Le Christ appelle ses premiers disciples. Adam Brenner, 1839.
Huile sur toile, 62 x 98 cm. New Walk Museum and Art Gallery, Leicester (Vads).

Entendre l’appel selon son milieu de vie

Christiane Cloutier DupuisChristiane Cloutier Dupuis | 5e dimanche du Temps ordinaire (C) – 9 février 2025

Jésus appelle ses premiers disciples : Luc 5, 1-11
Lectures : Isaïe 6, 1-2a.3-8 ; Psaume 137 (138) ; 1 Corinthiens 15, 1-11
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Avant de parler de l’appel des quatre premiers disciples, Luc prend le temps de situer Jésus dans son évangile : il y a eu le baptême de Jésus (3,21-22), sa généalogie, ses trois tentations par le diable, ses débuts en Galilée, son retour à Nazareth où il dévoile son identité messianique qui lui fut révélée à son baptême! Devant le scepticisme des gens de Nazareth, il répond par ce dicton éclatant de vérité : « Je vous le déclare, aucun prophète ne trouve accueil dans sa patrie. » C’est sa première expérience de rejet. Ce fut probablement le déclencheur d’une réflexion sur le « comment réaliser sa mission ».

Les exemples à suivre ne manquaient pas en Israël : plusieurs prophètes tels qu’Isaïe ou Ézéchiel avaient des disciples. Et les rabbins importants avaient aussi des disciples qui payaient pour être formés. Jésus va donc s’entourer de personnes pour l’accompagner et le soutenir. Comme n’importe quel autre humain, il a besoin d’être avec des gens qui croient en lui, lui font confiance, avec qui il peut partager. Besoin qu’ont expérimenté dans le christianisme, toutes les personnes qui ont fondé des communautés religieuses : avoir des compagnes ou des compagnons qui sont avec elles/eux, participent à l’œuvre, les appuient, les soutiennent et vont aussi pouvoir poursuivre et continuer la mission et l’œuvre quand elles/eux mourront.

La communauté de Luc est composée d’anciens païens de culture gréco-latine qu’on appelle les hellénistes. Dans cette culture, la logique est capitale. C’est dans celle-ci que sont nés les philosophes, les mathématiciens, les physiciens, et autres scientifiques. C’est la culture du CQFD : Ce Qu’il Fallait Démontrer! C’est pourquoi Luc ne peut raconter l’appel des quatre premiers disciples comme en Marc 1,16-20. Ils auraient trouvé ce récit invraisemblable. Marc pouvait se permettre de raconter l’appel ainsi parce que sa communauté était composée en partie de Juifs pour qui cette façon de parler était normale. Peuple de tradition orale, ils savent lire entre les lignes et remplir les espaces manquants. On sait aussi que Marc va toujours au plus important et a condensé son évangile au maximum.

À l’évidence Luc ne connaît pas ce problème. C’est pourquoi il prend le temps de montrer que Simon connaît Jésus puisque celui-ci est déjà allé dans sa maison de Capharnaüm et a guéri sa belle-mère de la « forte fièvre » dont elle souffrait (Lc 4,38-39). Ce n’est donc pas un hasard si Jésus s’adresse à lui sur le bord du lac de Gennésareth, monte dans sa barque et lui demande de quitter le rivage. Ils se connaissent déjà. Ce détail montre que l’appel est logique et crédible pour la communauté lucanienne. Cette péricope souligne deux moments importants.

Dans un premier moment, Luc souligne que la foule se serrait contre lui à l’écoute de la parole de Dieu. Là est la mission de Jésus rappelée en Lc 4,18-19 : L’Esprit du Seigneur est sur moi… pour annoncer la Bonne Nouvelle… proclamer aux captifs la libération… proclamer une année d’accueil par le Seigneur. Luc montre un Jésus en mission qui répond à un immense besoin du « peuple », à une telle soif de Dieu qu’on l’entoure au point de l’étouffer. C’est la raison pour laquelle, voyant des pêcheurs qui lavaient leurs filets, il monta dans l’une des barques, et demanda à Simon de quitter le rivage et d’avancer un peu. Luc ajoute : De la barque, il enseignait les foules. Cela montre clairement Simon, assis dans la barque avec Jésus, écoutant lui aussi cet enseignement. On doit tenir compte de ce fait!

Dans le deuxième moment, c’est l’appel. Luc prépare le terrain pour la « pêche dite miraculeuse » et l’appel. On a vu que Simon connaît déjà Jésus et il vient de l’entendre proclamer sa Bonne Nouvelle durant plusieurs heures. C’est pourquoi quand Jésus lui demande d’aller en eau profonde pour jeter les filets, il acquiesce malgré l’échec de la nuit, en disant « sur ta parole, je vais jeter les filets ». Simon n’obéit pas en robot programmé et il n’y a pas de pensée magique. C’est un acte de confiance totale envers Jésus après l’avoir écouté. C’est une leçon importante du récit : la confiance, non pas aveugle, mais basée sur l’expérience et sur l’écoute de la parole : Jésus avait déjà guéri sa belle-mère et il venait de l’écouter proclamer « la parole ».

