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Comprendre la Bible
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chronique du 14 septembre 2001

 

Jean-Baptiste est-il Élie?

La tradition chrétienne voit en Jean-Baptiste le précurseur de Jésus Christ. Le prophète du Jourdain aurait alors préparé soigneusement, conformément à sa mission, l'entrée en scène du Sauveur. Cette conviction s'exprime avec beaucoup d'intensité dans les récits évangéliques, à commencer par le début de l'évangile selon saint Marc. Dès les premiers versets (Mc 1,1-8), Marc présente Jean-Baptiste comme le messager qui prépare la route au Seigneur, conformément aux prophéties d'Isaïe (Is 40,3) et de Malachie (Ml 3,1). Malachie, en particulier, traduit l'espérance d'un retour du prophète Élie, disparu dans les Cieux (2 R 2,11), avant la venue du Jour du Seigneur (Ml 3,23). Marc voit donc en Jean-Baptiste Élie revenu avant le Seigneur! (Comparez leurs habits respectifs en 2 R 1,8 et Mc 1,6). Plus loin, le Jésus de Marc laisse entendre aussi que Jean-Baptiste est Élie (Mc 9,13).

     Transmettant les mêmes traditions, Matthieu est encore plus explicite que Marc, puisqu'il laisse Jésus s'exprimer sur le compte de Jean-Baptiste comme suit : « Et lui, si vous voulez m'en croire, il est cet Élie qui doit revenir » (Mt 11,14). La question serait donc réglée… si ce n'était de Luc et de Jean!

     À première vue, Luc partage l'identification traditionnelle de Jean-Baptiste à Élie. C'est ainsi en tout cas que le fils de Zacharie et d'Élisabeth est présenté par l'ange Gabriel : « Il marchera devant lui avec l'esprit et la puissance d'Élie, pour ramener le coeur des pères vers les enfants et les rebelles à la prudence des justes, préparant au Seigneur un peuple bien disposé » (Lc 1,17). En deuxième lecture, il faut se raviser : « avec l'esprit et la puissance d'Élie » introduit la nuance d'un emprunt qui prévient toute identification. Cet emprunt d'esprit est fait à la faveur de Jésus, qui lui l'aura en plénitude et en permanence. C'est Jésus qui représente pour Luc le grand prophète Élie de la Nouvelle Alliance. Cela se voit aux nombreux parallèles que l'évangéliste établit entre l'un et l'autre.

     Par exemple, Élie et Jésus sont des prophètes incompris dans leur patrie (1 R 17,7-9; Lc 4,24-26); tous les deux ressuscitent le fils d'une pauvre veuve (1 R 17,17-24; Lc 7,11-17); les deux prophètes sont venus jeter un feu divin sur la Terre (1 R 18,37-38; Lc 12,49); et les deux figures sont enlevées dans les Cieux (2 R 2,11-12; Lc 9,51; 24,51). Ces parallèles sont exclusifs à Luc et démontrent que pour le troisième évangéliste, ce n'est pas Jean-Baptiste, mais bel et bien Jésus qui compte comme le nouvel Élie. En tant que précurseur, Jean-Baptiste reçoit en partage un peu de cet esprit, sans plus. Curieux, n'est-ce pas?

     Pour sa part, Jean-Baptiste est catégorique dans l'évangile de Jean. Des prêtres et des lévites lui posent directement la question : « Es-tu Élie? » Et lui de répondre : « Je ne le suis pas » (Jn 1,21). Qui doit-on croire alors? Jésus, qui selon Matthieu affirme que Jean-Baptiste est Élie? Ou l'intéressé lui-même, qui selon Jean le dénie?

     Ainsi posé, le dilemme est insoluble. La clef pour dénouer l'impasse réside dans le « selon » des réponses, en italique. En fait, nous avons quatre interprétations différentes du ministère de Jean-Baptiste, chaque évangéliste présentant la sienne. Il ne faut pas confondre l'interprétation théologique de chaque évangéliste avec une réalité historique objective et univoque. Si bien l'importance de Jean-Baptiste n'est pas mise en cause, la question de son rôle est sujette à interprétation. À ce chapitre, les évangélistes mettent de l'avant chacun la sienne par la voix des personnages, de sorte qu'il est difficile de remonter à l'opinion de Jésus ou à celle de Jean-Baptiste lui-même sur son compte.

     Certains éléments traditionnels demeurent toutefois incontestés : Jean-Baptiste est une figure incontournable dans la vie de Jésus, dont aucun évangile ne saurait se passer; Jean-Baptiste précède Jésus chronologiquement dans l'exercice de son ministère; Jésus a eu une grande estime pour Jean-Baptiste et son ministère, puisqu'il est allé le rejoindre au Jourdain; Jésus a préséance sur Jean-Baptiste quant à son rôle, puisqu'aux yeux des chrétiens, c'est lui le Christ.

     Que dire de plus? Deux mille ans plus tard, Jean-Baptiste joue toujours à nos yeux un rôle prophétique. Contre toute interprétation tendancieuse, qui ferait de Jésus un « initié » mystique, ou un sage apportant des enseignements d'extrême orient, ou quoi encore d'étranger au judaïsme... Jean-Baptiste est là, solidement attaché au Christ, pour démontrer aux yeux du monde l'enracinement profond de Jésus dans la foi d'Israël! En ce sens, son zèle a de quoi ressembler à celui d'un dénommé Élie le Tishbite…

Rodolfo Felices Luna

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