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Justice sociale
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chronique du 21 janvier 2011

 

« Le Seigneur est avec vous, valeureux combattants ! »

affrontements en Tunisie

(photo © AP/Hassene Dridi)

La vraie Tunisie

Comme dans plusieurs nations arabes, le despotisme et l’échec socio-économique est aigu en Tunisie. Et cet embrasement met en évidence la réalité occultée derrière la façade des brochures touristiques et des stations balnéaires somptueuses exhibées au monde extérieur.

Ceci est le monde des Tunisiens ordinaires, d’une classe moyenne rapidement appauvrie écrasée sous le poids d’une privatisation endémique et d’un secteur public en régression, d’une explosion des prix, de la dette, du chômage, de la marginalisation sociale et de « bateaux de la mort » abordés par de jeunes hommes dans l’espoir de s’échapper sur l’autre rive de la Méditerranée. C’est le monde d’un appauvrissement systématique des masses dans les quartiers déshérités et dans les villages par les nouveaux riches, par une minorité aisée liée au président et à sa famille dans une toile serrée de corruption et de rapine.

Voilà le « miracle tunisien » claironné par le régime du président Zine Ben Ali et auquel font écho ses supporters de l’Union européenne, particulièrement la France, l’Italie et l’Espagne. Pour cette raison, on a intimé aux Tunisiens de se tenir tranquilles et de renoncer à tout espoir de liberté politique et de démocratie.

… quand tous les canaux de mouvement et d’expression sont fermés, des explosions et des éruptions deviennent la seule alternative possible.

Exposing the real Tunisia
by Soumaya Ghannoushi (The Guardian)
(extraits traduits de l’anglais par Claude Lacaille)

Livre des Juges, chapitre 11, versets 1-18

Les Israélites firent de nouveau ce qui déplaît au Seigneur. C'est pourquoi le Seigneur les livra aux Madianites pendant sept ans. Les Madianites opprimaient durement Israël. Pour leur échapper, les Israélites utilisèrent les couloirs, les cavernes et les endroits escarpés des montagnes. Chaque fois que les Israélites avaient ensemencé leurs champs, les Madianites venaient les attaquer, avec les Amalécites et des nomades de l'Orient.  Ils campaient sur leurs terres et détruisaient les produits du sol jusqu'à proximité de Gaza. Ils ne laissaient rien à manger aux Israélites, ils ne leur laissaient ni moutons, ni bœufs, ni ânes. En effet, ils se déplaçaient avec leurs troupeaux et leurs tentes, ils arrivaient en masse comme les sauterelles ; ils étaient si nombreux, eux et leurs chameaux, qu'on ne pouvait pas les compter. Ils envahissaient le pays et le dévastaient. Ainsi, les Israélites furent plongés dans une telle misère par les Madianites qu'ils appelèrent le Seigneur à leur secours.

Lorsque les Israélites demandèrent au Seigneur de les libérer des Madianites,  celui-ci leur envoya un prophète qui leur dit : « Voici ce que déclare le Seigneur, Dieu d'Israël : ‘C'est moi qui vous ai fait sortir d'Égypte, le pays où vous étiez esclaves. Je vous ai délivrés des Égyptiens et de tous ceux qui vous opprimaient. J'ai chassé vos ennemis au fur et à mesure que vous avanciez et je vous ai donné leur pays.  Je vous ai rappelé que j'étais le Seigneur votre Dieu et que vous ne deviez pas adorer les dieux des Amorites dont vous habitez le pays. Mais vous ne m'avez pas écouté !’ »

L'ange du Seigneur vint au village d'Ofra. Il s'assit sous le chêne situé dans la propriété de Yoach, un homme du clan d'Abiézer. Gédéon, fils de Yoach, était en train de battre le blé dans le pressoir à raisin, pour ne pas être vu des Madianites. L'ange du Seigneur lui apparut et lui dit : « Le Seigneur est avec toi, valeureux combattant ! » Gédéon répondit : « Pardon, mon seigneur ! Si le Seigneur est avec nous, pourquoi tous ces malheurs nous sont-ils arrivés ? Où sont donc tous ces prodiges dont nous parlaient nos pères quand ils nous racontaient que le Seigneur les avait fait sortir d'Égypte ? En réalité, le Seigneur nous a abandonnés, il nous a livrés aux Madianites. » Le Seigneur se tourna vers lui et lui dit : « Avec la force que tu as, va délivrer Israël des Madianites. C'est moi qui t'envoie. » —  « Je t'en prie, Seigneur, répondit Gédéon, comment pourrais-je sauver Israël ? Mon clan est le plus faible de la tribu de Manassé et moi, je suis le plus jeune de ma famille. » Alors le Seigneur déclara : « Je serai avec toi, c'est pourquoi tu battras les Madianites comme s'ils n'étaient qu'un seul homme. »  Gédéon reprit : « Si tu m'accordes ta faveur, donne-moi un signe que c'est bien toi, le Seigneur, qui me parles. »

