
Le prophète Jérémie. Horace Vernet, 1844. Huile sur toile, 35 x 27 cm. Musée d’Amsterdam (Wikipédia).
Le moment tant attendu est enfin arrivé
Francis Daoust | 5e dimanche du Carême (B) – 17 mars 2024
L’heure est venue : Jean 12, 20-33
Les lectures : Jérémie 31, 31-34 ; Psaume 50 (51) ; Hébreux 5, 7-9
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Les lectures de ce dimanche commencent avec un oracle du prophète Jérémie qui annonce une nouvelle alliance entre Dieu et son peuple (31,31-34). Ce court passage se situe dans une grande section du Livre de Jérémie (chapitres 26-32) qui se divise en deux volets.
Une dure et longue épreuve
Le premier (Jérémie 26-29) porte sur la situation actuelle du peuple de Dieu. Jérusalem a été conquise par les Babyloniens et une première déportation fut réalisée en 597 av. J.-C. Certains faux prophètes, tels que Hananya, prétendent que l’exil sera un court désagrément mineur et que les Judéens reviendront à Jérusalem après deux années, mais Jérémie les confronte et réfute leurs propos, annonçant que Dieu maintiendra solidement et longuement la domination de Babylone (28,1-17). Il écrit alors aux déportés pour les encourager à construire des maisons, à planter des jardins, à se marier et à avoir des enfants, car soixante-dix longues années s’écouleront avant la libération (29,1-32). Contrairement aux faux prophètes qui tentent de rassurer le peuple, Jérémie sait que l’exil ne sera pas une simple petite « tape sur la main », mais une dure et longue épreuve pour le peuple. Celui-ci devra entreprendre une sérieuse et profonde réflexion au sujet de l’alliance qu’il n’a pas respecté. Ce sera une longue période de souffrance, qui débouchera cependant sur un véritable salut.
Le deuxième volet (Jérémie 30-32) ne parle plus du présent. Le discours du prophète porte maintenant sur l’avenir heureux qui attend le peuple de Dieu après la longue et difficile période de maturation que sera l’exil. Il annonce non seulement que les déportés reviendront, mais ajoute que Dieu établira une nouvelle alliance avec eux. Jérémie assure la véracité de ses propos en achetant un terrain, alors que Nabuchodonosor et son armée avancent afin, cette fois-ci, de complètement détruire Jérusalem et de déporter un nombre beaucoup plus important de Judéens (32,1-44).
Dans ce deuxième volet, Jérémie met l’emphase sur la question du moment du retour de l’exil, sujet même de la polémique qui l’avait opposé aux faux prophètes. Il emploie diverses formules afin de parler du moment bien précis à venir : « En ce jour-là » (Jérémie 30,8), « En ce temps-là » (31,1), « Vient le jour » (31,6) et « En ces jours-là » (31,29). À quatre occasions, dont le passage qui nous intéresse, il utilise l’introduction « Voici venir des jours » (30,3 ; 31,27 ; 31,31 ; 31,38) afin de parler de cette heureuse période à venir, lors de laquelle une nouvelle alliance sera conclue.
Une alliance englobante
La nouvelle alliance, promise par Dieu et annoncée par Jérémie, sera conclue « avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda » (Jérémie 31,31). Pourtant, au moment où écrit le prophète, le royaume d’Israël est en ruine depuis plus d’un siècle. Sa capitale, Samarie, a été détruite par les Assyriens et une partie de sa population a été déportée à Ninive. Cette promesse divine d’une alliance avec un royaume déchu est surprenante. On pourrait penser qu’elle se réalisera dans le futur, à un moment où l’ancien état se serait reformé, mais l’histoire révèle que le royaume d’Israël ne se releva jamais.
La déclaration de Dieu signifie en fait que l’alliance ancienne conclue avec son peuple demeure toujours. Que le royaume d’Israël ne soit plus qu’un amoncellement de pierres n’empêche pas l’Éternel de renouveler son alliance avec les survivants, aussi éparpillés aux quatre coins de la terre soient-ils. Dieu n’a pas conclu une alliance avec un état organisé ou avec une entité politique, mais avec des personnes. La portée de cette promesse est considérable, car en incluant l’ancien royaume déchu d’Israël dans la nouvelle alliance, Dieu indique qu’il y inclut non seulement les laissés pour compte et les oubliés, mais aussi toute personne faisant partie de son peuple, que ces individus soient puissants ou démunis, qu’ils appartiennent au passé, au présent ou au futur.
