(Pedro Lima / Unsplash)

Quel Dieu prions-nous ?

Francine Robert Francine Robert | 30 e dimanche du Temps ordinaire (C) – 23 octobre 2022

Le pharisien et le collecteur d’impôt : Luc 18, 9-14
Les lectures : Sirac 35, 12-14.16-18 ; Psaume 33 (34) ; 2 Timothée 4, 6-8.16-18
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Voici une parabole provocante, propre à Luc. Elle joue sur des figures opposées, comme souvent : Lazare et le riche, le bon Samaritain et le prêtre, le fils perdu et le fils aîné [1]. Notre réflexe de lecture est peut-être de chercher le modèle à imiter et d’oublier le personnage plus négatif. Mais souvent, c’est justement celui-là qui ressemble aux gens visés par la parabole. Ce personnage est donc là pour nous faire réfléchir lui aussi. Et c’est lui d’abord, ici, car Jésus lui donne plus de place dans sa parabole.

Fidélité et mépris

La première caractéristique des gens à qui Jésus parle est de se considérer comme justes. Ne pensons pas seulement aux pharisiens. Les disciples sont là aussi (17,37). En monde biblique, le mots ‘juste’ signifie ‘être ajusté’ au chemin que Dieu propose dans la Torah (Loi de Moïse). Les gens visés sont honnêtement persuadés d’être fidèles le mieux possible à cette Torah donnée par Dieu. L’autoportrait du pharisien est sincère : il fait sûrement tout ce qu’il dit, et plus encore. On aurait tort de condamner son souci de fidélité. Luc présente ainsi Zacharie et Élisabeth : Ils étaient justes devant Dieu, observant de manière irréprochable tous les commandements et toutes les ordonnances du Seigneur (1,6). L’homme ici se réjouit d’être un juste, comme il l’a appris dans les Psaumes [2].

La seconde caractéristique des auditeurs visés par Jésus est le mépris. « Je ne peux pas supporter le mépris », dit ‘Jésus’ dans le film Jésus de Montréal. Cette phrase de Denys Arcand trouverait sa place dans l’Évangile de Luc.

La prière du pharisien reflète ce mépris. Il se situe comme un croyant ‘haut de gamme’ par rapport aux gens moins fidèles. Ce désir d’être supérieur aux autres, Jésus l’aborde dans la parabole des places à table, avec la même finale : qui s’élève sera abaissé (14,7-11). Si le pharisien se contentait de remercier Dieu d’être comme il est, ce serait parfait. Mais il veut profiter des fautes des autres pour se faire valoir devant Dieu. On peut bien, la plupart du temps, avoir bonne conscience. Mais c’est une bonne conscience plutôt fragile si elle a besoin de prendre appui sur la faiblesse des autres. Ce pharisien illustre bien la deuxième partie de notre adage ‘quand je me compare, je me console’ : il a besoin de se comparer pour se trouver meilleur. Ou pour être sûr que Dieu le trouve meilleur? Du coup, il juge sévèrement les autres. Ça l’aide peut-être à fermer les yeux sur ses quelques défaillances.

L’autre différent... pourtant semblable

Quand Jésus invente des histoires de personnages opposés, l’opposition est souvent l’idée de son auditoire plutôt que l’idée de Jésus. Le pharisien Simon se voit en opposé à la pécheresse, mais une parabole les réunit en tant qu’endettés. De même, le père de la parabole rappelle au fils aîné que le cadet est toujours son frère [3].

Ici, le début a conjoint les deux hommes : chacun monte au Temple pour prier et commence par “Ô Dieu”. La pratique de Jésus est ainsi, toujours inclusive : il mange avec les publicains sans exclure les pharisiens, qui restent à l’écart par choix. Et quand ils l’invitent à manger, il accepte [4]. Il prend aussi la peine de les enseigner. Son appel à porter un regard différent sur l’autre est encore au cœur de cette parabole, et il vaut pour nous aussi. Je peux être tantôt l’un, tantôt l’autre...

Voyons cet autre : le publicain reste loin de l’espace sacré, distance qui exprime la conscience d’être pécheur. Il n’ose pas s’approcher du Dieu Très Saint, ni même lever les yeux vers Lui, mais se frappe la poitrine en signe de repentir.

