Sennachérib sur son trône. Bas-relief du palais de Ninive (photo © Trustees of the British Museum).

Sennachérib et le siège de Jérusalem

Éric BellavanceÉric Bellavance | 8 février 2021

Avant que l’Assyrie ne soit redécouverte au 19e siècle grâce aux fouilles archéologiques, le roi Sennachérib (705-681) était déjà connu grâce à la Bible hébraïque. Pendant une période allant de 735 à 720, le royaume de Juda (au sud d’Israël) avait adopté une position pro-assyrienne. Vassal de l’Assyrie, le roi Ahaz de Juda (732-716) verse donc un tribut prélevé sur le trésor du Temple et celui du palais royal. Mais cette vassalité du royaume de Juda va être rompue pendant le règne de son fils, Ézéchias (716-687). À la mort du roi assyrien Sargon II en 705, une révolte éclate en Palestine. Ézéchias envoie des ambassadeurs en Égypte pour conclure une alliance politico-militaire. Le roi sait qu’il risque gros… C’est pour cette raison qu’il se lance dans une série de travaux pour se préparer à un affrontement avec l’Assyrie : les murs sont fortifiés et on perce un tunnel pour amener de l’eau à l’intérieur de la ville, en cas de siège. Ce tunnel peut toujours être visité à Jérusalem.

En 701, Sennachérib décide d’aller en Syrie-Palestine. La plupart des villes font leur soumission. Les villes qui résistent sont détruites et leurs populations déportées. Les Égyptiens interviennent, dans l’espoir de reprendre un peu d’influence dans la région, mais les Assyriens les massacrent… Ils n’interviendront plus dans cette guerre, laissant Ézéchias sans alliés…! En représailles, le roi assyrien s’en prend aux places fortes du royaume de Juda, dont Lachish, la deuxième ville en importance après Jérusalem – la prise de la ville et la déportation de la population ont été immortalisées sur les murs du palais de Ninive.

Bataille de Lakish

La bataille de Lachish. Bas-relief du palais de Ninive (photo © Éric Bellavance).

Le texte des annales assyriennes donne le résumé suivant de cette campagne en Judée : « Ézéchias le Judéen, qui ne s’était pas soumis à mon joug, j’assiégeai et je conquis 46 villes fortes à remparts lui appartenant et les innombrables petites villes de leurs environs au moyen d’entassements, de rampes et d’approche de béliers, d’attaque de fantassins, de forages de brèches et de l’utilisation, d’instruments de siège […] Quant à lui, je l’enfermai dans Jérusalem, sa ville royale, comme un oiseau en cage. J’accumulai les terre-pleins contre lui, et qui voulait sortir des portes de la ville était repoussé et renvoyé à sa misère… Ézéchias fut terrorisé par la splendeur de ma grandeur, et abandonné par les mercenaires qu’il avait engagés pour défendre Jérusalem. [1] » Le siège est donc mis devant Jérusalem et il est levé lorsque le roi de Juda accepte de verser un lourd tribut : 30 talents d’or, 800 talents d’argent et plusieurs objets précieux. Ézéchias réussi donc à sauver sa capitale, mais à quel prix! N’oublions pas qu’un talent équivaut à plus de 34 kg…

Déportation des habitants de Lakish

La déportation des habitants de Lachish. Bas-relief du palais de Ninive (photo © Éric Bellavance).

La Bible donne une autre version. Plus difficile à défendre d’un point de vue historique, disons : « Cette nuit-là, l’ange de Yahvé sortit et frappa 185 000 hommes dans le camp des Assyriens. Quand on se leva le matin, ce n’étaient plus que des cadavres. Alors Sennachérib, le roi d’Assyrie, leva le camp et repartit, et il resta à Ninive. » (2 R 19,35-36 et Is 37,36-37) Quoi qu’il en soit, il ne fait aucun doute qu’Ézéchias est parvenu à conserver son trône et éviter la destruction de Jérusalem. Mais lui et ses successeurs devront continuer à verser un tribut à l’Assyrie jusqu’à la chute de l’empire en 612.

