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Bible et culture
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chronique du 27 septembre 2013

 

Pulp Fiction : l’exégèse, flingue au poing

Pulp fiction

Pulp Fiction (Fiction pulpeuse)
É.-U. 1994. Drame de mœurs de Quentin Tarantino
avec John Travolta, Bruce Willis et Samuel L. Jackson

 « Et tu sauras que mon nom est l’Éternel… »

Le mafieux qui parlait comme un pasteur 

     Le cinéma postmoderne opère en tissant des références entre elles pour composer son récit et atteindre une vérité, une authenticité. Un film comme Pulp fiction, de Quentin Tarantino, en est un exemple parfait. Un capitaine tout droit sorti d’un film de guerre façon The Deer Hunter y croise la route d’un John Travolta qui n’a pas oublié qu’il a été la star de disco de Saturday Night Fever. Les mafieux y parlent avec des tons de prêcheur évangéliste, à moins que ce ne soient les accents d’un maître de karaté. Le film de gangsters dérape en film d’ado ou en quasi-film d’horreur. Ajoutons à ce labyrinthe mouvant une citation « biblique », reprise trois fois par le gangster Jules Winnfield : Ezéchiel 25,17.

The path of the righteous man is beset on all sides by the inequities of the selfish and the tyranny of evil men. Blessed is he who, in the name of charity and good will, shepherds the weak through the valley of darkness, for he is truly his brother's keeper and the finder of lost children. And I will strike down upon thee with great vengeance and furious anger those who would attempt to poison and destroy My brothers. And you will know My name is the Lord when I lay My vengeance upon thee. » [1]

     De quelle manière un sens, une vérité peut-elle surgir dans un tel film? Et quel sens donner dans ce cadre à une citation biblique ?

Du cool à l’éthique et du cinéma à la vie

     Il est pratiquement impossible de résumé le scénario d’un film comme Pulp Fiction, qui entremêle diverses histoires [2]. Toutes sont cependant unies par un même mouvement : les personnages aspirent à devenir des héros, à arracher au hasard et au chaos, fussent-il assumés avec une cool attitude, du sens et des valeurs. En fait, ces aspirations peuvent être résumées par un désir profond : ces êtres de cinéma aspirent à devenir des êtres humains, à sortir du film pour entrer dans la vie. C’est au sein de ce mouvement qu’il faut comprendre la citation d’Ezéchiel 25,17.

D’Ezéchiel à Ezéchiel

     Une remarque préalable : la tirade présentée comme une citation d’Ezéchiel n’est pas tout à fait une citation d’Ezéchiel. Si on la compare au passage correspondant dans la Bible, seuls les derniers mots sont assez semblables aux versets attribués au prophète [3]. En revanche, si on met en regard de la tirade de Jules la citation qui ouvre le film Karate Kiba [4], la ressemblance saute aux yeux.

The path of the righteous man and defender is beset on all sides by the iniquity of the selfish and the tyranny of evil men. Blessed is he, who in the name of charity and good will, shepherds the weak through the valley of darkness, for he is truly his brother's keeper, and the father of lost children. And I will execute great vengeance upon them with furious anger, who poison and destroy my brothers; and they shall know that I am Chiba the Bodyguard “when I shall lay my vengeance upon them!” (Ezekiel 25 : 17)

     Plusieurs fois au cours de ce film, ces phrases sont prononcées par l’acteur Sonny Chiba [5] dans des circonstances semblables à celles dans lesquelles le faux verset biblique est proclamé par Jules : juste avant qu’il ne tue quelqu’un. Pour notre propos, nous nous bornerons à prendre au sérieux l’affirmation de Jules, à rentrer dans la logique du récit, c’est-à-dire à faire comme si toute cette tirade était véritablement tirée de la Bible.

     Une telle citation « biblique » est une référence parmi d’autres dans l’univers de Pulp Fiction. Elle est prise dans le mouvement qui emporte l’ensemble du film, mouvement qui la tire de la pure référence à quelque chose de plus, de plus proche de la vie et de l’éthique.

     Jules le dit lui-même dans la dernière scène du film. Au début, il prononçait cette citation avant de tuer quelqu’un, parce qu’il trouvait « que ça en jetait » : « I just thought it was some cold-blooded shit to say to a motherfucker before I popped a cap in his ass. » Mais après un événement inattendu dans lequel il reconnaît un miracle, il en fait plusieurs exégèses.

But I saw some shit this morning made me think twice. See, now I'm thinking, maybe it means you're the evil man, and I'm the righteous man, and Mr. 9 millimeters here, he's the shepherd protecting my righteous ass in the valley of darkness. Or it could mean you're the righteous man and I'm the shepherd and it's the world that's evil and selfish. I' d like that. But that shit ain't the truth. The truth is, you're the weak, and I'm the tyranny of evil men. But I'm trying, Ringo. I'm trying real hard to be the shepherd. [6]

     Ainsi, la citation « biblique » n’est plus une référence que l’on sollicite pour faire « cool ». Elle devient une phrase où un personnage trouve un sens, une valeur, celle aussi où il puise une raison d’agir. Car au moment où Jules se fait exégète, un couple de cambrioleurs est en train de braquer le bar-restaurant où il prend son déjeuner avec Vincent Vega ; la femme (Honey Bunny) a un pistolet pointé sur lui et Jules braque son propre revolver (Mr 9. millimeters) sur le second de ses assaillants (Ringo, dit Pumpkin). Ce n’est pas une exégèse de salles de cours : dans l’interprétation de cette citation se jouent la vie et la mort. (Certains ajouteront que toute bonne exégèse est une question de vie et de mort.)  