Un mouvement inverse
Dans l’oracle relayé par Jérémie, Dieu affirme que la nouvelle alliance ne sera pas comme celle « conclue avec leurs pères, au jour où je les pris par la main pour les faire sortir du pays d’Égypte » (Jérémie 31,32). En effet, cette première alliance passait du haut au bas. Elle provenait du sommet du mont Sinaï, là où Moïse rencontra Dieu, puis elle fut relayée par le grand prophète au peuple se trouvant au pied de la montagne (Exode 19,1-9). La nouvelle alliance, quant à elle, fonctionne dans la direction inverse : elle part du bas, du peuple lui-même. Jérémie précise même que tous connaîtront Dieu « du plus petit au plus grand » (Jérémie 31,34), ce qui pourrait suggérer que, contrairement à l’expérience du Sinaï, les grands ne seront pas les premiers récipiendaires de la révélation divine.
Absence d’intermédiaire
Dans le cadre de la première alliance, la Loi passait par l’intermédiaire de Moïse. Venant du Seigneur et reçue par le prophète, elle était ensuite transmise aux Hébreux (Exode 19,1-9). Dans le cas de la nouvelle alliance, la Loi est donnée directement par Dieu à son peuple ; il la met « au-dedans d’eux et l’inscrit sur leur cœur » (Jérémie 31,33). Elle ne passe plus par l’intermédiaire d’un enseignant unique, mais est déjà connue par chacun (v. 34).
Cette absence d’intermédiaire permet aussi d’observer que la nouvelle alliance est foncièrement intérieure. L’alliance au Sinaï est davantage décrite en termes externes : le peuple l’avait entendue de la bouche de Moïse, puis intégrée. Alors que la nouvelle alliance annoncée par Jérémie est dès le départ inscrite dans le cœur des membres du peuple de Dieu. Elle ne passe pas par les organes partiellement externes que sont les oreilles, mais prend racine dans l’intériorité même de chaque personne.
Des nombreux parallèles
La lecture de l’Évangile d’aujourd’hui reprend plusieurs thèmes présents dans l’oracle de Jérémie. De tous les prophètes de l’Ancien Testament, c’est avec Jérémie que Jésus présente la plus grande parenté de pensée.
On note tout d’abord que, comme le prophète de l’Ancien Testament, Jésus met l’accent sur le moment de l’arrivée tant attendue du salut : « L’heure est venue » (Jean 12,23), « cette heure » (v. 27), « cette heure-ci » (v. 27), « maintenant » (v. 27.31).
On remarque ensuite que, bien qu’il soit bouleversé à l’idée de la crucifixion, Jésus ne tente pas de se défiler de l’épreuve à venir, comme essayaient de le faire les faux prophètes de l’époque de Jérémie qui ne voulaient pas accepter la dure réalité d’un long exil. Le Christ en effet accueille ce moment, car c’est l’instant longuement espéré du salut.
On observe également que ce salut se réalise dans l’élévation de Jésus sur la croix, qui est un mouvement vers le haut, semblable à celui de la nouvelle alliance annoncée par Jérémie.
Une alliance encore plus intime et englobante
L’alliance conclue en Jésus surpasse cependant celle annoncée par Jérémie en ce qui a trait à la proximité et à la portée. En effet, en affirmant que Dieu allait inscrire sa Loi sur le cœur de son peuple, Jérémie avait mis en valeur le caractère intime et intérieur de la nouvelle alliance. Celle conclue en Jésus réalise cette proximité de façon étonnante, voire inimaginable pour les Juifs de l’époque, puisque le Verbe se fait chair et participe de l’intérieur à notre humanité. Comment Dieu pourrait-il se faire plus proche de son peuple?
De plus, en incluant le royaume déchu d’Israël, Jérémie avait révélé le caractère englobant de la nouvelle alliance. Mais celle qui se réalise dans le Christ est universelle, car toute l’humanité est entraînée à la suite du Fils dans son glorieux retour vers le Père : « Et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » (v. 32).
En cette période de Carême, alors que nous nous préparons pour Pâques, souvenons-nous que nous célébrons un moment de joie et de délivrance attendu depuis longtemps. Cet instant de salut, Dieu l’a réalisé à répétition tout au long de l’histoire de son peuple, de manière éclatante avec le retour de l’exil et en plénitude avec la résurrection du Christ. Le Seigneur nous donne ainsi l’assurance que nos temps d’épreuve ne sont jamais vécus en vain, car il a tenu sa promesse de salut et continue de le faire encore aujourd’hui et pour toujours.
Francis Daoust est bibliste et directeur de la Société catholique de la Bible (SOCABI).
Source : Le Feuillet biblique, no 2838. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.
