(Isabel Cuasace / Unsplash)

Un pharisien? Un publicain?

Hélène PinardHélène pinard | 9 septembre 2024

La parabole du pharisien et du publicain est connue. Deux personnages dont Jésus fait un portrait-charge. Les deux hommes montent au temple pour prier. Un pharisien qui rend grâce… À qui? Pourquoi? Un publicain qui se tient à distance… De qui? De quoi? Pourquoi? Un justifié, l’autre non! Celui qui s’élève sera abaissé et celui qui s’abaisse sera élevé! Beaucoup d’interrogations pour six versets !

Un pharisien

Dans la parabole (voir Luc 18,9-14), Jésus ne nomme pas le pharisien. Peut-être parce qu’il reconnaît que l’attitude de certains qui étaient convaincus d’être des justes (Lc 18,9) pourrait bien rattraper les humains de tous les temps.

Les pharisiens sont d’abord des hommes profondément religieux qui étudient la Loi et veulent s’y conformer à tout prix. Ils croient sincèrement que le fait de bien pratiquer les exigences de la Loi de Moïse leur vaudra le salut. Dieu ne va-t-il pas reconnaître tous leurs efforts? « Celui-ci (le publicain) descendit chez lui justifié, l’autre (pharisien) non. » (Lc 18,14a) Mais alors que se passe-t-il pour que ces justes ne soient pas justifiés par Dieu?

Une préposition dans le texte grec nous donne une piste de réponse. Le pharisien debout, priait ainsi vers (προς) lui-même (Lc 18,11). Il priait en direction de lui-même. Il se prie lui-même : il s’est créé un dieu à son image. Il se félicite d’être juste. Le Dieu de Jésus ne peut que le laisser à son illusion. Il n’est pas pour autant condamné. Mais il lui faudra découvrir une autre Loi, celle de l’Amour qui se tourne vers les autres, s’il veut bien y consentir.

Un publicain

Le publicain a une réputation qui le précède : voleur, collaborateur de l’occupant romain. Un pharisien se tient très loin de lui. Un ami exégète m’a suggéré que ce pourrait être un chrétien… De fait, à la fin du premier siècle, les chrétiens étaient mal vus par les pharisiens parce qu’ils n’observaient pas la Loi de Moïse. Ils étaient perçus comme une secte.

Tout comme le pharisien, le publicain se tient debout. C’est le même verbe en grec (ιστημι = se tenir debout) qui désigne l’attitude de prière des deux hommes. C’est l’attitude normale pour la prière. « Mais le publicain se tenant à distance, ne voulait même pas lever les yeux au ciel. » (Lc 18,13) Il se tient à distance du pharisien qui le méprise? De Dieu qu’il n’ose pas regarder? De lui-même, de sa réelle identité?

Le publicain se frappait la poitrine en disant : « Mon Dieu, sois favorable [1] à moi le pécheur. » (Lc 18,13) Et il s’en retourne chez lui justifié… différemment (= à côté) du pharisien selon une traduction possible [2]. Il peut être lui-même, dans une relation authentique avec Dieu. On peut aussi envisager qu’il puisse être ouvert à la relation avec le pharisien, si ce dernier le veut bien.

Deux conclusions pour une même parabole

Luc ajoute une deuxième conclusion à sa parabole : « car tout homme qui s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse, sera élevé » (Lc 18,14b). Cette deuxième conclusion colle moins bien à la parabole (voir aussi Lc 14,11), mais rejoint la deuxième conclusion de la parabole précédente : « Quand le Fils de l’homme viendra trouvera-t-il la foi sur la terre? » (Lc 18,8) Dans le contexte de l’Évangile de Luc, ce verbe au futur renvoie à l’attente du Royaume de Dieu. Le Royaume de Dieu ne vient pas à vue d’œil… mais voilà, le Royaume de Dieu est au-dedans vous (Lc 17,20).

En récitatif, le Temple, lieu où nous rencontrons Dieu, se situe dans notre corps et là advient peu à peu le Royaume. Dans une première version du récitatif, les gestes du récitatif traduisent un simple changement : celui qui s’élevait se retrouvait à la place de celui qui s’abaissait. Et ce dernier prenait la place de l’autre… En accueillant le malaise intérieur – ce n’est pas la façon de faire du Dieu de Jésus Christ – et le résultat des recherches pour la vitamine biblique, une nouvelle compréhension du verset a vu jour.

Le geste pour « tout homme qui s’élève sera abaissé » part donc vers le haut pour s’arrêter dans l’espace du Temple intérieur. Et le geste de celui qui s’abaisse commence en bas pour remonter et s’arrêter à ce même endroit.

Être à la juste place

La personne qui s’élève accepte que Dieu lui redonne sa place de fils ou de fille bien-aimé.e. Être abaissé équivaut alors à retrouver sa juste place, à accueillir le salut gratuitement et à vivre la foi, cette relation d’amour à Dieu et d’ouverture à l’autre qui vit à ses côtés.

Le Royaume advient encore quand la personne qui s’abaisse, qui oublie ou ne se reconnaît plus comme l’enfant bien-aimé du Père, reçoit au plus profond d’elle-même la certitude qu’elle a du prix aux yeux de Dieu. Elle retrouve sa juste place et entre dans cette relation d’amour. Voilà le Royaume en elle et par elle, dans le monde.

En faisant ces nouveaux gestes, une participante s’est exclamée : les deux se retrouvent à la même place, à leur juste place!

Ainsi, quand le pharisien se pointe dans nos vies, laissons Dieu lui indiquer la voie du retour à la simplicité, à l’ouverture du cœur. Quand le publicain s’invite en laissant l’impression qu’il n’est rien devant les autres ou devant Dieu, laissons ce dernier le regarder dans les yeux et lui dire : tu es mon enfant bien-aimé.

Hélène Pinard, FCSCJ, est bibliste et transmetteure de l’Association canadienne du récitatif biblique.

[1] Le verbe est différent de celui des dix lépreux (Lc 17,13). La traduction « aie pitié » ne convient pas ici.
[2] Philippe Bossuyt et Jean Radermakers, Jésus, parole de la grâce selon saint Luc. 1 Texte, Bruxelles, Institut d’études théologiques, 1981, p. 71.

Jousse

Récitatif biblique

L'Association canadienne du récitatif biblique propose une chronique mensuelle pour comprendre la discipline spirituelle qui rassemble ses membres. Axée sur la Parole et sur son effet sur l'ensemble de la personne, le récitatif biblique est une forme de méditation où tous les sens sont sollicités.