(Jan Huber / Unsplash)

Chaque branche à sa place!

Alain FaucherAlain Faucher | 5e dimanche de Pâques (B) – 28 avril 2024

L’image de la vigne et des branches : Jean 15, 1-8
Les lectures : Actes 9, 26-31; Psaume 21 (22); 1 Jean 3, 18-24
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Ce cinquième dimanche de Pâques est centré sur des certitudes. Un récit sur l’Église naissante, une exhortation sur la vie courante, une allégorie de l’Évangile offrent un regard cumulatif sur les conditions d’appartenance à la famille divine.

Dans la première lecture, les Actes des Apôtres racontent l’assurance manifestée par le nouveau disciple Paul. Lorsqu’il commença à proclamer la Seigneurie de Jésus, sa fermeté assurée donnait de bons fruits, des fruits de croissance ecclésiale. L’Église se construisait et se multipliait.

De même, dans l’Évangile selon Jean, Jésus n’hésite pas à se présenter comme la vigne où s’insèrent les branches multiples et fécondes. Ce qui est mort, en surplus et improductif est sans utilité et doit être brûlé. C’est l’abondance qui manifeste la gloire de Dieu.

Ce qui garantit la fécondité, c’est l’observance des commandements. En témoignent l’Évangile et la deuxième lecture. Cette manifestation évidente d’appartenance à l’alliance s’incarne dans l’observance du commandement nouveau donné par Jésus, un commandement de réciprocité. Si notre cœur ne nous accuse pas, nous avons de l’assurance devant Dieu, et nous demeurons en lui. Qui demeure en Jésus peut demander ce qu’il veut : dans le cadre de l’alliance, cela devient réalisable.

L’arbre est dans ses branches

Au printemps, lorsque la neige finit par fondre, les terrains boisés sont souvent jonchés de branches mortes. Un peu à regret, on les recycle ou on les brûle. On sait qu’un retour au tronc est impossible pour une branche tombée de l’arbre depuis un certain temps. On n’a pas besoin de nous expliquer l’alternative claire qui est le lot normal de toutes les branches : « Tu es rattachée au tronc et tu vis ; tu es séparée et tu es morte ».

Jésus affirme à ses auditeurs la nécessité d’être reliés au Père comme la branche de vigne à son tronc. Voilà une étonnante certitude pour notre société où on se fait gloire de ne dépendre de personne, d’agir avec son seul pouvoir. Non, le bonheur ne consiste pas à vivre dans un silo étroit, qui nous isole des autres...

Le point de vue de la Bible sur l’appartenance au groupe est différent des idées qui vont désormais de soi. Lorsqu’il a voulu transmettre son expérience de l’action positive du Ressuscité, Paul en a vite fait l’expérience. L’appartenance au groupe est une priorité dans l’aventure de la foi. Dans notre littérature sacrée, le groupe d’appartenance du prophète ou du disciple fonctionne comme une parabole de notre appartenance individuelle et collective avec le Dieu de Jésus.

Il n’y a donc pas d’automatisme pour garantir notre appartenance. Il faut passer par un moment exigeant de décision et d’adhésion. Elles sont multiples les conditions pour traduire dans le concret notre appartenance. Saurons-nous réussir le « test de la branche verdoyante »?

Je m’explique. Une fois par année, c’est le massacre dans le potager. Il faut examiner chaque tige de framboisier et décider de son sort. La tige est brune et sèche parce qu’elle a donné du fruit pendant l’été? Aucune discussion : on la coupe, on l’enlève, on la met en paquet avec ses comparses et on s’en débarrasse en respectant les règlements municipaux. La tige est encore verte et prometteuse? Le traitement est bien différent. On la dégage, on s’assure que rien n’est brisé… et on anticipe la récolte de l’été prochain. Les framboisiers, ça pousse tout seul… mais en réalité c’est « bien de l’ouvrage » pour s’assurer de beaux fruits!

Dans l’évangile de ce dimanche, Jésus adopte le point de vue de « la vraie vigne ». Il ne peut éviter le sécateur et le petit feu de camp. Rien n’échappe à son œil averti. Ce qui ne porte pas de fruit est enlevé. Ce qui donne encore du fruit est nettoyé et voit son rendement augmenté. Avec effet immédiat : « vous, déjà vous voici nets et purifiés » (Jean 15,3). Cette préoccupation pour « davantage de fruit » conteste notre laisser-faire devant la productivité de notre vie spirituelle. Comme chrétiens engagés, nous prenons rarement le temps de compter les fruits de notre insertion dans la société. Selon Jésus, l’abondance indique pourtant la fécondité de la relation du Père, du Fils et de l’humanité : « Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous donniez beaucoup de fruit : ainsi, vous serez pour moi des disciples. » (Jean 15, 8)

Un monde différent

Nous sommes invités aujourd’hui à ne plus nous limiter à ce que propose la société de consommation. Dieu nous convoque à être humbles et réalistes, en portant du fruit en Jésus, par lui, avec lui, en lui. Pas seulement par moi, pour moi... Accepter de porter du fruit dans l’espace de liberté qu’est Jésus? Oui! Parce que Jésus est le vrai Fils de Dieu (donc intimement relié à lui), il nous ouvre la vraie vie avec Dieu.

Le défi proposé aujourd’hui, c’est de nous engager dans le cercle vertueux de l’amour. Notre communion avec Jésus fait de nous un grand organisme vivant, l’Église. Une même sève nourrit cette plante éternelle, capable de supporter tous les vents, toutes les tempêtes, toutes les gelées. Choisirons-nous à nouveau de faire partie d’une vigne vigoureuse, le grand Corps du Ressuscité, l’Église? Saurons-nous tenir bon à cette appartenance en apportant au groupe le meilleur de notre créativité? Beau projet de présence et d’avenir!

Nous sommes responsables de la réputation de Dieu. Sans nos gestes, sans nos actions, le Dieu en qui nous mettons notre foi ne peut pas changer grand-chose à notre monde bancal. Le Dieu qui veut être la sève de notre vie n’est alors qu’une idée parmi tant et tant de possibilités. Dieu se révèle dans toute son envergure le jour où il devient un critère incontournable pour nos choix, un élément décisif pour nos avancées.

Ainsi, il ne nous condamne pas à tout porter seuls. Au contraire, notre vie trouve sa fécondité lorsqu’elle est améliorée par la vie de Dieu lui-même. Jésus est on ne peut plus clair : « en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire » (Jean 15,5). Agir en fonction de notre appartenance vitale à Dieu, c’est une condition pour le succès de notre vie : « nous devons aimer : non pas avec des paroles et des discours, mais par des actes et en vérité » (1 Jean 3,18). Voilà la base sur laquelle l’Église se construit. Comme jadis (Actes 9,31), l’Église peut avancer et se multiplier.

Le portrait mondial du catholicisme nous apprend que dans plusieurs contrées, principalement au Sud et en Asie, vitalité et poussées de croissance sont à l’ordre du jour… Ce n’est pas seulement que « l’herbe est plus verte dans le jardin du voisin ». C’est parce que les personnes croyantes de ces pays n’ont pas d’hésitation à se brancher sur l’essentiel et à en tirer… tout le jus disponible.

Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.

Source : Le Feuillet biblique, no 2844. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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