L’appel de Pierre et André. Pietro da Cortona, c. 1626-1630.
Huile sur toile, 28,7 x 57,4 cm. Musée Fitzwilliam, Université de Cambridge (Wikipédia).

Que cherchez-vous?

Yves GuillemetteYves Guillemette | 2e dimanche du Temps ordinaire (B) – 14 janvier 2024

Le témoignage des premiers disciples : Jean 1, 35-42
Les lectures : 1 Samuel 3, 3b-10.19 ; Psaume 39 (40) ; 1 Corinthiens 6, 13b-15a.17-20
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Le passage d’évangile (Jean 1,35-42) que nous offre la liturgie de ce dimanche situe l’action dans le cadre d’une semaine inaugurale, plus précisément au troisième jour. Avant de commenter le récit de la venue à Jésus de ses premiers disciples, il est intéressant de le situer dans le contexte plus général du chapitre premier de l’évangile de Jean.

Un prologue en deux temps

Le premier chapitre de l’Évangile selon saint Jean se présente comme un prologue en deux temps. Le premier temps est bien connu : c’est un prologue théologique, une hymne solennelle au Verbe de Dieu (1,1-18) qui commence avec les mêmes premiers mots que la Bible, au livre de la Genèse : Au commencement… Le Verbe de Dieu quitte l’intimité divine pour prendre chair et épouser la condition humaine et établir sa demeure au sein de l’humanité. L’hymne se termine en affirmant que la mission du Fils unique, le Verbe, est de révéler le Père, de nous conduire à le connaître jusque dans la pleine communion de son amour. On entend déjà Jésus se définir comme le Chemin, la Vérité et la Vie (Jean 14,6).

La suite du chapitre (vv. 19-51) est en continuité avec l’hymne au Verbe. Ces versets forment un prologue d’un autre type, historique cette fois. L’évangéliste nous présente les premiers gestes et les premières paroles du Verbe fait chair, répartis sur une période d’une semaine où chaque jour est introduit par la formule le lendemain. Le thème de cette semaine est l’avènement de Jésus comme Messie auquel Jean le Baptiste rend témoignage devant les autorités religieuses, puis devant ses propres disciples [1].

La semaine inaugurale de Jésus

Il peut être intéressant pour l’esprit d’évoquer une autre semaine inaugurale, celle où Dieu crée le monde par la puissance de sa Parole; Parole d’une efficacité telle qu’elle réalise ce qu’elle dit. Le septième jour, Dieu achève son œuvre et en admire la beauté. La semaine inaugurale de Jésus dans le 4e évangile commence par l’activité de Jean venu comme témoin pour rendre témoignage à la Lumière afin que tous croient par lui (vv. 6-8).

L’évangéliste rapporte le témoignage officiel de Jean devant les autorités religieuses de Jérusalem intriguées par sa prédication et son baptême (vv. 19-28). À la question insistante Qui es-tu? Jean élimine toutes les figures associées à la venue du messie qu’on pourrait lui appliquer. Il n’est pas le Messie (ou Christ), ni Élie dont le retour serait annonciateur du messie (Malachie 3,22-23), ni le prophète que l’on attendait comme un nouveau Moïse (Deutéronome 18,5). Au terme de ce témoignage rendu au Messie par la négative, Jean se désigne comme la voix qui prépare la venue de la Parole, en s’appropriant la prophétie d’Isaïe 40,3.

Le lendemain (deuxième jour), en voyant Jésus venir vers lui, Jean complète son témoignage en l’identifiant comme l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde (v. 29). Cette désignation fusionne l’image du Serviteur de Dieu qui porte le péché des hommes (Isaïe 53) et le rite de l’agneau pascal symbole de la rédemption d’Israël [2]. L’évangéliste note que le témoignage de Jean a une grande valeur parce qu’il a vu l’esprit descendre, tel une colombe venant du ciel, et demeurer sur lui […] c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint (vv. 32-33). Et Jean de conclure à la vérité de son témoignage : Et moi, j’ai vu et je témoigne que celui-ci est l’Élu de Dieu (v. 34). Notons ici la présence du verbe voir, si important dans la théologie de Jean.

Les premiers disciples de l’Agneau de Dieu

Après son témoignage devant les autorités religieuses de Jérusalem, Jean Baptiste, le lendemain (3e jour), désigne à ses propres disciples le nouveau maître à suivre. C'est Jésus, l'Agneau de Dieu, l'Élu de Dieu. Le voilà justement qui passe par là. Aussitôt deux disciples quittent Jean et se dirigent vers Jésus. Sentant que quelqu’un marchait sur ses talons, Jésus se retourne et aborde les deux hommes par une question : « Que cherchez-vous? ». Le Verbe de Dieu prend la parole pour la première fois, et c’est par une question que débutent les relations du Verbe de Dieu avec les êtres humains. La réponse des deux disciples sera elle aussi une question : « Où demeures-tu?». Ce premier dialogue entre Jésus et les deux disciples se terminent par une invitation : « Venez, et vous verrez ». C’est une invitation qui ouvre un chemin de foi, et une foi qui sera librement consentie. La foi, en tant que relation personnelle avec le Dieu vivant, ne ressemble-t-elle pas à un chassé-croisé de questions, non seulement les nôtres mais aussi celles de Dieu?

