Des sections du livre des douze prophètes découvertes lors de l’expédition dans le désert de Judée avant leur conservation.
(photo © Shai Halevi /Autorité israélienne des antiquités)

La fin de l’Empire assyrien et le livre de Nahum

Éric BellavanceÉric Bellavance | 17 mai 2021

Avant de conclure notre série d’articles sur l’Empire assyrien, il nous paraissait intéressant et opportun de souligner une récente et importante découverte faite dans une grotte du désert de Judée, qualifiée de « Grotte des horreurs » [1]. En effet, en mars 2021, l’Autorité israélienne des antiquités a annoncé la découverte d’une vingtaine de fragments des livres des prophètes Zacharie et Nahum, ce dernier étant le prophète biblique qui décrit et célèbre la chute de Ninive et de l’Empire assyrien dans le dernier quart du 7e siècle avant notre ère.

Cette grotte avait été fouillée au début des années 1960 et des fragments de textes bibliques, datant de l’époque de la révolte de Bar Kokhba (132-136 après J.-C.), avaient aussi été retrouvés à cette époque. Des archéologues israéliens avaient recommencé à fouiller dans la région en 2017 – pour contrer une série de fouilles clandestines – et sont récemment retournés dans cette grotte qui n’avait apparemment pas encore livré tous ses secrets. Outre les fragments de manuscrits bibliques, on y a retrouvé des pièces de monnaie, des pointes de flèches, mais aussi la dépouille d’un enfant momifié et ce qui semble être le plus ancien panier de l’histoire (datant de plus de 10 000 ans).

Ces fragments de textes bibliques sont les premiers à avoir été découverts dans le désert de Judée en plus de 60 ans! Le passage du livre de Nahum décrit Yahvé qui s’apprête à exercer sa vengeance contre l’Empire assyrien : « Les montagnes tremblent devant lui, et les collines chavirent. Devant sa face, la terre est bouleversée, tout l’univers habité. Face à son indignation, qui tiendrait? Qui se dresserait quand s’embrase sa colère? Sa fureur déferle comme l’incendie ; les roches s’éboulent devant lui. » (Na 1,5-6) Même si, historiquement, Israël n’a rien à voir avec la chute de l’Empire assyrien, le prophète Nahum a habilement su y associer son dieu.

Assurbanipal

Aššurbanipal (detail d’une scène de chasse). Bas-relief du palais de Ninive, circa 645-635 avant notre ère
(photo © The Trustees of the British Museum).

La fin de l’Empire assyrien

Après la mort du dernier grand roi assyrien, vers 627, l’empire est en déroute. Les successeurs d’Aššurbanipal ne parviennent pas à maintenir l’empire. Les fils du roi se battent pour le trône. Le successeur d’Aššurbanipal, Assur-etil-ilani, règne à peine trois ans (627-625). Il est assassiné par son frère Sin-shar-ishkun (625-612), qui n’a pas été un grand roi et n’a pas su maintenir la domination assyrienne sur le Proche-Orient. En effet, immédiatement après la mort d’Aššurbanipal, plusieurs peuples en profitent pour se révolter et reprendre leur indépendance. C’est le cas de petits royaumes, comme celui de Juda, mais aussi et surtout du royaume de Babylone qui avait été sous domination assyrienne pendant près d’un siècle (728-626). En 626, le roi assyrien doit intervenir en Babylonie. Les troupes babyloniennes sont menées par le futur fondateur de l’Empire babylonien, Nabopolassar (626-605). Nabopolassar et les Babyloniens infligent une défaite majeure à l’armée assyrienne. Fort de sa victoire (qui est encore loin d’être totale), Nabopolassar revient à Babylone, où il est couronné roi (le 26 du mois de Marchewan ou le 22/ 23 novembre 626). À noter que le trône de Babylone était vacant depuis un an, c’est-à-dire depuis la mort du roi assyrien de Babylone, Kandalanu, en 627.