Autre événement très important sous le règne de Sennachérib : la destruction de Babylone. La Babylonie était alors sous le contrôle des Assyriens et l’un des fils de Sennachérib, Ashur-nâdin-shumi, était roi de Babylone – sous les Sargonides, les rois assyriens plaçaient un de leur fils sur le trône de Babylone, qui était toujours la capitale religieuse de la Mésopotamie. Or, vers 694, Sennachérib décide de s’en prendre aux cités élamites – au sud-est de la Mésopotamie. Quelques cités sont pillées, mais ne sont pas occupées. En représailles, les Élamites prennent la ville de Sippar. Les Babyloniens décident alors de livrer Ashur-nâdin-shumi aux Élamites qui l’ont vraisemblablement exécuté. En guise de représailles, Sennachérib pose un geste qui allait profondément choquer autant les Babyloniens que les Assyriens : il détruit la grande ville de Babylone en 689. Et Sennachérib ne fait pas les choses à moitié : « Comme s’avance l’ouragan, je l’attaquai et, comme la tempête, je l’abattis… Ses habitants, jeunes et vieux, je ne les épargnai pas et, de leurs cadavres, je remplis les rues de la ville. La cité elle-même, ses maisons, de leurs fondations à leurs toits, je les dévastai, je les détruisis, je les renversai par le feu. Afin qu’à l’avenir on oublie même l’emplacement de ses temples, je la ravageai par l’eau, je la changeai en pâturages [2] » Il amène même en exil la statue du grand dieu de Babylone, Marduk, un geste très chargé symboliquement : Marduk a non seulement été vaincu, mais il est fait prisonnier, ce qui implique que Babylone ne bénéficie plus de sa protection…

Détruire Babylone était l’équivalent de détruire Nippur, la grande ville sainte sumérienne – comme l’avait fait le roi akkadien Naram-Sîn – dont Babylone avait pris le relais au 2e millénaire. C’est possiblement la raison pour laquelle le visage de Sennachérib est mutilé sur le bas-relief retrouvé dans son palais de Ninive (voir la photo du haut). En regardant la scène en détail – qui commémore la victoire de Sennachérib à Lachish, dans le royaume de Judée – on remarque que seul le visage du roi a été volontairement effacé. C’est parfois le sort posthume que l’on réservait aux rois qui avaient commis des « crimes » religieux ; rappelez-vous de la statue de Naram-Sîn, dont la tête avait été sectionnée et le visage mutilé. Pas surprenant que l’une des premières décisions de son successeur fut de rebâtir Babylone. Mais le mal était déjà fait. La destruction de la ville par les Assyriens allait attiser une forme de nationalisme. Les Babyloniens voudront venger cet affront. C’est le début de la renaissance nationale de Babylone dont les Assyriens seront éventuellement victimes. Pas pour le moment, mais gardez cela en tête…

Sennachérib meurt assassiné en 681, par l’un de ses fils (deux de ses fils selon la Bible). Selon une autre tradition, un énorme lamassu (les taureaux ailés à visage humain) lui serait tombé dessus…! On a voulu y voir une punition pour la destruction de Babylone. L’assassinat de Sennachérib a sans doute « fait la manchette » puisqu’on en parle également dans la Bible (2 R 19,37). Dans les faits, la destruction de Babylone n’a sans doute rien à voir avec la mort du roi. Le prochain roi, Assarhaddon (681-669), qui avait été désigné par son père pour lui succéder, évoque dans une inscription que certains de ses frères ont comploté contre leur père pour s’emparer du trône.

Éric Bellavance est historien et bibliste. Il est chargé de cours aux universités de Montréal, McGill et Concordia.

[1] Mario Liverani, La Bible et l’invention de l’histoire, Paris, Gallimard. 2008, pp. 203-204.
[2] G. Roux, La Mésopotamie, Paris, Éditions du Seuil, 1995, p. 367.

Archéologie

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Initiée par Guy Couturier (1929-2017), professeur émérite à l'Université de Montréal, cette chronique démontre l'apport de l'archéologie à une meilleure compréhension de la Bible. Au rythme d'un article par mois, nos collaborateurs nous initient à la culture et à l'histoire bibliques par le biais des découvertes archéologiques les plus significatives.

La défaite de Sennachérib

Ce tableau de Pierre Paul Rubens illustre un épisode du Deuxième livre des Rois : la défaite de l’armée de Sennachérib vaincue par des anges. Le tableau rappelle celui de La conversion de saint Paul détenu par l’Institut Courtauld à Londres.

(photo : Wikimedia)