Le contraste est fort entre les deux priants. Le pharisien, comme le fils aîné, fait valoir sa bonne conduite. Le publicain parle comme le fils prodigue : il vient vers Dieu en se jugeant indigne, sans rien à faire valoir en sa faveur. Il ne peut qu’avouer son manque et compter sur la miséricorde de Dieu. Il implore sa bienveillance. Jésus arrête là sa parabole : le publicain n’annonce pas qu’il changera de vie, on ignore totalement ce qu’il fera. Une finale abrupte, frustrante pour les auditeurs et lecteurs : la conversion serait un happy end plus convenable. Le pardon de Dieu est-il gratuit autant que ça?

Images ou perceptions de Dieu

Dans les Évangiles, Jésus fréquente les pécheurs sans poser de condition préalable. Sa présence leur dit : « Dieu vous cherche et vous aime, qui que vous soyez. Donc vous pouvez revenir vers Lui et accueillir le don qu’Il vous fait. » Ce don sans condition sera fait à Zachée, et le rendra capable de changer. Dans la pratique pastorale de Jésus envers les pécheurs, l’annonce et la manifestation concrète du don précèdent en permanence l’appel à la conversion.

La prière du publicain reflète cette même vision de Dieu : sa confiance est plus forte que sa honte. Il vient à Dieu en croyant en sa clémence accueillante. Jésus lui donne raison : Dieu est bien comme ça. Ou comme le père de la parabole qui accueille son cadet malgré un repentir limité, inspiré surtout par la faim. Le père court vers lui, faisant lui-même le bout de chemin qui manque à ce repentir (15,11-32).

On peut toujours se présenter à Dieu dans la vérité de notre être, même si on n’est pas à la hauteur de ce qu’on voudrait ni de ce à quoi Il nous appelle. Comme ce publicain : sa lucidité sur lui-même ne le décourage pas mais le tourne vers la compassion de Dieu. Il devient capable d’accueillir le don gratuit de Dieu, car il sait manquer d’un essentiel qu’il ne peut pas obtenir par ses propres mérites. Comme les bébés qu’on amène à Jésus dans le récit que Luc place juste après : ils ne peuvent rien se donner à eux-mêmes, ils reçoivent tout. « Le Règne de Dieu est à leurs semblables » dit Jésus [5]. Il est un don à accueillir. Conscient de recevoir le don de Dieu, le publicain repart en se sentant réconcilié, accepté par Dieu, ‘justifié’, dit Jésus. Et Dieu continuera d’espérer que son don porte fruit dans le cœur de cet homme, comme pour Zachée. Il espère en nous plus que nous-mêmes.

Le Dieu évoqué dans la prière du pharisien est bien différent. Il prête à Dieu son jugement des autres, s’imaginant que Dieu le trouvera meilleur s’Il le compare aux pécheurs. Ce besoin d’utiliser les pécheurs pour se valoriser reflète une grande méconnaissance de Dieu, Lui qui s’inquiète toujours pour les ‘perdus’. Pourtant, n’allons pas juger ce pharisien, et nous consoler en nous comparant à lui : ce serait justement tomber dans le même piège que lui!

Prières et pratiques, pour nous aussi

Si le pharisien avait accueilli, comme nous, la Bonne Nouvelle que Jésus incarne, il ressentirait de la compassion envers le publicain derrière lui. Il pourrait prier pour celui qui a grand besoin de la bienveillance de Dieu. Si, avec générosité spirituelle, il voyait en l’autre son semblable, il porterait sur lui le même regard que Dieu, il serait ‘ajusté’ au Dieu qui aime. Il repartirait alors ‘justifié’ lui aussi.

Mieux : il irait peut-être proposer à ce pécheur d’avancer pour lui manifester, comme Jésus, l’accueil inconditionnel de Dieu. Qui sont les gens que nous empêchons d’avancer vers Dieu aujourd’hui? Qui sont ceux et celles que nous jugeons devoir rester au fond du temple, ou pire, que nous jugeons indignes d’y entrer?

Diplômée en études bibliques, Francine Robert est professeure retraitée de l’Institut de pastorale des Dominicains (Montréal).

[1] Luc 10,30-37 ; 15,11-32 ; 16,19-31.
[2] Par exemple Ps 1 : Heureux l’homme qui ne suit pas le chemin des pécheurs (...) mais se plaît dans la loi du Seigneur.
[3] Luc 7,41-42 ; 15,30-32.
[4] Luc 7,36 ; 11,37 ; 14,1. Seul Luc présente ces invitations.
[5] Luc 18,15-17. Avec le mot bébé Luc accentue cet aspect de manque, de besoin des autres.

Source : Le Feuillet biblique, no 2772. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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