus : Matthieu 3, 13-17
Les lectures : Isaïe 42, 1-4.6-7 ; Psaume 28 (29) ; Actes des apôtres 10, 34-38
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

L’épisode du baptême de Jésus est un passage très connu des quatre évangiles. Peut-être trop connu même, au point où l’on peut facilement passer à côté d’une question que le texte devrait normalement susciter chez tout lecteur attentif : pourquoi Jésus souhaite-t-il se faire baptiser par Jean? En effet, le baptême de Jean n’est pas une pratique reconnue par les autorités juives et Jésus bénéficie d’un statut bien supérieur à celui de Jean. Alors comment se fait-il qu’il tienne à se soumettre à cette pratique? L’analyse de certains détails du texte permet de voir que le baptême de Jean assure une double approbation de Jésus et lui donne l’outil essentiel à l’amorce de sa mission.

Une approbation scripturaire

La volonté de Jésus de se faire baptiser par Jean n’est pas conditionnée par un hasard de rencontre, comme c’est souvent le cas à travers les évangiles, lorsque quelqu’un vient vers lui pour être guéri, pour être instruit, pour le tenter ou pour le prendre en défaut. Non seulement Jésus prend-il l’initiative de la rencontre avec Jean, mais les précisions géographiques du récit indiquent qu’il s’agit d’un projet ciblé et bien calculé à l’avance. En effet, Matthieu 3,13 précise que Jésus s’est rendu auprès de Jean dans un but précis : pour être baptisé par lui et qu’il est parti de Galilée pour se rendre en Judée, vraisemblablement à proximité de Jérusalem, ce qui représente un déplacement de deux journées entières de marche.

Il est évident que Jésus ne se rend pas auprès de Jean afin de recevoir son baptême de conversion. Cette hypothèse peut sembler insensée, puisque Jésus n’a pas péché et n’a pas besoin de revenir vers Dieu. Mais c’est pourtant ainsi que pense Jean qui, connaissant le statut supérieur de Jésus, s’étonne de sa demande et refuse initialement d’y acquiescer (Mt 3,14).

Si Jésus se rend auprès de Jean, c’est en raison de l’autorité dont jouit Jean. Il ne s’agit pas d’une autorité civile ou religieuse – Jean est d’ailleurs en conflit ouvert avec le pouvoir politique représenté par Hérode et avec le pouvoir religieux représenté par les pharisiens et les sadducéens – mais plutôt d’une autorité eschatologique et scripturaire. Comme en témoigne la prophétie de Malachie 3,23-24, le retour d’Élie devait marquer le début de l’ère eschatologique. Or Matthieu, qui est l’évangéliste par excellence de l’accomplissement des Écritures, s’assure à plusieurs reprises d’associer Jean à la figure d’Élie par sa fonction de héraut (Mt 3,1), par son habillement (Mt 3,4), parfois de manière explicite (Mt 11,14 ; 17,10-13), et par la ressemblance du message divin identique – Celui-ci est mon Fils, le Bien-aimé, qui a toute ma faveur – entendu lors du baptême (Mt 3,17) et de la Transfiguration (Mt 17,5) où Jésus prend place entre Moïse et Élie. En se rendant auprès de Jean, Jésus fait donc d’une pierre trois coups : il confirme que les temps de la fin sont commencés, qu’il est le Messie et que les Écritures sur ces deux sujets s’accomplissent.

Une approbation divine

L’approbation de Jean n’est évidemment pas la seule que Jésus reçoit dans cet épisode. Il reçoit également l’approbation de Dieu, qui est exprimée à deux endroits dans le texte. Elle se retrouve d’abord dans la bouche de Jésus lui-même dans le court dialogue qui prend place entre lui et Jean. À Jean qui ne comprend pas la démarche de Jésus, ce dernier répond : pour que nous accomplissions toute justice (Mt 3,15). Cette explication semble à première vue énigmatique. Mais le terme grec employé ici est dikaiôsunè, qui désigne un verdict ou une approbation juridique. Dans le Nouveau Testament, il se réfère habituellement au jugement de Dieu. Cette approbation est ensuite exprimée à la toute fin du passage lorsque la voix céleste déclare : Celui-ci est mon Fils, le Bien-aimé, en qui je trouve ma joie (Mt 3,17). Le verbe grec eudokéô est utilisé dans ce cas-ci ; il signifie à la fois « prendre plaisir » et « approuver ». Jésus jouit donc maintenant d’une double approbation : l’approbation eschatologique scripturaire de Jean et l’approbation filiale et aimante de Dieu.