Les deux questions « Que cherchez-vous? » et « Où demeures-tu? » apparaîtront en filigrane dans la démarche d’autres personnages de l’évangile johannique. Pensons à Nicodème qui vient trouver Jésus de nuit pour approfondir sa connaissance de ce rabbi, ce maître étonnant qui vient de la part de Dieu (3,1-10), mais qui retourne chez lui avec encore plus de questions. C’est à la fin de l’évangile que l’on saura qu’il est devenu disciple de Jésus (19,39). Pensons aussi à la Samaritaine que Jésus accompagne dans son cheminement vers la connaissance de Dieu et qui, après avoir vu, témoignera que Jésus est le Sauveur du monde (4,1-42). Le fonctionnaire royal qui vient trouver Jésus pour lui demander de guérir son fils vit la même expérience de croire à la parole de Jésus (4,43-56).

Ils virent où il demeurait

Les deux disciples ont répondu librement à l’invitation de Jésus. Ils sont entrés dans la demeure de Jésus, sans doute au sens premier de résidence. Mais en langage johannique, la demeure de Jésus c’est sa communion avec le Père dont il parlera si souvent. C’est aussi dans cette communion qu’il veut conduire tous ceux qui croiront en lui. Demeurer en Jésus, c’est garder sa parole : Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure (14,23). Demeurer en Jésus, c’est aussi manger sa chair : Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui (15,56).

La comparaison avec les sarments et la vigne enseigne qu’une union intime et féconde se forge entre Dieu et le chrétien, lui permettant ainsi de demeurer en Dieu, de porter du fruit et de vivre éternellement : Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est, comme le sarment, jeté dehors, et il se dessèche. Les sarments secs, on les ramasse, on les jette au feu, et ils brûlent. Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voulez, et cela se réalisera pour vous. Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit et que vous soyez pour moi des disciples (15,5-8). Il faut relire les chapitres 14 et 15 de Jean pour en apprendre davantage sur la vocation et la condition de vie des chrétiens appelés à devenir les disciples de Jésus.

Enfin, André, – l’un des deux disciples qui avaient entendu la parole de Jean et qui avaient suivi Jésus –, ayant vu où Jésus demeure, communiquera son expérience de foi à son frère Pierre, en lui faisant part de sa découverte : « Nous avons trouvé le Messie – ce qui veut dire : Christ. » Et il amène son frère à Jésus pour qu’il entre à son tour dans une relation personnelle avec le Christ Jésus. Pour Jean, le témoignage repose sur l’expérience de voir Jésus et de croire en lui : ainsi en est-il du témoignage de Jean à ses propres disciples, de celui d’André à son frère Pierre, et plus tard de celui de Philippe à Nathanaël (v. 45).

Et nous aujourd’hui

Les deux questions « Que cherchez-vous? » et « Où demeures-tu? » reflètent la dynamique de l’expérience de la foi. La foi n’est possible que lorsque deux désirs cherchent à se rencontrer. Le désir de Dieu est de révéler son amour aux êtres humains. Le désir de l’être humain est de trouver un sens à sa vie. Dieu et l’être humain ont besoin l’un de l’autre pour combler leur désir, pour entrer dans une relation d’alliance. Ils ont besoin de se mettre en mouvement, de se chercher afin de demeurer ensemble dans une communion de vie et d’amour.

L’invitation « Venez et voyez » attend notre réponse. C’est l’invitation à faire l’expérience de la rencontre de Jésus et de l’entrée progressive dans la connaissance de son identité de Fils de Dieu. En même temps, il nous conduira à une meilleure connaissance de nous-mêmes. Nous viendrons à lui avec nos fragilités, nos questions et nos inquiétudes; nous viendrons aussi avec nos joies, nos grandeurs et nos aspirations. Mais nous apprendrons de Jésus à nous regarder avec les yeux mêmes de Dieu et à nous laisser envelopper par son amour, puisque Dieu nous considère comme ses filles et ses fils bien-aimés.

Seul l’amour est digne de foi, disait le théologien H. U. von Balthasar. C’est parce que Dieu est amour que je peux croire en lui et confier ma vie au Christ en qui le Père a voulu incarner son amour. C’est cet amour d’une densité et d’une qualité insurpassables qui peut combler notre désir de vivre et d’aimer pleinement : La volonté de Celui qui m’a envoyé, c’est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés, mais que je les ressuscite au dernier jour […] Nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire, et moi je le ressusciterai au dernier jour (Jn 6, 39.44).

Cette première rencontre de Jésus et de ses premiers disciples nous révèle que la vie chrétienne consiste à tout faire pour demeurer de plus en plus auprès de lui afin qu’un jour notre demeure soit en Dieu. N’hésitons pas à suivre Jésus tout en le poursuivant de nos questions. Mais attendons-nous toutefois à ce qu’il nous pose sa question favorite : « Que cherchez-vous? »

Yves Guillemette est curé de la paroisse Saint-Léon de Westmount et directeur du site interBible.org.

[1] La semaine inaugurale se termine par le signe de Cana, qui a lieu le troisième jour après la rencontre de Philippe et de Nathanaël : Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui (2,1-12).
[2] Voir la note k pour Jean 1, 29 dans la Bible de Jérusalem (édition 1973).

Source : Le Feuillet biblique, no 2829. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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