Détails de la statue d’ Aššurnasirpal II (image © Trustees of the British Museum)

Le palais du roi Aššurnasirpal II

Éric BellavanceÉric Bellavance | 14 septembre 2020

Je vous invite à faire une visite virtuelle et commentée de la salle du trône du palais qu’a fait construire le célèbre roi assyrien Aššurnasirpal II (883-859) dans la ville de Kalhu (aussi connue sous le nom de Nimroud). Ce dernier fut le premier grand roi de la période dite néo-assyrien (911-609), qui verra l’Assyrie devenir le premier véritable empire de l’Histoire. Bien qu’il ne soit pas spécifiquement considéré comme le fondateur de cet empire et qu’il n’ait jamais eu de lien direct avec le peuple d’Israël, Aššurnasirpal II a mis la table pour ce qui allait suivre : la conquête et la destruction du royaume d’Israël (nord) et la quasi-destruction du royaume de Juda (sud).

Les origines de l’Empire assyrien

Vers le milieu du 10e siècle, les Assyriens parviennent à chasser les Araméens – venus du nord de la Syrie – et tentent de les repousser le plus loin possible ; ce qui a favorisé la militarisation du pays et l’extension des frontières du royaume d’Assyrie. Au départ, l’Empire se développe sans programme apparent. À la base, les Assyriens veulent s’assurer que les Araméens ne reviendront jamais et, pour contrer la menace araméenne, ils se lancent dans une offensive militaire à outrance : au nord, au sud et surtout à l’ouest. Pendant plusieurs décennies, ils se battent chaque année! C’est une guerre à peu près perpétuelle. Parce que, selon les Assyriens, leur grand dieu, Aššur, leur demande d’étendre continuellement les frontières de leur royaume. La guerre a donc une base religieuse. Les conquêtes répondent à une volonté divine. Voilà donc le lointain ancêtre des guerres de religion…

Si les campagnes militaires ont des causes religieuses – officiellement du moins – ces campagnes ont également des objectifs économiques. Parce que même si l’Assyrie est riche en céréales, elle doit trouver ses matières premières au-delà de ses frontières – contrairement à l’Égypte, par exemple. Ces guerres permettent donc de se procurer des biens manquants, par la force. Ensuite, les Assyriens rapportent ce qu’ils ont pris comme butin et les tributs (sorte d’impôt annuel) que les rois soumis leur ont versés.

La guerre pour les Assyriens devient une entreprise annuelle ; ils partent au début du printemps et reviennent à la fin de l’été. Cette expérience va finir par leur servir à créer le premier véritable empire. À l’origine, l’objectif n’est pas nécessairement de prendre des villes, mais de s’assurer qu’elles sont prêtes à payer un lourd tribut pour que les Assyriens ne les attaquent pas. Lorsqu’ils ont ce qu’ils veulent, ils repartent. Par contre, si les villes ne payent pas, ou pire, se révoltent contre les Assyriens, vous allez voir ce qui se produit…
 
Dès les premières années de son règne, Aššurnasirpal II mène de nombreuses expéditions militaires dans le nord de la Mésopotamie, en Anatolie (Turquie moderne), dans le nord de la Syrie et contre des cités phéniciennes. Lui et son armée approchent donc dangereusement du nord d’Israël… Partout où ils passent, ils sèment la terreur et la destruction. Pour vous en convaincre, voici quelques extraits d’une campagne militaire du roi Aššurnasirpal II menée dans l’est de l’Anatolie. Le but de l’expédition est de percevoir les tributs des peuples déjà soumis et terroriser les autres pour qu’ils se soumettent eux aussi :

« Sur l’ordre d’Aššur, le grand Seigneur, mon Maître, le 13 du mois d’Ayaru (avril/ mai), je partis de la ville de Kalhu, je traversai le Tigre, et je me dirigeai vers le pays de Qipânu [1]. Je reçus le tribut des princes du pays de Qipânu […] de l’or, du petit bétail et des ballots de laine. Au même moment, je reçus aussi des troncs de cèdre, de l’argent, de l’or […] Je partis de la cité […] et je remontai l’Euphrate. […] Je me dirigeai vers les cités du pays de Dirru. Les villes situées entre les monts Amadânu et Arqanaia, je les incendiai, et je pris possession du pays de Mallânu qui se trouve sur le mont Arqanaia. Je repartis du pays de Mallanu vers les villes du pays de Zamba, et je les incendiai au passage. Je traversai la rivière Tsua et je fis halte (pour la nuit) au bord du Tigre. Je rasai et détruisis les villes situées de part et d’autre du Tigre sur le mont Arqanaia. Tout le pays de Habhu fut épouvanté et se jeta à mes pieds ; j’en pris en otage et j’y installai un gouverneur à moi. De la passe du mont Amadânu […], je me dirigeai vers la ville de Damdammusa […] J’assaillis la ville. Mes soldats, comme des oiseaux de proie, se jetèrent sur eux. Je passai au fil de l’épée 600 de leurs combattants et je leur coupai la tête. Je pris vivants 400 hommes et j’emmenai 3000 prisonniers. Je pris possession de la ville. J’emmenai à Amedu, sa capitale royale, les survivants et les têtes : je fis une pile de têtes devant la porte de sa ville et j’empalai sur des pieux les survivants tout autour de la ville. Je livrai bataille à la porte de sa ville, je rasai ses vergers. Je repartis de la ville d’Amedu et m’engageai dans la passe de la montagne Kashiyari et de la ville d’Allasia, là où aucun des rois mes pères n’avaient posé le pied, ou lancé une expédition. Je me dirigeai vers la ville de Udu […]. Je fondis sur la ville : avec des sapes (tranchés), des engins de siège et des rampes d’assaut, je pris la ville : je passai au fil de l’épée 1400 hommes, je pris vivants 580 hommes et emmenai 3000 prisonniers. Les hommes survivants, j’en empalai sur des pieux tout autour de la ville à d’autres, je fis arracher les yeux. Le reste, je les emmenai en Assyrie. La ville, j’en pris possession. [2] »

