
L’offrande de la veuve. James Tissot, entre 1886 et 1894.
Aquarelle et graphite, 18,3 x 28,1 cm. Brooklyn Museum, New York.
La foi et les œuvres
Benoît Lambert | 32e dimanche du Temps ordinaire (B) – 10 novembre 2024
L’offrande de la veuve : Marc 12, 38-44
Les lectures : 1 Rois 17, 10-16 ; Psaume 145 (146) ; Hébreux 9, 24-28
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Les chrétiens et les chrétiennes sont divisés sur la question de ce qui est nécessaire pour être sauvé. Faut-il avoir seulement la foi ? Faut-il avoir la foi et aider son prochain ? Les catholiques adoptent la seconde option. Certaines dénominations protestantes ont la conviction que la foi en Jésus Christ est l’unique condition pour atteindre la sainteté. Les lectures de cette célébration liturgique contribuent à alimenter les discussions théologiques sur cette différence fondamentale entre certains protestants et les catholiques.
Les veuves
Israël, dans l’Ancien Testament, était une société patriarcale. Sans père ou mari, les orphelins et les veuves sont devenus les groupes de personnes les plus vulnérables. Dans les premiers siècles de l’histoire du peuple élu, les femmes sont comme la propriété de leur époux. Un autre mâle peut hériter de la compagne du défunt (2 Samuel 16,20). Plus tard, leur situation s’est améliorée. Les veuves peuvent retourner dans leur famille lorsque leur mari décède. Si elles n’ont pas de famille, elles peuvent être l’objet de violences et d’exploitation (Job 22,9).
Elles peuvent glaner dans les récoltes pour se nourrir (Deutéronome 24,19). Protéger une conjointe dont le mari a rendu son dernier souffle devient un acte de piété (Isaïe 11,17). Malgré cette amélioration de leur sort, les veuves demeurent, dans le Nouveau Testament, des êtres qui sont exploités par les scribes (Marc 12,43). Elles sont souvent pauvres comme la veuve présente dans l’Évangile de cette messe.
Un prophète humilié ?
Dans la première lecture, YHWH ordonne à Élie de fuir le territoire occupé par les fils et les filles d’Abraham. Sa vie est menacée par les plus hautes sphères du pouvoir civil parce que le prophète dénonce le culte polythéiste introduit par la reine païenne Jézabel. YHWH a puni le peuple saint en provoquant une sécheresse qui a duré plusieurs années. Élie subit ce qui pourrait être deux humiliations. Au lieu de guider son serviteur vers un lieu pur, Dieu l’envoie en territoire païen considéré comme impur par les Israélites. De plus, YHWH mène son serviteur chez une veuve païenne, une personne sans vrai statut social, démunie. Mais Élie obéit à l’Unique. Il a foi en Lui et ne se plaint pas de sa destination.
La veuve accueille l’homme de Dieu. Elle partage ses dernières victuailles avec l’étranger. Elle lui fait confiance quand il affirme qu’elle ne manquera de rien. Et c’est ce qui arrive. La veuve et son fils auront toujours de quoi se nourrir. Elle est allée au-delà de ses réticences légitimes et cette confiance a été récompensée. La foi et le geste de générosité de l’indigente prouvent que les deux composantes sont essentielles pour être sauvé.
Un don parfait
Dans la Bible, les sacrifices d’animaux permettent d’exprimer la relation qui existe entre la divinité et l’humanité. La fumée de ces oblations est une odeur qui plaît à YHWH (Lévitique 1,13). Les personnes qui offrent un animal redonnent au Créateur une portion de ce qu’il a créée. En faisant un don sincère, ils se rapprochent de Dieu. Dans la religion juive, le plus grand sacrifice était fait le jour du pardon, le Yom Kippur, dans le Saint des Saints, l’espace le plus sacré dans le Temple de Jérusalem. Le grand-prêtre, le religieux le plus élevé dans la hiérarchie cléricale israélite, était le seul qui était habilité à pénétrer dans ce lieu pour procéder au rite sacrificiel.
Mais ce sacrifice est temporaire. Il est à recommencer à chaque année. Seul le sacrifice du Christ a permis de lier éternellement la Trinité et l’humanité. Jésus a dépassé ses hésitations humaines en faisant totalement confiance au Père qui avait promis de le ramener à la vie après sa mort. Jésus est donc ressuscité parce qu’il a cru et parce qu’il a effectué l’acte altruiste ultime : il a consenti à mourir pour que ses frères et sœurs humains puissent accéder au Royaume.
Sans foi ou sans œuvres
L’évangile de la veuve et du pharisien démontre que la générosité sans foi n’est qu’un geste tourné vers les récompenses terrestres plutôt que célestes. D’abord, dans cette Bonne Nouvelle, Jésus dénonce les scribes qui exploitent les veuves. Les scribes étaient des fonctionnaires cultivés (ils savaient lire et écrire, privilège que n’ont pas la majorité des Israélites) qui rédigeaient des documents émanant du pouvoir religieux ou civil. Membres d’une classe sociale élevée, ils prient, font l’aumône et jeûnent en prenant bien soin de le montrer au public. Ainsi, ils se forgent une bonne réputation de piété. Mais Jésus connaît leur cœur. Leur dévotion est superficielle, sans foi. Ils sont comme la branche du figuier desséché où la sève ne circule plus. Leur intériorité s’est asséchée et ils sont devenus égoïstes.
Dans la seconde partie de l’Évangile, l’épisode débute avec un pharisien qui fait une offrande monétaire substantielle. Les pharisiens constituent un des groupes religieux bien implanté dans la communauté juive. Ils croient que la vérité se retrouve dans l’Écriture et la Tradition qui est composée de commentaires rabbiniques rédigés au fil des siècles et qui portent sur l’Ancien Testament. Ils se préoccupent de la signification des livres sacrés comme Jésus. Leurs adversaires sont les sadducéens qui, pour la plupart, font partie de l’aristocratie du peuple saint. Pour eux, la vérité est uniquement contenue dans la torah. Comme les scribes, Jésus dénonce la foi superficielle des deux groupes. Et il prend l’exemple de la veuve qui donne peu pour démontrer ce qu’il condamne. Le pharisien, comme les scribes, donnent de l’argent au Temple pour acquérir la réputation d’homme vertueux. Son aumône est un geste dénué de gratuité, de désintérêt. La veuve donne peu. Mais elle a confiance en Dieu. Malgré sa pauvreté, elle donne un montant qui empiète sur ce dont elle aurait besoin financièrement pour vivre. Jésus constate son humilité, son désintérêt. Sa générosité n’attend rien en retour. Elle accomplit ce geste charitable parce qu’elle recherche les biens du paradis.
Tout au long de son histoire, l’Église a connu des membres du clergé qui n’avaient pas une foi sincère ou qui ne pratiquaient pas la charité. Les responsables ecclésiaux sont davantage touchés par la condamnation de Jésus puisqu’ils sont les guides, comme les pharisiens et les sadducéens à l’époque de Jésus, des gens qui cherchent le salut. Les autorités de l’Église qui recherchent leur intérêt au lieu de mettre le Christ au centre de leur vie n’auront pas accès au Royaume. Cette mise en garde s’adresse aussi à tous les croyants et croyantes. Il faut croire et être charitable pour avoir accès aux biens éternels.
Détenteur d’une maîtrise ès arts (théologie) de l’Université Laval, Benoît Lambert a rédigé des articles et des brochures pour plusieurs revues religieuses (Vie liturgique, Revue Notre-Dame-du-Cap). Il collabore au Feuillet biblique depuis 1995.
Source : Le Feuillet biblique, no 2864. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.
