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Comprendre la Bible
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chronique du 8 avril 2005

 

Le serpent de la Genèse et sa symbolique

Adam, Ève et le serpent

Peter Paul Rubens
Adam, Ève et le serpent (partie supérieure), 1628-29
Huile sur toile, 237 × 184 cm
Museo del Prado, Madrid

QuestionJ'aimerais avoir un éclaircissement quant à la symbolique qu'il faut donner au serpent qui dialogue avec Ève à propos des fruits de l'arbre qui est au centre du jardin. Symbolise-t-il le mal ou bien faut-il y voir une autre symbolique? Je vous pose cette question dans le cadre de la rédaction d'une petite notice destinée à des enfants. Celle-ci portera sur un tableau du XVIIe siècle illustrant le passage Gn 3,6 mais d'une manière particulière. En effet dans le récit de la Genèse, c'est Ève qui cueille le fruit. Or dans mon tableau, Ève reçoit le fruit du serpent (qui a le buste d'une vieille femme et le bas du corps en forme de serpent) dans la main gauche tout en en proposant un à Adam de la main droite. (Isabelle)

RéponseIl est intéressant que vous demandiez des renseignements à propos de la valeur symbolique du serpent dans le récit de Gn 3. C'est donc que vous supposez qu'il s'agit là non pas d'un récit historique mais d'un récit, appelons-le, symbolique ou allégorique. Vous avez certainement raison, et la critique biblique est unanime aujourd'hui à considérer les récits de Gn 1-11 sur l'origine du monde et de l'humanité comme symboliques. Cela dit, toutefois, il faut se garder de conclure qu'ils ne seraient pas « vrais ». Ils sont vrais, tellement vrais, parce qu'ils racontent comment l'homme de la Bible envisageait le monde qui l'entourait, comment il se comprenait lui-même et dans ses rapports avec Dieu et le monde.

     Le récit de Gn 3 entendrait répondre à la question suivante : comment se fait-il que tout être humain est secrètement et mystérieusement attiré par le mal? La conclusion du récit est qu'il y a dans l'être humain une espèce de blessure non voulue par le Créateur qui lui fait considérer les choses d'un mauvais angle et donc considérer bien ce qui en fait est mal.

     Pour bien comprendre le dialogue du serpent avec la femme (qui n'a pas encore reçu son nom d'Ève), il faut suivre la narration. En fait, le récit commence en Gn 2,25 en affirmant que l'homme et la femme étaient nus et qu'ils n'en avaient pas honte. Dans la Bible, la nudité n'est jamais sexuelle (sauf dans les lois du livre du Lévitique, par exemple Lv 18,7-17); elle a toujours la connotation de « pauvreté, limite, faiblesse, honte, perte de dignité » (cf. Os 2,11; Is 20,4). L'homme et la femme nus l'un devant l'autre signifie que l'harmonie est parfaite, que la relation est ouverte et authentique, dans le respect des limites de chacun. Cette situation idéale pourrait durer à l'infini, si un agent extérieur n'était intervenu : le serpent. « Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que YHWH Dieu avait faits » (Gn 3,1). Le serpent est donc un des animaux créés par Dieu, à qui l'homme a donné un nom (cf. 2,20). Mais seulement il est fourbe et rusé, mais il est « le plus rusé ». C'est lui qui va attaquer l'humain pour lui rappeler ses limites. Ce lien entre l'humain et le serpent est souligné grâce à un jeu de mots qu'aime le rédacteur yahviste. Les humains sont arummim « nus », alors que le serpent est arum, « rusé ». Quand le texte dit que le serpent est le plus rusé, c'est ambigu. Cela pourrait signifier positivement qu'il est « le plus sage, le plus prudent », ou négativement qu'il est « le plus rusé, le plus fourbe » (cf. Mt 10,16 et sa traduction).

     Il est évident que l'auteur a choisi le serpent à cause de sa valeur symbolique. Contrairement aux autres animaux, le serpent n'a pas de pattes, il apparaît à l'improviste; c'est un animal mystérieux qui, dans les religions anciennes, a de nombreux liens avec la sagesse et la sexualité. Chez plusieurs cultures, le serpent est associé au mystère de la vie et de la mort. On est donc dans la même ligne interprétative que les deux arbres dans le jardin de Gn 2, un qui donne la vie, l'autre qui donne la mort. Le serpent change régulièrement de peau, ce qui suggère un renouveau constant ou un rajeunissement. La plupart des gens ont peur de cet animal, aussi parce qu'il est venimeux. Dans l'Épopée de Gilgamesh, c'est un serpent qui vole l'arbre de vie pour ensuite changer de peau. Les voisins d'Israël adoraient le serpent pour obtenir fertilité et fécondité, et il y a des traces de ce culte en Israël (cf. Nb 21,4-9; 2 R 18,1-5; Sg 16,5-14). Cette double signification est aussi présente dans le récit de l'Éden : le serpent promet la connaissance (3,5) et la vie (3,4), mais malheureusement il ne donnera qu'une pauvre connaissance (3,7) et la mort (3,22). L'identification du serpent avec le démon ou Satan n'est pas dans le sens de l'auteur et a été développé tardivement dans la tradition biblique (cf. Sg 2,24; Ap 12,9; 20,2).

     Un dernier mot sur le dialogue entre le serpent et la femme. Pourquoi la femme et pas l'homme? D'entrée de jeu, éliminons les interprétations anti-féministes : le serpent parlerait avec la femme parce qu'elle est plus curieuse ou plus faible... ou plus bavarde; ce faisant, il aurait plus de chance de succès. De là vient malheureusement la représentation d'Ève la tentatrice qui a perverti Adam innocent (cf. Si 25,24; 1 Tm 2,14). Mais les féministes ont répondu que l'unique personnage qui parle et pense dans le récit, c'est justement la femme; l'homme ne fait que lui obéir. Mais la véritable raison est plus simple et sans doute pas polémique. Puisque le serpent est symbole de vie et de fécondité, il est logique qu'il parle à l'humain qui est aussi vie et fécondité, à savoir la femme.

Hervé Tremblay  

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Le passage de la mer Rouge