     Au nom de cette dernière interprétation, Jules va définitivement renoncer à son personnage de tueur cool et « cold-blooded ». Il détourne son revolver de Pumpkin et laisse repartir le couple avec son butin, y compris son propre portefeuille.

Tarantino professeur d’herméneutique

     Que retenir de ce parcours pour la compréhension de la Bible? Deux éléments à mon sens. Le premier concerne la place de la Bible dans notre société, le second est un principe herméneutique.

     Ce que nous apprend un film postmoderne comme Pulp Fiction, c’est que nous vivons dans une société où la Bible et les citations bibliques (réelles ou trafiquées) sont des références culturelles parmi d’autres. Leur sens, leur valeur sont toujours à reconquérir.

     Cette reconquête n’est jamais un respect littéraliste du texte biblique. Si on analyse les exégèses successives de Jules, on peut constater qu’il ne se rallie pas à celle qui paraît la plus proche de la littéralité du texte, au contraire. « The truth is, you're the weak, and I'm the tyranny of evil men. But I'm trying, Ringo. I'm trying real hard to be the shepherd. »

     Cette dernière exégèse se distingue des deux autres en tant qu’elle est celle qui prend le plus au sérieux la réalité du monde : un monde gouverné par l’arbitraire des méchants (dans Pulp Fiction : Marsellus Wallace, le chef mafieux ainsi que Zed et le prêteur sur gages), où les faibles sont opprimés, injustement. Elle est aussi celle d’où naît l’action, une action acharnée (trying real hard) : les deux autres interprétations n’étaient que des constats, figés dans leur statisme. Elle est la seule qui permet la métamorphose d’un tueur en être humain. En ce sens elle est une exégèse responsable, comme peuvent l’être plusieurs exégèses postmodernes (féministes, par exemple). 

     Une telle herméneutique pourrait presque être ancrée dans une théologie pulpfictionnienne. Ce n’est pas le miracle dont il a été témoin qui transforme Jules : c’est la manière dont, à travers la citation biblique, il le comprend, personnellement. A partir de là, que le miracle ait été réel ou non n’a aucune importance. La seule vérité se trouve dans une interprétation personnelle et responsable des textes : cette vérité est le seul réel.

[1] « Ezéchiel 25 : 17. La marche des vertueux est semée d'obstacles qui sont les entreprises égoïstes que fait sans fin surgir l'œuvre du Malin. Béni soit-il l'homme de bonne volonté qui, au nom de la charité, se fait le berger des faibles qu'il guide dans la vallée d'ombre, de la mort et des larmes, car il est le gardien de son frère et la providence des enfants égarés. J'abattrai alors le bras d'une terrible colère, d'une vengeance furieuse et effrayante sur les hordes impies qui pourchassent et réduisent à néant les brebis de Dieu. Et tu connaîtras pourquoi mon nom est l'éternel quand sur toi s'abattra la vengeance du Tout-Puissant ! »

[2] Pour lire une synthèse des histoires, voir Wikipedia.

[3] Ezéchiel 25 : 16-17 dans la Bible du roi Jacques : « Therefore thus saith the Lord GOD; Behold, I will stretch out mine hand upon the Philistines, and I will cut off the Cherethims, and destroy the remnant of the sea coast. And I will execute great vengeance upon them with furious rebukes; and they shall know that I am the LORD, when I shall lay my vengeance upon them. »

[4] Film de Tatsuishi Takamori et Simon Nuchtern (1973), sorti en 1976 aux États-Unis sous le titre The Bodyguard.

[5] Sonny Chiba joue dans Kill Bill (Quentin Tarantino, 2003)le rôle d’Hattori Hanzo, le mythique créateur de sabres japonais.

[6] « Et puis ce matin, j'ai vu quelque chose qui m'a fait réfléchir. D'un seul coup, je me dis, ça pourrait bien vouloir dire que tu es l'œuvre du malin, et que l'homme vertueux c'est moi, et que mon joli 9 mm ce serait mon protecteur, mon berger dans la vallée de l'angoisse et des larmes. Ou encore mieux, c'est moi le berger et toi l'homme vertueux, et c'est le monde qui est l'œuvre de Lucifer. Qu'est-ce que tu dis de ça ? Mais rien de tout ça n'est juste. Ce qui est vrai, c'est que tu es le faible et que je suis la tyrannie des méchants. Et moi j'essaie, Ringo, au prix d'un effort harassant, de protéger les faibles. »

Antoine Paris

 

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