On connaît la suite : une pêche extraordinaire! Ce qui va entraîner chez Simon un sentiment d’infini respect qu’on retrouve dans l’Ancien Testament quand on parle de « crainte révérencielle ». Ce n’est pas de la peur mais une prise de conscience d’un moment sacré qui dépasse l’entendement. C’est ce sentiment qui l’amène à dire à Jésus : « Éloigne-toi de moi car je suis un homme fautif (ou qui se trompe, commet des erreurs ; traduction littérale) et non pas « je suis un pécheur ». Pourquoi? Parce que les mots pécheur, péché et pécher n’ont jamais existé en araméen ou en hébreu et n’existent toujours pas en hébreu moderne. « Je suis un pécheur » est une traduction morale qui s’arrime avec la doctrine chrétienne.

Luc montre un Simon qui prend conscience de sa faiblesse en tant qu’être humain et qui veut s’assurer que Jésus en est conscient. Et Jacques et Jean, fils de Zébédée, les deux pêcheurs de l’autre barque, furent saisis du même sentiment. C’est alors que Jésus dit à Simon (Pierre) : « Ne crains pas… à partir de maintenant tu seras pêcheur d’humains ». Et le texte se termine par ces mots : « Ayant ramené les barques sur terre, ayant abandonné tout, ils le suivirent. »

Réflexion et appropriation du texte

Comment actualiser ce récit pour des personnes du 21e siècle qui sont aux antipodes de ce monde et que cette pêche « miraculeuse » laisse indifférent. Quatre points semblent intéressants : métier, confiance, appel et choix face à l’appel.

Le métier

Ce sont des pêcheurs. Au temps de Jésus, ceux-ci étaient vus comme des impurs car leur métier les amenait à ramasser dans leurs filets des poissons impurs selon la Torah. Ils touchaient donc ces poissons, ce qui les rendaient ipso facto impurs et en plus, ils les vendaient aux étrangers (autrement dit aux païens) qui les préféraient car ces poissons dits « impurs » auraient été bien meilleurs au goût selon la recherche! On sait aussi que les pêcheurs étaient analphabètes. La leçon à retenir est que Jésus choisit ce qui paraît le moins bien au niveau social et religieux comme disciples pour partager sa mission. Ce choix fait comprendre que « toute personne est appelée par Dieu », peu importe son statut social, économique ou la place qu’elle occupe selon les critères moraux de sa religion. Pour Jésus, c’est l’être dans la personne qui l’intéresse : son cœur, son esprit.

La confiance

Pour nous aujourd’hui, la confiance se développe au contact de la Parole, de son écoute. C’est dans le quotidien, au fil des jours, des heures selon ce que l’on vit, qu’on expérimente les effets de la Parole entendue. C’est là qu’on fait l’expérience de sa Présence agissante. C’est cette expérience vécue ou sentie de sa Présence qui nourrit cette confiance et la fortifie. Et pour entendre l’appel, il faut cette confiance en la capacité de la Parole de changer les choses.

L’appel

L’appel lancé en fonction de qui ils étaient, de leurs qualités et compétences mais aussi de leurs faiblesses ou tendance à l’erreur. Lancé en fonction de leur milieu de vie, de ce qu’ils étaient capables de faire ou non. C’est pareil pour nous : peu importe notre état aux yeux des « purs » de notre Église, peu importe notre faiblesse physique, intellectuelle ou morale, l’appel est pour chacun.e d’entre nous. Car Dieu a besoin de nous là où nous sommes, en santé ou non, riche ou pauvre, d’une intelligence remarquable ou non. Car là où nous sommes, personne d’autre ne peut y être! Il faut en être convaincu. Il a besoin de nous!

Le choix

Si on accepte, suivre l’enseignement du Nazaréen oblige à faire des choix, dépendant de ce qu’est notre vie, notre entourage ou des besoins autour de nous. Il ne demandera jamais ce qu’on ne peut faire. Juste ce qui est à notre portée pour être utile « à l’autre » qui nous entoure, peu importe qui est cet autre. C’est à nous de décider!

Conclusion

Si j’ai entendu aujourd’hui cette parole d’évangile, c’est parce que je fais partie moi aussi des appelé.e.s. Ce qui est important à retenir : que Dieu m’a choisi.e en fonction de qui je suis et de ce que je suis capable d’accomplir. Dieu me connaît mieux que moi-même et m’accepte dans mon entièreté : quelqu’un passible de se tromper, de s’enfarger, d’avoir des problèmes de santé, d’argent, etc… mais aussi quelqu’un avec des qualités, des aptitudes, des talents. C’est de tout cela dont Il a besoin. Il sait qui est l’être humain et connaît ses faiblesses. Mais c’est Lui qui nous a désirés et nous aime ainsi. Et c’est tels que nous sommes qu’Il a besoin de nous pour que l’humanité se porte mieux.

Formatrice spécialisée en études bibliques, Christiane Cloutier Dupuis détient un doctorat en Sciences religieuses (option Exégèse) de l’UQÀM.

Source : Le Feuillet biblique, no 2877. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation écrite du site interBible.org.

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