Le don de l’Esprit

Mais encore une fois, cela n’explique pas pourquoi Jésus tient à se faire baptiser. En effet, il aurait pu avoir cette double approbation sans recevoir le baptême de Jean. Pourquoi cette insistance sur le baptême en tant que tel?

La réponse se trouve déjà en partie dans l’annonce faite par Jean avant l’arrivée de Jésus : Lui vous baptisera dans l’Esprit et le feu (Mt 3,11). C’est en effet avec l’épisode du baptême que l’Esprit descend sur Jésus et se pose sur lui (Mt 3,16). C’est le même Esprit qui le pousse au désert dès le début de l’épisode suivant (Mt 4,1). Dans l’Ancien Testament, l’esprit de Dieu, la ruah en hébreu, permettait aux prophètes de prophétiser (voir par exemple Nombres 11,25 ; 1 Samuel 10,6 ; Ezéchiel 2,2). Muni de l’Esprit grâce au baptême, Jésus peut maintenant entreprendre son ministère.

On retrouve le même Esprit à la toute fin de l’évangile de Matthieu lorsque Jésus envoie ses disciples baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit (Mt 28,19). La mention du baptême dans cette parole finale de Jésus est loin d’être fortuite. De même que Jésus a été investi de l’Esprit lors de son baptême, les disciples le seront au moment du leur et pourront eux aussi remplir leur mission.

Une nouvelle création

Jésus aurait tout de même pu recevoir l’Esprit n’importe où : au désert, sur une montagne, à la synagogue, au temple, etc. Quelle signification particulière la réception de l’Esprit lors du baptême peut-elle revêtir? Trois passages cruciaux de l’Ancien Testament, qui mettent en lien la ruah de Dieu et les eaux, nous éclairent à ce sujet. Genèse 1,2 affirme que tout juste avant le début de l’action créatrice de Dieu, « l’esprit de Dieu planait au-dessus des eaux ». Ce passage doit être mis en parallèle avec celui de Genèse 8,1 qui marque le point tournant du récit du déluge, où Dieu fit passer un vent sur la terre et les eaux s’apaisèrent. Dans les deux cas, l’action de la ruah de Dieu sur les eaux se rapporte à une activité de création, ou de nouvelle création. Le lien entre la création renouvelée suite au déluge et le baptême de Jésus pourrait être renforcé par la mention de la colombe lâchée par Noé (Genèse 8,8-12) et l’Esprit qui descend comme une colombe sur Jésus (Mt 3,16). Le troisième passage se rapporte à la création, ou à la recréation, du peuple d’Israël lors du passage de la mer des Roseaux, au moment où Dieu fit refouler la mer par un fort vent (Exode 14,21). Le même verset ajoute que les eaux se fendirent, ce qui n’est pas sans rappeler les cieux qui s’ouvrent lorsque Jésus remonte des eaux du baptême (Mt 3,16). Le récit du baptême de Jésus peut ainsi être compris lui aussi comme évoquant une nouvelle création qui se manifeste, cette fois-ci, en la personne du Christ.

Pourquoi le baptême?

Nous pouvons nous désoler aujourd’hui de voir le nombre des baptêmes diminuer, mais la courte analyse que nous venons de faire des raisons qui ont poussé Jésus à se faire baptiser, nous fournit une perspective intéressante. En effet, loin d’être un automatisme ou un hasard de rencontre, le baptême se doit d’être une démarche ardemment souhaitée et calculée à l’avance. Tout comme Jésus, nous sommes appelés à la rencontre de Dieu à travers le baptême afin d’être reconnus comme étant aimés de Dieu et de recevoir l’Esprit nécessaire à notre envoi en mission. En se faisant baptiser par Jean, Jésus s’abaisse, dans ce mouvement fondamental de toute la foi judéo-chrétienne, pour ensuite remonter vers le Père en nous entraînant à sa suite. Il en va de même avec le mouvement de sa mort et de sa résurrection. Mais c’est à nous de nous mettre en marche à sa suite.

Francis Daoust est bibliste et directeur de la Société catholique de la Bible (SOCABI).

Source : Le Feuillet biblique, no 2646. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

Célébrer

Célébrer la Parole

Depuis l’automne 2017, le Feuillet biblique n’est disponible qu’en version électronique et est publié ici sous la rubrique Célébrer la Parole. Avant cette période, les archives donnent des extraits du feuillet publiés par le Centre biblique de Montréal.