Expulsion des marchands du Temple. Jacques Gamelin, c. 1784.
Huile sur toile, 59 x 96 cm. Musée des Beaux-Arts de Carcassonne (Wikipédia).

Les Commandements, paroles de vie !

Alain FaucherAlain Faucher | 3e dimanche du Carême (B) – 3 mars 2024

La purification du Temple : Jean 2, 13-25
Les lectures : Exode 20, 1-17 ; Psaume 18 (19) ; 1 Corinthiens 1, 22-25
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Jésus est le temple nouveau de la présence de Dieu parmi nous (Évangile : Jean 2, 13-25). En lui, nos gestes de respect des autres traduisent une sagesse inspirée par Dieu lui-même. Jadis, Jésus osa replacer les choses à leur place dans le Temple. Dans un geste fort, digne d’un prophète de Dieu, il chasse les diverses catégories d’animaux utilisées pour les sacrifices d’holocauste selon les règles de Lévitique 1.

En Jésus se concentrent désormais tous les efforts pour rejoindre Dieu. Les commandements trouvent en Jésus une portée nouvelle. Les commandements du Premier Testament trouvent en lui leur aboutissement. Ces paroles données jadis par Dieu à son peuple au désert étaient utiles bien avant la construction du Temple. Ces paroles (Première lecture : Exode 20,1-17) conservent donc une valeur réelle de guide pour orienter la vie avec et en Dieu. Elles ne sont pas que du remplissage en ce dimanche. Elles méritent que nous y portions attention.

La deuxième lecture (1 Corinthiens 1,21-25) confirme la prépondérance du Christ Jésus pour la gouverne de la vie humaine vécue en communion avec Dieu. En effet, Jésus « est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes ». Jésus est le Temple nouveau de la présence de Dieu parmi nous. En lui, nos gestes de respect des autres traduisent une sagesse inspirée par Dieu lui-même.

Les commandements, c’est loin d’être farfelu…

Imaginez la scène. Au début de mon cours universitaire portant sur Les premiers livres de la Bible, un étudiant déclare : « Les dix commandements du livre de l’Exode, c’est tout à fait dépassé. Grâce à Jésus, nous n’avons plus besoin de nous embarrasser de cette liste de niaiseries! » Difficile pour les autres personnes présentes de contester cette déclaration, vu la fougue de l’étudiant. Et pourtant, tout ce qui se passait dans la salle de cours contredisait la déclaration de l’étudiant. Le groupe l’écoutait avec respect. Personne ne l’a interrompu dans sa déclaration. Personne n’a manifesté son désaccord en lui cassant les jambes à la sortie, en crevant ses pneus d’auto. Personne non plus n’a dénigré l’étudiant en s’attaquant à sa réputation.

Somme toute, plusieurs des limites exprimées par les commandements ont protégé l’intégrité de l’étudiant qui s’en moquait. En respectant sa vie, ses biens et sa réputation, la classe au complet traduisait par sa retenue à quel point les paroles prononcées au Sinaï sont toujours nécessaires pour notre survie collective. Les ordinateurs, les téléphones cellulaires et les guichets automatiques ne changent rien à ces limites incontournables. Quiconque attente aux biens d’une personne, aux personnes qui lui sont chères ou à sa réputation franchit une limite sacrée.

Cet incident a été pour moi une source salutaire de réflexion. Sur le coup, je n’ai pas su quoi dire. Maintenant, j’aurais beaucoup à redire. Par exemple, que Jésus vient modifier toute la perspective. L’évangile de ce dimanche, à mi-parcours du Carême, est éloquent à cet égard. Jésus se propose comme une solution de remplacement à cet autre symbole essentiel de l’Alliance du peuple avec Dieu : le Temple. Le corps de Jésus ressuscité, glorifié, remis en valeur par la grâce de Dieu est le nouveau point de rencontre du peuple sanctifié dans la foi et l’espérance. Cela renforce aussi la manière de vivre la justice, l’égalité, la réciprocité. Les anciens commandements ne sont plus seulement des limites à ne pas franchir. Ces paroles de gros bon sens doivent être intégrées dans un nouveau savoir-faire, une nouvelle sagesse.

Que change donc concrètement notre estime pour le divin Crucifié dans notre savoir-faire, dans notre sagesse? Cette question était présente dans la tête et dans le cœur de saint Paul lorsqu’il écrivait à la communauté chrétienne agitée de Corinthe. En acceptant d’ajuster leur vie au don total consenti par Jésus, ces gens intégraient ce qui semblait folie aux yeux des humains. Il me semble que les limites exprimées dans les dix commandements font partie de cette folie amoureuse divine. Les commandements ne sont plus seulement des entraves ou des barrières. Ces Paroles bibliques sont désormais des chemins de respect qui servent à dire que toute personne peut avoir accès au cœur de Dieu et à la dignité des gens promis à la résurrection dans le cadre de l’alliance offerte par Dieu.

Des gestes à la hauteur de l’amour de Dieu

Les gens du temps de la Bible n’auraient jamais admis le flou de notre engagement ou de notre discours moral. Pourquoi fuyaient-ils les nuances qui sont si chères à notre époque? Pour survivre dans un monde fragmenté et hostile, ces gens avaient besoin de frontières claires. Les limites de comportement devaient être nettement décrites. Pour appuyer ces délimitations essentielles, les chefs devaient payer de leur personne en posant des gestes sans ambiguïté. Ils devaient donc avoir à la bouche des mots tranchants comme des épées. Les chefs devaient être prêts à en assumer les conséquences, jusqu’à la mort s’il le fallait.

