Le sanctuaire et son autel à corne représenté par une structure métallique (Wikipedia).

Adorer Yahvé, Baal et Astarté au sanctuaire de Dan

Robert DavidRobert David | 12 octobre 2012

La ville de Dan [1] n’avait rien d’une ville exceptionnelle si on la compare aux autres villes du pays. Une chose cependant allait lui fournir l’occasion de se démarquer : la présence d’un sanctuaire royal.

Les textes bibliques racontent que c’est sous Salomon que l’on construisit le temple de Jérusalem. Situé dans la capitale du royaume de Juda, le temple devenait une menace pour les dirigeants du royaume du Nord dans la mesure où, après le schisme de 930, il représentait le symbole de la puissance des dirigeants de la dynastie de David. Pour éviter que le peuple du royaume d'Israël ne se rende à Jérusalem et subisse du même coup la propagande royale davidique, Jéroboam décida de faire construire deux sanctuaires, un au Sud de son royaume, à Béthel, à quelques kilomètres au Nord de Jérusalem, et un autre au Nord, à Dan [2]. Les fouilles du professeur Biran dans la section Nord de tell Dan allaient révéler la présence de ce sanctuaire royal.

Il est peu probable que Jéroboam ait voulu rompre avec les traditions religieuses de ses compatriotes en installant ces sanctuaires sur son territoire. Il désirait probablement fournir des lieux de culte appropriés à une population qui n’aurait plus à se rendre à Jérusalem pour pratiquer son culte à son dieu. Mais, comme une part importante des textes bibliques a été composée et/ou compilée à Jérusalem par des auteurs proches du pouvoir associé au temple de Jérusalem, il ne faut pas s’étonner s’ils jugent sévèrement les actes de personnes qui ne suivent pas la ligne du parti. Il faut donc tempérer les jugements à l’emporte-pièce qui caractérisent certains textes bibliques qui jugent très négativement ceux qui « se sont obstinés dans la voie de Jéroboam » (1 R 16,19.26; 2 R 3,3; 10,29; 13,2….).

Ce que nous voyons aujourd’hui correspond à l'emplacement des sanctuaires de Jéroboam et de ses successeurs. Il faut cependant préciser que les choses ne se présentaient pas ainsi aux archéologues puisque le site a été reconstitué en bonne partie. On peut dire que, grosso modo, le complexe se compose de deux unités : une plate-forme rectangulaire (19 m2) servant de haut-lieu et une enceinte cultuelle (19 m x 8 m) (partie où se dresse une structure métallique sur la photo du haut) située un peu plus bas que la plate-forme. C'est sur cette plate-forme que devait reposer la statue du taureau représentant le siège de Yahvé (par dérision les auteurs bibliques parlent de veau), alors que les sacrifices étaient offerts dans l’enceinte Sud.

L’enceinte cultuelle

Reconstituée en bonne partie par les archéologues, l’enceinte sacrée était isolée des constructions environnantes par une sorte de couloir sur les côtés Sud, Est et Ouest. On ne sait pas vraiment quelle était la hauteur de la construction, mais ses dimensions sont bien délimitées par des murs construits en boutisses et dormants, construction typique de l'époque du IXe siècle. Les archéologues sont assez convaincus qu'il s'agit d'une enceinte sacrée dans la mesure où ils y ont trouvé un petit autel à corne, une partie importante d’un plus grand autel à corne, un petit escalier de cinq marches qui donnait probablement accès au sommet du gros autel à corne, et une figurine de la déesse Astarté. 

La structure de métal au centre de l’enceinte se veut une réplique « aérée » du gros autel tel qu'on peut l'imaginer à partir d'une des cornes retrouvée sur place. C'est donc dans cette enceinte que les prêtres du temple de Dan devaient offrir des sacrifices aux divinités. Je précise ici « aux divinités », car il est plus que probable que se vivait ici une forme de syncrétisme par lequel on adorait Yahvé bien sûr, mais également des divinités cananéennes associées à la fertilité et à l’agriculture tels Baal et Astarté.

grande plate-forme

(photo © Ashley Lauwereins)

La grande plate-forme

Adjacente à l’enceinte cultuelle se trouve la plate-forme du haut-lieu. On accédait à cette plate-forme par un escalier monumental de 8 m de largeur. La plate-forme elle-même était entourée d’un mur construit en boutisses et dormants, ce qui permet de la dater elle aussi de l’époque du IXe siècle. On sait par ailleurs qu'elle resta en usage aux époques hellénistique et romaine. 

Contrairement à l’enceinte cultuelle dont l’accès devait être réservé à la classe sacerdotale, la grande plate-forme devait se trouver à ciel ouvert et permettre à la population d’assister aux cérémonies qui s’y déroulaient et, peut-être, de voir la statue de la divinité, représentation d'un taureau, symbole de force et de fertilité et associé à Baal, ou symbole du trône de Yahvé.

Emplacement du « veau » de Dan?

Un trou dans la grande plate-forme a été interprété, par certains, comme l'emplacement où se trouvait anciennement la statue du taureau (veau) de Dan. Comme on n’a pas retrouvé cette statue, il est difficile de corroborer cette interprétation. L’hypothèse est cependant intéressante dans la mesure où la plate-forme est formée de pierres plates bien disposées les unes à côté des autres. Or, de ce bel assemblage, seul ce trou vient briser l’harmonie. Peut-être est-il le témoin de la réforme religieuse prônée par le texte du Deutéronome qui invitait à abattre les haut-lieux et les statues :

« Démolissez leurs autels, fracassez leurs stèles, réduisez en cendre leurs pieux sacrés, jetez bas les statues de leurs dieux et effacez jusqu'à leurs noms de ce lieu. » (Dt 12,3)

Robert David est professeur honoraire de l’Université de Montréal. Il a enseigné l’exégèse de l’Ancien Testament et l’hébreu biblique à la Faculté de théologie et de sciences des religions de 1988 à 2015.

[1] Dan est la ville qui servait de frontière nord du pays, proche du mont Hermon.
[2] Allez lire 1 R 12 pour voir comment les auteurs bibliques présentent le schisme entre Juda et Israël, l'arrivée de Jéroboam au pouvoir et l'édification des sanctuaires.

Archéologie

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Initiée par Guy Couturier (1929-2017), professeur émérite à l'Université de Montréal, cette chronique démontre l'apport de l'archéologie à une meilleure compréhension de la Bible. Au rythme d'un article par mois, nos collaborateurs nous initient à la culture et à l'histoire bibliques par le biais des découvertes archéologiques les plus significatives.