Le Pantocrator. Icône du VIe siècle peinte selon la technique de l’encaustique.
Monastère Sainte-Catherine, Sinaï (Wikipédia).

10. Le voir du croire

Rodolfo Felices LunaRodolfo Felices Luna | 18 décembre 2023

Découvrir Jean : une série d’articles où Rodolfo Felices Luna examine le quatrième évangile pour introduire les lecteurs et les lectrices d’aujourd’hui à ce texte souvent qualifié d’évangile « spirituel ». Dans cette série, il présente dix clefs de lecture pour nous aider à ouvrir autant de portes menant à contempler le mystère du Christ.

Nous avons commencé cette série de clés de lecture pour découvrir Jean en élargissant le regard sur Jésus, comme il se doit dans le cas d’un récit d’ampleur cosmique (premier article). L’action du récit a commencé par une invitation à suivre Jésus, à venir le voir (deuxième article). Après sept autres clés de lecture, il est temps de boucler la boucle et de revenir au point de départ, à l’invitation à mieux voir.

« Venez et vous verrez » dit Jésus en personne aux tout premiers disciples de Jean-Baptiste qui l’approchent (Jn 1,39 ; ACÉBAC).

Après avoir stupéfait Nathanaël, Jésus lui promet : « Tu verras des choses plus grandes que celles-là. » (Jn 1,50 ; ACÉBAC) Dès le troisième jour, commencent les signes que Jésus offre à voir, pour approfondir le mystère de sa personne (troisième article).

Au premier cercle de disciples, Jésus annonce qu’ils verront les cieux ouverts et les anges monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme (Jn 1,51) : une invitation voilée à venir contempler Jésus élevé sur la croix, septième signe parfait (quatrième article), nouvelle échelle de Jacob dressée entre la terre et le ciel (cinquième article), au bout d’un long chemin de rencontres en tête à tête (sixième article).

Le cercle de disciples va s’élargir même en dehors du milieu juif strict, lorsque la Samaritaine invitera ses voisins à venir rencontrer Jésus : « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Christ? » (Jn 4,29 ; ACÉBAC) Plus tard, les Grecs demanderont à l’apôtre Philippe : « Seigneur, nous voudrions voir Jésus. » (Jn 12,21 ; ACÉBAC) Cette ouverture à l’autre, à l’étranger souvent qualifié d’impie, dévoile la perspective nettement universaliste de Jean (huitième article).

Cependant, c’est au prix de son exclusion de la Synagogue juive (septième article) que la communauté de Jean a appris dans sa propre chair que « Dieu est esprit, et [que] ceux qui l’adorent doivent l’adorer en esprit et en vérité » (Jn 4,24 ; ACÉBAC). Il a fallu laisser aller la Synagogue et ses Pharisiens, le Temple de Jérusalem et ses fêtes – la piété connue et légitime – pour développer un regard neuf et pénétrant sur la dimension divine, spirituelle (neuvième article).

Au bout du chemin, épuisé, Philippe demande à Jésus : « Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit. » (Jn 14,9 ; ACÉBAC) Comme pour les autres disciples, comme pour nous aujourd’hui, tout ce chemin n’a qu’un seul but : s’approcher de Dieu et contempler Dieu à cœur ouvert. Pourtant, « Personne n’a jamais vu Dieu » – même pas Moïse – « mais un Dieu, Fils unique qui demeure dans l’intimité du Père, lui l’a fait connaître » (Jn 1,18; ACÉBAC).

La réponse de Jésus est donc renversante : « Philippe », répliqua Jésus, « je suis avec vous depuis si longtemps et tu ne me connais pas! Celui qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : ‘Montre-nous le Père’? » (Jn 14,9 ; ACÉBAC).

Personne ne verra Dieu, finalement. Du moins, directement. Tout ce qui est à montrer et à voir, c’est son Fils Jésus – Parole de Dieu faite chair. Et cela devrait suffire, cela devrait nous combler. L’apôtre Thomas en sait quelque chose, lui qui tenait absolument à saisir dans ses mains la preuve tangible de la résurrection. Il ne voulait surtout pas croire au témoignage de ses confrères disciples, sans lui-même voir et toucher la vie après la mort :

« À moins de voir la marque des clous dans ses mains, de mettre mon doigt à la place des clous et de mettre ma main dans son côté, je ne le croirai pas. » (Jn 20,25 ; ACÉBAC)

Jésus acquiesce, mais seulement lorsque Thomas se retrouve à nouveau au milieu de la communauté de croyants, en prière : voir le Seigneur et toucher au mystère du Christ, c’est en Église que cela se passe. Thomas doit être en communion avec les autres disciples pour parvenir à voir Jésus vivant et s’exclamer : « Mon Seigneur et mon Dieu! » (Jn 20,28 ; ACÉBAC)

Que ferons-nous, alors? Deux mille ans nous séparent de l’expérience pascale des premiers disciples! Comment pourrons-nous contempler notre Seigneur? Saint Jean ne nous laissera pas sur notre faim. Il a sciemment construit le suspense de son récit pour nous livrer son secret à la toute fin. Les dernières paroles de Jésus sont enfin pour nous :

« C’est parce que tu m’as vu que tu as cru. Heureux ceux qui ne m’ont pas vu et qui ont cru. » (Jn 20,29 ; ACÉBAC)

Lorsque saint Jean noircissait une feuille de papyrus avec l’encre de ces lignes, Jésus n’était déjà plus physiquement visible pour personne. Nous comptons parmi toutes ces générations de croyantes et de croyants, au fil des siècles, bénis par Jésus pour croire sans avoir vu.

Pourtant, l’évangéliste est persuadé que toutes et tous peuvent voir Jésus d’une certaine façon, dans la foi, spirituellement, sinon à quoi bon? Il ajoute alors deux versets en guise de conclusion :

« Jésus a fait également, en présence de ses disciples, beaucoup d’autres signes qui ne sont pas rapportés dans ce livre. Mais ceux-ci l’ont été pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant vous ayez la vie en son nom. » (Jn 20,30-31 ; ACÉBAC)

Depuis le début de son récit, Jean n’a jamais offert de description physique de son personnage Jésus. Il a rédigé des signes qui le faisaient connaître au-delà de ce qui était du domaine visible, en profondeur, spirituellement. Son évangile, c’est une icône du Christ. Jean a tracé les traits distinctifs du Sauveur pour que nous le voyions et que nous y croyions. En lisant son évangile, nous voyons Jésus, le Fils de Dieu. Y croyons-nous?

Rodolfo Felices Luna est professeur à l’Oblate School of Theology (San Antonio, Texas).

Comprendre la Bible

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Vous éprouvez des difficultés dans votre lecture des Écritures? Le sens de certains mots vous échappent? Cette section répond à des questions que nous posent les internautes. Cette chronique vise une meilleure compréhension de la Bible en tenant compte de ses dimensions culturelle et historique.