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chronique du 26 septembre 2003
 

Barabbas

PAR JEAN-PAUL MICHAUD

| Introduction | Simon de Cyrène | Barabbas |

 

Qu'en est-il de ce Barabbas, choisi par la foule à la place de Jésus? Analysons d'abord son nom et les qualificatifs que lui prêtent les évangélistes.

     Notons d'abord qu'en Mt 27,16-17, selon certains manuscrits, le nom de cet individu est « Jésus Barabbas ». La majorité des spécialistes pensent que le mot « Jésus » est ici authentique et qu'il aurait été effacé ou écarté des autres manuscrits par révérence, comme le laisse entendre le commentaire d'Origène sur ce passage: « il ne convient pas de donner ce nom à un personnage inique et, d'ailleurs, aucun pécheur n'est ainsi nommé dans les Écritures ». On aurait donc ici, comme souvent, la combinaison d'un nom personnel avec un nom patronymique (le nom du père) (Simon Bariôna, par exemple, en Mt 16,17 et Joseph Barnabas en Ac 4,36): « Jésus Barabbas » serait donc Jésus, fils d'Abba, Abba étant un nom de personne (on en a des exemples dans le Talmud), à moins que le mot signifie simplement « père » (cf. Mc 14,36): « fils du père ».

     Il était prisonnier. Pourquoi? Les évangélistes rapportent ici différentes traditions. Jn 18,40 l'appelle un brigand (lêstês). Le mot grec est celui qu'emploie l'historien Josèphe pour désigner les bandes de brigands, plus ou moins nationalistes, qu'on trouvait dans les campagnes ainsi que les fauteurs de troubles responsables d'émeutes dans les villes. Mais au temps de Jésus, le mot ne désignait pas encore des révolutionnaires. Il n'y eut en effet aucune révolte dans les territoires confiés à Hérode Antipas, en particulier en Galilée, entre 6 et 41, donc durant toute la vie de Jésus, celui-ci étant mort très probablement en avril de l'an 30. Marc cependant parle d'une émeute (Mc 15,7) à Jérusalem. Il emploie l'article défini: l'émeute, comme si l'événement était bien connu. Mais « bien connu » peut l'être des chrétiens seulement, peut-être, l'événement faisant traditionnellement partie du contexte de la passion de Jésus.

     Meurtrier? Marc ne dit pas que Barabbas lui-même avait participé à l'émeute, ni qu'il avait commis un meurtre. Ce qu'il met en opposition, c'est la libération de quelqu'un lié, d'une manière ou d'une autre, à une émeute meurtrière et la crucifixion d'un innocent. Matthieu ne parle que d'un prisonnier « fameux » (27,16), mais chez lui l'opposition est encore plus frappante quand Pilate demande à la foule de choisir entre « Jésus Barabbas » ou « Jésus le Messie » (Mt 27,17). Luc accentue la culpabilité de Barabbas en 23,19 et 23,25 et le qualifie carrément de meurtrier en Ac 3,14. Le fait qu'on ait conservé le nom de Barabbas, mais non celui des deux « brigands » crucifiés avec Jésus, pourrait laisser entendre que Barabbas était un leader, un chef de bande.

     S'agit-il d'un personnage historique? On a créé des romans fantaisistes autour de la figure de Barabbas. Il semble beaucoup plus simple et plus vraisemblable historiquement d'admettre qu'un homme réel, portant le patronyme de Barabbas et le nom personnel de Jésus, a bien existé, a été arrêté durant une émeute à Jérusalem et a été gracié par Pilate. La coutume pascale de relâcher un prisonnier, par contre, n'est attestée dans aucune source ancienne (voir l'enquête de R. E. Brown, dans The Death of the Messiah, 1994, I, p. 814-820) et ne peut donc pas être considérée comme historique. Peut-on réconcilier la non-historicité du privilège pascal et l'existence d'un Barabbas historique libéré par Pilate? À partir des évangiles, R. E. Brown propose la reconstruction suivante: Un homme nommé Barabbas aurait été arrêté au cours d'une rafle, à la suite d'une émeute qui avait fait des morts à Jérusalem. Il avait été relâché lorsqu'une fête amena le gouverneur (Mt 27,11) à Jérusalem pour surveiller l'ordre public. Ceci se serait passé à peu près au temps où Jésus fut crucifié. Il s'agissait dans les deux cas d'un acte plus ou moins semblable de rébellion contre César (du moins dans les accusations portées contre Jésus en Lc 23,2 et Jn 19,12.15). Les chrétiens furent frappés par le parallèle ironique: celui qui semblait coupable avait été libéré, alors que Jésus, que tous savaient innocent, avait été condamné. Reconstruction d'historien. Dans une reconstruction, il est difficile d'affirmer que toutes les pierres, tous les morceaux de la réalité, ont bien été remis en place.

     Qu'advint-il de Barabbas? Les évangiles n'en disent rien. Nous n'avons, le concernant, aucun document. La suite des choses appartient aux romanciers. Un exemple: dans L'homme de Nazareth d'Anthony Burgess (Paris, Laffont, 1977, p. 328), « Jésus bar Abbas... n'a pas tardé à réitérer ses crimes. Il vient déjà de tuer un centurion romain »!

Note bibliographique

Je ne connais pas d'ouvrages « scientifiques » qui traiteraient de tous les acteurs épisodiques des évangiles. Mais on trouve des notices sur plusieurs personnages dans les différents dictionnaires bibliques et aussi dans les commentaires des livres bibliques où ils apparaissent. Certains ouvrages s'y arrêtent plus longuement, spécialement celui de R. E. Brown, dont je m'inspire largement ici, The Death of the Messiah, New York, Doubleday, 1994, I, p. 809-820 pour Barabbas et II, p. 913-917 pour Simon de Cyrène.

 

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Qumrân : une secte et des manuscrits