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             Matilde 
            Oui, le Père cherche des gens qui l'adorent de cette 
              façon. Ils doivent l'adorer avec l'aide de l'Esprit Saint 
              et comme le Fils l'a montré (Jean 4, 24). 
                
              On la connaît comme la fille à la cruche. Par ses rares 
              temps libres, elle vend de la « chicha » (boisson bon 
              marché) dans les rues. Elle aime causer et tout le monde 
              la connaît. Son nom est Matilde. Elle habite un réduit 
              grand comme la main, où son petit de deux ans reste enfermé 
              à clef pendant qu'elle est au travail. 
             
                 Chez la patronne, elle a tout à 
              faire, depuis le gros ménage jusqu'au bain des deux chiens 
              en passant par les courses au marché, la cuisine, le lavage 
              de l'auto et de la camionnette, et le soin des cinq enfants mal 
              élevés. Pour elle, les congés et les fins de 
              semaine n'existent pas. Parfois elle trime depuis tôt le matin 
              jusqu'à tard dans la soirée. À la fin du mois, 
              on lui verse à peine la moitié du salaire minimum; 
              en plus, bien sûr, de la pitance de tous les jours. Le patron 
              a un gros magasin et la patronne, un restaurant, mais ils se plaignent 
              de ne pas faire d'argent; et Matilde les croit. Elle leur est reconnaissante 
              lorsqu'ils l'assurent qu'ils pourraient se passer d'elle et que 
              s'ils l'embauchent, c'est seulement pour lui rendre service. 
             
                 Malchanceuse en amour, Matilde s'est 
              fait abandonner deux fois par des fainéants qui buvaient 
              et la battaient. Marquée par la honte de ses échecs, 
              elle n'ose pas aller à la messe le dimanche; mais quand l'église 
              est vide, la semaine, il lui arrive de s'y faufiler pour allumer 
              une chandelle aux saints et leur faire une courte prière. 
              De l'avis de la patronne, il s'agit là d'une religion d'ignorante; 
              mais Matilde s'en défend bien puisque, d'après elle, 
              ce qui compte c'est le cur. Sur ce sujet, l'avis de la patronne 
              ne l'impressionne pas, car depuis l'arrivée du nouveau curé, 
              elle ne met plus les pieds à l'église; elle dit que 
              des sermons qui parlent de Bible et de justice, elle en a soupé. 
              Quant au patron, il n'est pas méchant, au dire de Matilde, 
              puisqu'il lui permet d'acheter à crédit à son 
              magasin; mais elle l'aime moins, lorsque, pour effacer ses comptes 
              qu'elle est incapable de payer, il lui propose de faire en cachette 
              des choses avec lui, que la patronne serait furieuse d'apprendre. 
              Malgré tout, Matilde est convaincue que les patrons cherchent 
              son plus grand bien et elle fait grand cas d'eux lorsqu'ils lui 
              recommandent de se tenir loin des personnes louchent qui parlent 
              de syndicat. 
             
                 Matilde, cependant, n'est pas tout 
              à fait heureuse. Elle se sent fatiguée, et elle s'inquiète 
              pour son petit qu'elle laisse enfermé pendant les heures 
              de travail, parce qu'elle n'a personne pour le garder et que la 
              patronne ne veut pas le voir chez elle. Bientôt il aura trois 
              ans et il ne parle pas encore un seul mot; il n'a même pas 
              fait ses premiers pas. Matilde se sent coupable (R. Roy, Les Matilde 
              de Tilcara dans Missions Étrangères, 1989, no 12). 
             
            LIEN : Deux femmes, que des siècles d'humanité séparent, 
              mais qui se ressemblent comme deux surs : Matilde et la Samaritaine. 
              Toutes les deux fatiguées de leur vie déréglée, 
              toutes les deux à la recherche d'un répit, toutes 
              les deux lourdement chargées du poids de leurs échecs, 
              du rejet des « bonnes gens », toutes les deux assoiffées 
              d'amour, elle vont « à lasource » quand il y 
              a le moins de danger pour elles d'être regardées de 
              travers et d'entendre les sarcasmes des « gens corrects » 
              qui leur tournent le dos. L'ensemble des signes chez l'une comme 
              chez l'autre nous laisse soupçonner qu'elles sont de ces 
              « petits » à qui le Royaume des cieux est promis 
              en partage. 
             
                 L'attitude de Jésus 
              qui ne dédaigne pas de bavarder avec une femme que la société 
              a mise au ban doit nous inviter à nous faire accueillant 
              à toutes les personnes que la vie place sur notre route. 
              Jamais nous n'avons à nous élever en juges ou en interprètes 
              de leurs intentions : le Seigneur seul peut lire dans les curs 
              et, quoi qu'Il y voie, Il aime inconditionnellement. À nous 
              aussi, le Seigneur veut dire ce matin « je te donnerai une 
              eau vive ». Le carême est une occasion de faire un arrêt 
              au puits; il nous y attend, nous avons tous besoin de nous retrouver 
              en présence de l'amour du Seigneur. Il y a en chacun de nous 
              une soif de bonheur, de sérénité et d'amour 
              que seul le Seigneur peut étancher. 
                
             
              Mon amaryllis  
              Une boîte négligemment renversée,  
              entrouverte, ça pique la curiosité. 
              Je m'y suis laissé prendre. 
              À l'intérieur, un vase, du terreau,  
              un bulbe d'amaryllis en mauvaise posture, l'air piteux. 
              Un court examen me fit voir qu'il y avait encore de la vie : 
              Une pointe jaunâtre, piteuse, assoiffée. 
              Le mieux possible, je le remplaçai en terre  
              et la fit boire généreusement. 
              Un mois plus tard, deux hampes florales. 
              Six magnifiques fleurs d'un rouge riche capable de faire  
              rêver la reine la plus exigeante! 
              J'ai pensé qu'il pouvait en être ainsi pour les curs 
              desséchés... 
              Qui sait? L'eau promise à la Samaritaine ça ressuscite 
              même un cur cinq fois blessé... 
            Abbé Martin Lamarre, 
              Mes saisons... Saisons de Dieu, 1995 
              
            Chronique 
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              Napoléon et le marchand de fourrures 
              
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