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             Il fait 
              noir 
             
              Joseph, ne crains pas de prendre chez toi, Marie (Mattieu 
              1, 20). 
               
               
              Marol est dessinateur conteur. Il intervient dans les écoles. 
              Il reçoit d'Abdel Rani (12 ans) son nouvel ami d'une classe 
              du quartier de la chapelle à Paris ces mots : « Il 
              est une fois, un héros qui s'appelle Rani et qui part à 
              travers le soleil. Le héros qui s'appelle Rani est redescendu 
              sur la terre: il fait noir. Il a trouvé un lampadaire et 
              il continue son chemin ». 
              Ce témoignage est accompagné d'un dessin 
              où tout est noir. Il y a néanmoins un immeuble et 
              un lampadaire sous lequel se tient notre héros. 
              Marol était passé la semaine précédente 
              dans une classe spéciale au cours d'un cycle de rencontres 
              avec des enfants en zone d'enseignement prioritaire. 
              L'instituteur l'avait prévenu : « Abdel 
              est un dur, si vous voulez, je l'emmène avec moi dans la 
              salle des maîtres pendant votre intervention. Je crains qu'à 
              lui seul, il gâche la rencontre! » Marol décide 
              de risquer le tout pour le tout et propose à ce déjà 
              fameux Abdel de rester avec ses camarades. Il commence la rencontre 
              ainsi : « Dans vos noms, il y a des mots. Par exemple dans 
              Abdel, il y a bel, bal... ». 
              Cette ponction dans les noms peu conventionnels de 
              chacun des élèves (Diallo, Anissa, Mourad, etc.) ouvre 
              de nouvelles perceptions et renfloue leur vocabulaire. Les mots 
              sont ensuite collectés au tableau pour que chacun écrive 
              un texte à partir d'eux. Abdel a fini, il fond sur un de 
              ses copains, le serre à la gorge, lui arrache son texte, 
              le déchire. 
              Il a fait fort, en dix minutes il s'est déjà 
              disqualifié. 
              Marol cherche à modérer l'insurrection 
              et demande à Abdel d'aller s'aérer dans le couloir. 
              « Je suis triste, tu sais, tu t'es mis toi-même hors 
              jeu ». 
              Abdel sort. Quelques brèves minutes plus tard, 
              sa tête réapparaît à la porte. Il est 
              invité à revenir avec les autres. Il veut lire ce 
              qu'il a écrit dans le couloir; il venait de recopier au propre 
              les mots de son copain... 
              Marol conclut : « J'ai embrassé Abdel. 
              En nous séparant à quatre heures et demie, il me lançait 
              à toute force : « Tu es mon frère. Qu'Allah 
              te protège! » Le « héros Rani » 
              exilé de la pleine lumière du soleil et perdu dans 
              le noir, avait rencontré un lampadaire! » (Sofian Bojart, 
              Nouvelles clefs, 1999). 
            LIEN : Prendre Marie chez soi, si différente, enceinte du 
              « Tout Autre », reprendre Abdel, le révolté, 
              l'inadapté dans sa classe, demande de traverser la peur et 
              l'angoisse et de faire connaissance avec l'inconnu de l'autre. Permettre 
              ainsi à la vie de prendre toute sa place, à l'amour 
              de grandir. La tendresse ne naît pas de l'impossible, elle 
              engendre seulement le possible. 
              Joseph et Marol, sans tout comprendre, sont passés 
              de la loi à la grâce. Ils ont refusé de juger 
              et condamner. Ils ont fait le pari d'accueillir l'enfant « 
              autre ». 
              Que nous puissions accueillir d'abord l'enfant en nous, 
              accepter, apprivoiser et aimer l'enfant dans l'autre, si bien caché 
              parfois derrière des masques ou sous des dures carapaces. 
            * * * * *  
            Si vous jugez les gens, vous n'avez pas le temps de les aimer (Mère 
              Térésa). 
             
            
              
            Chronique 
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              Pour enseigner la Bible 
              
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