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             Un veilleur 
              attentif,  
              généreux 
              et tenace! 
              
            L'heure est venue de sortir de votre sommeil (Romains 13, 
              11). 
             
            Veillez donc, car vous ne connaissez pas le jour où votre 
              Seigneur viendra. 
              (Matthieu 24, 44) 
              
            Il y a quelques années alors que j'attendais le métro 
              dans la station Times Square dans la ville de New York, une jeune 
              femme de race noire, timide, maigre et de toute évidence 
              sans logis, les cheveux emmêlés recouverts d'une écharpe, 
              s'approcha de moi. 
                 Je sortis quelques dollars de mon 
              portefeuille, pour les lui donner. Puis je remarquai ses pieds. 
              Elle portait des souliers usés jusqu'à la corde, sans 
              chaussettes. Je lui demandai pourquoi. Elle n'avait pas les moyens 
              de s'acheter des chaussettes, expliqua-t-elle... 
                 Je n'avais pas d'autre argent à 
              lui donner. Mais l'image de ses pieds sans chaussettes me poursuivit 
              jusqu'à la maison. Je fouillai dans le tiroir de ma commode 
              et en sortis quelques paires de chaussettes épaisses, presque 
              neuves, et mis le tout dans un sac de plastique. 
                 Les jours qui suivirent, j'attendis 
              la femme au même endroit, à la même heure, mais 
              elle ne revint jamais. Déterminé à ne pas laisser 
              tomber, je montai à l'étage supérieur et m'adressai 
              à la préposée au guichet de jetons... 
                 Après lui avoir demandé 
              d'ouvrir la porte latérale du guichet, je lui remis le sac 
              en la priant de le donner à une mince femme de race noire 
              sans logis qui ne portait pas de chaussettes, que j'avais rencontrée 
              dans la station au milieu de l'après-midi. 
                 Mon horaire de travail m'empêcha 
              de revenir à cette station de métro pendant les quelques 
              semaines qui suivirent. Lorsque je pus enfin me rendre au guichet, 
              la préposée me fit signe d'approcher de manière 
              pressante. 
                 Non, la jeune sans-logis n'était 
              jamais venue. Mais poursuivit-elle, le lendemain du jour où 
              j'avais laissé le sac, deux clochards frappèrent à 
              la porte du guichet et annoncèrent que leurs chaussettes 
              étaient trempées et qu'ils avaient froid aux pieds; 
              ils lui demandèrent si elle n'avait pas de chaussettes sèches. 
                 Elle leur remit mon sac. 
                 Elle n'avait jamais vu ces hommes 
              auparavant, continua-t-elle. Elle travaillait à cette station 
              depuis plusieurs années, et personne ne lui avait jamais 
              demandé de chaussettes auparavant (S. Lipman, Les petits 
              miracles, T. 2, pp. 52-53). 
              
            LIEN: Voilà un excellent exemple de ce qu'est « veiller 
              », au sens de l'évangile. Cet homme a été 
              saisi par la pauvreté d'une inconnue. Il a été 
              poursuivi, dit-il, par l'image de ses pieds sans chaussettes. Les 
              jours suivants, il l'a attendue en vain. Puis il a laissé 
              son don à une préposée au guichet espérant 
              qu'il parvienne à sa destinataire. Finalement, ce sont deux 
              autres pauvres qui ont profité de sa générosité. 
                 Veiller, c'est saisir le moment, 
              l'événement avec tout ce qu'il porte. C'est vivre 
              en étant aux aguets pour reconnaître le visage du Seigneur 
              quand il se présente et tel qu'il se présente. 
                 Il y a là une invitation pressante 
              à ne pas « trier la vie », à ne pas se dérober, 
              à la prendre telle qu'elle se présente avec ses richesses, 
              mais aussi avec ses limites et ses cassures. Il est tellement tentant 
              de vivre dans le rêve, l'imaginaire, ou tout simplement de 
              « dormir au gaz » quand arrive le jour où le Seigneur 
              se manifeste. 
                 « Veillez » n'est pas seulement 
              être réveillé; c'est ouvrir les yeux, voir, 
              se décider et agir. 
            
              * * * * *
            
            « Couvez la vie » 
                 On a parfois envie de trier la vie 
              : « Ça c'est bon à vivre. Ça c'est sans 
              intérêt, ça c'est mauvais ». Un poème 
              de Patrice de la Tour du Pin nous rejette sur toute la vie : « 
              Couvez la vie, c'est elle qui loue Dieu ». 
                 En triant la vie, nous lâchons 
              le réel pour nous laisser déporter vers de l'imaginaire 
              où Dieu n'habite pas. Jésus nous dit que le Père 
              sait nos besoins et nous voit dans le secret, mais il ne va pas 
              aller nous chercher dans nos « si » et nos « ailleurs 
              ». 
                 Le réel veut être vécu 
              ici et maintenant. Pas à regret et à reculons, mais 
              en étreignant l'instant tel qu'il se présente. Lui 
              dire oui c'est le seul moyen de délivrer la vie qu'il recèle. 
                 N'importe quel instant? N'importe 
              lequel. Notre plus grande erreur c'est de vouloir nous évader. 
              Fuir un effort, une montée de tristesse, une personne, la 
              prière, une souffrance. Ce qui nous ferait fuir Dieu alors 
              qu'il nous regarde là. L'aimer et l'adorer ce n'est pas seulement 
              aller se mettre à genoux pour penser à lui. C'est 
              vivre ce qui est à vivre. 
                 Il a fait de nous des vivants parce 
              que lui, le Vivant, il savait le prix de la vie. Quand il a vu qu'elle 
              peut être pour nous très difficile, il a envoyé 
              son Fils au plus doux et au plus dur de nos instants. En Jésus, 
              Dieu nous montre que tout est exploitable. Chaque instant doit être 
              un oui à la vie qui sera notre oui à Dieu. 
                 Mais si je trie, si je n'essaye pas 
              de tout couver, je gaspille ma seule vraie richesse (André 
              Sève, 365 matins, p. 21). 
              
              
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