À cette époque, l’Assyrie n’était plus une grande puissance, mais Babylone ne l’était pas encore. Nabopolassar n’est donc pas trop pressé de s’attaquer à l’Assyrie. Mais quand il se lance à l’attaque, c’est un véritable rouleau compresseur… Vers 615, Nabopolassar mène ses troupes en dehors de ses frontières pour s’attaquer au cœur de l’Assyrie, avec l’aide des Mèdes, un peuple occupant le nord-est de la Mésopotamie avec qui il avait fait alliance. La première capitale de l’Assyrie, Aššur, tombe en 614. Deux ans plus tard, c’est au tour de Ninive, la plus grande ville du monde à l’époque. Sin-shar-ishkun meurt et est remplacé par celui qui allait être le dernier roi d’Assyrie, Assur-uballit II (612-609). Il se réfugie à Ḫarrān, dans le nord de la Syrie.

Pendant ce temps, l’Égypte commence à paniquer… Depuis que les Assyriens avaient décidé de quitter l’Égypte, les deux nations s’entendaient plutôt bien. Et, les Égyptiens savaient que l’Assyrie n’était plus assez puissante pour conquérir l’Égypte. Donc, pour eux, il était préférable de maintenir une présence assyrienne entre l’Égypte et le nouvel empire babylonien en devenir. L’Égypte va même venir en aide aux Assyriens. Le pharaon Nécho II (610-595) affronte les Babyloniens à plusieurs reprises, sur une période d’environ cinq ans. En 609, Nécho II marche à travers la Palestine pour aller prêter main-forte au roi Assur-uballit qui a des problèmes dans le nord de la Syrie-Palestine. Le roi de Juda, Josias, part avec ses troupes dans le but de couper leur progression et l’aide éventuelle qu’ils pourraient apporter aux Assyriens. Profondément religieux et prêt à tout pour se débarrasser du culte des dieux étrangers en Israël, on fonde beaucoup d’espoir sur lui. On le voit comme un nouveau roi David, capable d’unir les Judéens autour d’un dieu, d’un roi et d’une capitale, Jérusalem. Mais l’intervention de Josias, qui supporte les Babyloniens, est un échec ; il est tué pendant le combat autour de la ville de Megiddo. C’est un choc pour le royaume. Et ironie des ironies, Josias meurt en apportant son aide aux Babyloniens qui allaient détruire Jérusalem quelques années plus tard…

fragments

Les mêmes fragments après leurs traitements par les conservateurs.
(photo © Shai Halevi /Autorité israélienne des antiquités)

Mais revenons à la fin de l’Empire assyrien. Les Mèdes et les Babyloniens prennent environ huit ans pour conquérir et détruire les villes les plus importantes de l’empire assyrien : Aššur, Ninive et Ḫarrān notamment. En 609, l’Assyrie est totalement conquise… Tous les peuples au Proche-Orient, à part l’Égypte, se réjouissent du sort de l’Assyrie. Elle ne s’était pas fait beaucoup d’amis au cours des derniers siècles! Un texte du prophète biblique Nahum résume bien l’état d’esprit du temps : « Tes bergers sont assoupis, roi d’Assyrie! […] Tes troupes sont disséminées sur les montagnes, et personne pour les rassembler! Irréparable ton désastre, incurables tes blessures! Quiconque apprend de tes nouvelles applaudit à ton mal. Eh oui! Sur qui ta cruauté n’a-t-elle pas passé et repassé? » (Na 3,18-19) Les peuples qui avaient été victimes des Assyriens n’auront qu’un répit de courte durée. Plusieurs allaient maintenant tomber aux mains des Babyloniens…

                                                                                                                            

Éric Bellavance est historien et bibliste. Il est chargé de cours aux universités de Montréal, McGill et Concordia.

[1] On a donné ce nom à la grotte en raison des 18 squelettes – majoritairement de femmes et d’enfants – retrouvés en 1953. Des familles juives s’y étaient vraisemblablement réfugiées lors de la révolte de Bar Kokhba contre les Romains, après que l’empereur Hadrien (117-138) ait voulu construire une colonie romaine sur l’emplacement de Jérusalem et d’y dédier un temple à Jupiter. Assiégées, elles seraient mortes de faim et de soif…

Archéologie

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Initiée par Guy Couturier (1929-2017), professeur émérite à l'Université de Montréal, cette chronique démontre l'apport de l'archéologie à une meilleure compréhension de la Bible. Au rythme d'un article par mois, nos collaborateurs nous initient à la culture et à l'histoire bibliques par le biais des découvertes archéologiques les plus significatives.