Ainsi s’explique le comportement (soi-disant agressif) de Jésus dans le Temple de Jérusalem. Jésus constate que les transactions commerciales engendrées par le système des sacrifices empiètent sur les gestes relationnels (les sacrifices) qui devraient occuper tout l’espace de ce lieu saint. Il décide donc de parler avec des mots durs et des gestes clairs. Jésus ne perd pas son temps à proposer l’abolition du système des sacrifices. Il va beaucoup plus loin, en déclarant que sa personne fait corps avec le Temple, au point de le remplacer bientôt.

Pour son peuple juif, le Temple de pierre qui avait pris le relais de l’abri temporaire de la Tente de réunion au désert abritait la présence de Dieu. En voyant la splendeur des pierres taillées, on comprenait que Dieu était avec son peuple pour toujours. Voilà que Jésus s’introduit dans la routine commerciale de ce lieu. Il met à bas l’organisation pratique qui permettait d’accomplir les sacrifices normaux prescrits. On aurait dû comprendre le puissant clin d’œil : Jésus venait de s’identifier comme Messie et prophète dans l’esprit de Zacharie 14,21 et Malachie 3,1-4. En se frayant un chemin en plein cœur du Lieu saint, Jésus annonce que Dieu va enfin se manifester d’une manière définitive.

Mais on n’a pas saisi l’allusion subtile contenue dans le geste un peu fendant. Jésus doit donc être plus clair, et parler. Comme il propose de mettre à terre ce qui fait la fierté de son peuple, on ne le suit plus... ou on le suit sans trop comprendre. Il faudra la résurrection pour que tout devienne lisible. Et encore, cela n’ira pas de soi, puisqu’il faudra aussi inclure dans le bagage de la foi le signe du Messie crucifié. C’est un scandale pour toute personne qui était éduquée dans la connaissance de la Bible. Car on y lit : Malheur à celui qui pend au bois (Deutéronome 21,22-23). On peut donc ne pas croire. Il est normal d’hésiter. Mais il faudra bien finir par trancher. Jésus, dans son corps détruit puis ressuscité, deviendra alors le signe par excellence.

Alors, aujourd’hui, en plein cœur du Carême, posons-nous une question importante. Jésus a déplacé l’attention du Temple sur sa propre personne. Est-ce que nous, les croyants du 21e siècle, savons être transparents de Jésus dans nos gestes et nos organisations de foi? Serions-nous plutôt des obstacles qui empêchent nos concitoyens de percevoir que c’est Dieu qui agit dans nos vies, que c’est lui qui est la source de notre engagement?

Des limites claires : l’expérience du peuple de Dieu

Ce n’est pas parce que Jésus est le Ressuscité, le nouveau Temple, le nouveau signe de la présence de Dieu, que tout ce qui vient de l’Ancien Testament est devenu inutile. N’est-il pas venu pousser à la perfection ce qui existait avant lui? Il a dit : N’allez pas croire que je sois venu abolir la Torah ou les Nevi’im : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir (Matthieu 5,17).

Cette affirmation du Seigneur trouve son écho dans le texte de Vatican II sur la Révélation : « ... encore que le Christ ait fondé dans son sang la nouvelle alliance, néanmoins les livres de l’Ancien Testament, intégralement repris dans le message évangélique, atteignent et montrent leur complète signification dans le Nouveau Testament, auquel ils apportent en retour lumière et explication » (Dei Verbum §16). Jésus est le centre de notre foi parce qu’il est le meilleur signe de la présence de Dieu. Cela ne veut pas dire que les normes qui permettaient de reconnaître l’appartenance au peuple de l’alliance ne sont plus valables.

Quand Jésus pose ces limites claires, il a en tête de nombreux exemples qui parsèment les Écritures saintes des Juifs. La première lecture nous en fournit un prototype célèbre : les dix Paroles fondatrices du comportement du peuple en alliance. Ces lignes établissent des limites bien claires pour le comportement des gens.

Dans un contexte de pénurie permanente, on y évoque la gravité du vol, qu’il s’agisse de la vie de l’autre, de ses relations privilégiées ou de sa réputation. On y décrit le sérieux de l’engagement divin avec le mot « jaloux ». Loin des sautes d’humeur émotive d’un amoureux possessif, il s’agit de décrire les attentes légitimes de celui qui a créé la liberté au bénéfice d’un peuple d’esclaves. On ne badine pas avec un tel amour!

Dans un monde en recherche, voici des repères!

Dans les agirs fracassants de prophète posés par Jésus ou dans les textes fondateurs du judaïsme et du christianisme, on va à l’essentiel en appelant un chat « un chat ». Nous limiterons-nous à proposer aux gens d’aujourd’hui les réponses de Dieu dans un discours imprécis. Il masquerait le drame du choix qui nous est proposé : vivre avec Dieu ou vivoter et dépérir, seuls dans notre coin?

Si nous prenons l’alliance donnée par Dieu au sérieux, nous ne pouvons nous contenter d’émettre un discours religieux tissé de mots flous qui ne dérangent personne. Pour changer le monde, osons dire les vraies choses de la foi. La Bible propose une Parole d’alliance inscrite dans des mots forts et des gestes clairs. Notre réponse sera-t-elle à la hauteur dans nos choix quotidiens?

Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.

Source : Le Feuillet biblique, no 2836. Première parution le 23 février 1997 (FB no 1656). Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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