Aššurnasirpal a laissé bon nombre de représentations de lui-même. La photo du haut en est un bel exemple. On le voit porter deux armes : une masse d’arme et un glaive à lame courbe (voir la photo de droite qui montre toute la statue). Le port d’armes marque le caractère guerrier du roi. Il a le regard dur, la bouche crispée. Aucune compassion ou esquisse de sourire. Le message est clair : Aššurnasirpal est sans pitié. Mais on le voit aussi en état de vénération, debout devant les symboles des cinq principales divinités assyriennes (photo suivante). De droite à gauche : le dieu national, Aššur, le dieu solaire Shamash, Sîn, le dieu de la lune, Adad, le dieu de la pluie et de l’orage et la déesse de l’amour et de la guerre, Ishtar.

Aššurnasirpal II

Stèle du temple de Ninurta à Nimroud (image © Trustees of the British Museum)

Aššurnasirpal II pouvait assurément être impitoyable envers ses ennemis. Mais il pouvait être très, très généreux envers son propre peuple. Le roi a possiblement organisé le plus gros « party » de l’histoire! Avez-vous déjà entendu parler du fameux « banquet d’Aššurnasirpal »? Je vous raconte. Le banquet a eu lieu vers 870 avant notre ère, pour célébrer la construction de son palais dans la nouvelle capitale de l’Empire assyrien à l’époque, Kalhu – connue aujourd’hui sous le nom de Nimroud, située à quelque 25 kilomètres au sud de Mossoul, en Iraq. Selon les détails présentés sur une stèle, retrouvée en 1951, le banquet aurait duré 10 jours! Le roi aurait invité pas moins de 69 574 personnes, dont environ 40 000 de ses sujets qui avaient participé à la construction de la ville et de son palais. Étaient aussi invités le personnel de sa cour et quantité de notables provenant de régions dominées par l’Assyrie. C’était, en somme, pour « pendre la crémaillère » de la capitale nouvelle et de ses installations... On a les détails de ce qui a été mangé et but à cette grande fête. Quelque 50 000 pièces de gros et petit bétail : 10 000 poissons ; autant d’œufs. Des tonnes de légumes et de fruits, produits laitiers, des corbeilles de pain. Et, bien sûr, de la bière et du vin : 10 000 jarres de bière et 10 000 outres de vin! On ne dit rien des pauvres cuisiniers qui ont dû travailler pendant des jours… Le roi termine le récit de ce banquet mémorable en affirmant qu’il a renvoyé ses invités « satisfaits et heureux ». On le croit sur parole! 

Je vous invite maintenant à faire une visite virtuelle du couloir menant à la salle du trône du palais nord-ouest de Nimroud. Nous observerons les bas-reliefs conservés au British Museum. Alors, suivez le guide!

Éric Bellavance est historien et bibliste. Il est chargé de cours aux universités de Montréal, McGill et Concordia.

[1] Veuillez noter que la plupart des noms de pays, de villes et de rois ne peuvent être identifié avec précision.
[2] Francis Joannès, La Mésopotamie au 1er millénaire avant J.-C., Paris, Armand Colin, 2000, p. 34.

Archéologie

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Initiée par Guy Couturier (1929-2017), professeur émérite à l'Université de Montréal, cette chronique démontre l'apport de l'archéologie à une meilleure compréhension de la Bible. Au rythme d'un article par mois, nos collaborateurs nous initient à la culture et à l'histoire bibliques par le biais des découvertes archéologiques les plus significatives.

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Aššurnasirpal II

Statue du roi sculptée pendant son règne
Magnésite (statue) et dolomite (base).
Hauteur : 113 cm (sans compter la base)
(image © Trustees of the British Museum)