Deux femmes aux ailes de cigogne. Women of the Bible  (photo © Dikla Laor).

Les trois femmes de la vision de Zacharie

Anne-Marie ChapleauAnne-Marie Chapleau | 6 janvier 2025

Lire Zacharie 5, 5-11

Glissons-nous subrepticement aux côtés de Zacharie pour contempler avec lui la septième des huit visions que lui donne à voir un messager divin. Au cœur de la nuit, alors que les contours de la réalité deviennent plus flous, nous entrons dans un monde onirique peuplé de figures autant intrigantes que symboliques.

Mais nous avons pris quelques précautions avant de nous laisser emporter par la puissance évocatrice des images qui nous seront données à voir. Nous savons qu’il faudra les interpréter à la lumière de la mission confiée à ce prophète du retour de l’exil à Babylone (période perse) : veiller à la restauration de Jérusalem et à la reconstruction de son Temple saccagé autrefois [1] par les troupes de Nabuchodonosor.

Comme une boîte de Pandore

Voici qu’apparaît tout d’abord un épha, autrement dit un boisseau normalement destiné à contenir ou mesurer des céréales. Si ce n’était de l’explication vite fournie par l’ange, nous aurions pu y voir une promesse d’abondance. Mais, à l’instar de la boîte que Pandore [2], cédant à la curiosité, finit par ouvrir, il contient la Méchanceté personnifiée sous les traits d’une femme. L’ange, cependant, sait à qui il a affaire : pas question qu’il la laisse s’échapper par toute la terre. Il se dépêche, après nous avoir révélé le contenu, de reboucher hermétiquement l’ouverture du boisseau avec un disque de plomb.

Mais pourquoi une femme comme symbole de la méchanceté? Même si nous sommes enveloppés par les brumes du sommeil, la chose nous agace un peu. Certes, en hébreu comme en français, le mot pour méchanceté est féminin. Mais il faut surtout y voir l’empreinte laissée par la mentalité patriarcale qui, déjà dans le mythe de Genèse 3, faisait de la femme la première cible des paroles séductrices du serpent.

Les deux femmes aux ailes de cigogne

À première vue, l’apparition suivante — deux femmes soutenues dans le vent par leurs longues ailes de cigogne — pourrait nous sembler fort romantique. La vision diaphane évoque spontanément la légèreté et la liberté et nous pourrions souhaiter être soulevés avec le boisseau pour expérimenter, entre ciel et terre, un mode de locomotion aussi aérien et gracieux. Sauf que la cigogne fait partie de ces oiseaux que le livre du Lévitique désigne comme immondes ou impurs (Lv 11,19). Et puis, si la femme du boisseau représentait la Malice en personne, comment faire confiance à ces deux autres femmes venues dont on ne sait où? Mieux vaut écouter ce que répond l’ange à Zacharie qui s’enquiert de leur destination. « Elles vont lui bâtir un temple dans la terre de Shinéar, et lui préparer un socle, où elles le placeront. » La Méchanceté, comprenons-nous, sera vénérée comme une divinité dans une contrée assurément dédiée à servir le Mal. Laquelle? La Babylonie! Quelle autre région pourrait être ainsi désignée dans une vision visant à soutenir l’espérance et le zèle d’exilés fraîchement rentrés chez eux? [3] Nous réalisons alors que la vision qui s’achève décrit l’utopie d’un monde libéré de toute méchanceté. Dans sa terre retrouvée, purifiée par Dieu lui-même [4], rassemblé dans son Temple reconstruit, guidé par ses prêtres, le peuple de Dieu pourra à nouveau prospérer.

La fin de l’utopie ?

Nous savons pertinemment que la suite des choses sera loin d’être aussi idyllique pour les Juifs. Leurs aspirations d’autonomie politique et religieuse seront maintes fois déçues alors qu’ils subiront, après la domination perse, celles des Grecs et des Romains. L’utopie, et avec elle la vision qui l’a portée, se seraient-elles échouées sur la réalité?

Et si, plutôt, elles recelaient plus que jamais la capacité de nous faire traverser le miroir déformant qui réduit le réel aux réalités contingentes souvent définies par les plus tristes des passions humaines?

Il est bien possible que nous accompagnions à nouveau un jour Zacharie dans une autre de ses visions.

Anne-Marie Chapleau, bibliste et formatrice au diocèse de Chicoutimi.

[1] En 587 avant Jésus-Christ.
[2] Voir la présentation du mythe grec de Pandore sur Wikipedia.
[3] C’est au pays Shinéar que jadis des hommes orgueilleux construisirent un tour pour rejoindre le ciel (Babel : Gn 11,2). Isaië le désigne comme une terre d’exil du peuple de Dieu (Is 11,11).
[4] À travers ses anges, c’est en effet Dieu lui-même qui agit, selon la mentalité biblique.

ivoire phénicien

Au féminin

Lors du lancement de cette rubrique, trois femmes, fondatrices du groupe de recherche ECPB (Entre contes, psychanalyse et Bible) et vivant à Fribourg (Suisse), nous offraient une lecture symbolique qui jette un regard œcuménique et transdisciplinaire sur la Bible. Les textes plus récents mettent en valeur des personnages féminins de la Bible à partir d’œuvres d’art (Gertrude Crête et des artistes classiques) et de photographies de Dikla Laor.