Commentaire

     L’insurrection en Tunisie a commencé lorsque Mohamed Bouazizi, un diplômé universitaire sans travail, s’est immolé devant un édifice du gouvernement à Sidi Bouzid pour protester contre la confiscation de ses légumes qu’il vendait sans permis dans la rue. Il n’a jamais pensé par son geste de désespoir changer la cours de l’histoire. Mais la mort de Mohamed a provoqué la colère et l’indignation de tout un peuple opprimé depuis 28 ans par une clique dirigeante corrompue et violente. Son geste déterminera le futur de la Tunisie. C’est ainsi qu’au moment où l’on ne s’y attend pas, les conditions se donnent pour des changements sociaux significatifs. En suivant ces évènements, je me suis souvenu du livre des « Juges », où des personnages bien ordinaires, pas nécessairement des saints si on en juge par les récits, ont servi d’instruments de libération pour des tribus sans cesse menacées de disparition par leurs nombreux ennemis.

     « Lire le livre des Juges, écrit le bibliste André Myre, c’est entreprendre un voyage rempli de surprises, puisque le paysage change à chaque détour. » Les scènes de violence s’y multiplient, tortures, viols, meurtres, sexualité débridée, jeux de pouvoir, religion magique. Beaucoup de chrétiens se sont éloignés des textes de la première alliance sous prétexte qu’on y trouve que guerres et massacres. Comme si nous du 21ième siècle nagions dans un océan d’amour fraternel! Les batailles bibliques furent livrées corps à corps et les morts se comptaient. Les génocides de notre époque se font par systèmes interposés et des millions sont sacrifiés par la guerre, la famine et la pollution sans que l’on puisse comptabiliser ce que les puissants désignent d’un horrible euphémisme, de dommages collatéraux. Rwanda, Congo, Cambodge, Bosnie, Palestine, Colombie, Irak, Afghanistan, etc. !

     Le livre des Juges jette un regard religieux sur des évènements tout à fait séculiers. Israël vit alors en tribus indépendantes et autonomes durant les deux siècles et demi qui précèdent la création d’un état d’Israël sous David et Salomon. L’alliance entre les tribus permet à ces communautés dispersées dans les montagnes ou aux confins du désert de survivre tant bien que mal avec une organisation sociale communautaire à l’abri des tyrans qui dirigent les cités-états de la terre de Canaan. L’alliance est renouvelée chaque année par un pacte de non-agression et de défense mutuelle. Les biens sont produits et partagés sur une terre qui appartient à Dieu seul et aucun homme ne peut prétendre à la royauté, considérée comme le péché originel : celui qui consiste à prendre sur terre la place du Créateur.

     Cette alliance est souvent rompue et l’idolâtrie est une tentation endémique; celle d’adorer les dieux de la cité, les dieux du roi qui prétendent donner à la terre sa fécondité. La vue de la richesse de la cité fait saliver les pauvres paysans des montagnes qui rêvent de pouvoir descendre en ville et se vendre pour un peu de bien-être. L’histoire n’a pas vraiment changé; ne fait-on pas briller chez ces jeunes des pays du Sud l’espoir de pouvoir franchir l’abime qui les sépare des pays dits développés, l’Occident qu’ils détestent et aiment à la fois. Ils traversent le Sahara, s’embarquent dans bateaux surchargés pour traverser une Méditerranée jonchée de noyés et pénétrer le paradis terrestre de l’Union européenne. C’est la grande séduction!

     Rédigé au temps de l’exil à Babylone avec des traditions orales ou écrites très archaïques, le livre des Juges nous montre comment le peuple trahit l’alliance avec Yahvé, qui le livre à ses ennemis. Le peuple opprimé crie alors vers son Dieu qui lui suscite un libérateur. Déborah, Samson, Gédéon, Jephté sont parmi les plus connus de ces libérateurs. Ce livre comporte un enseignement fondamental : il y a dans les moments les plus sombres et les plus désespérants de l’histoire, des hommes ou des évènements qui confirment qu’un Souffle puissant détrône les puissants et renverse les orgueilleux, selon l’hymne de Marie de Nazareth. Bien sûr, la conception de Dieu présente dans le livre des Juges nous montre une sorte de deus ex maquina, un dieu qui tombe du ciel dans un nuage, comme propulsé par une machine magique. Cette conception choque notre mentalité sécularisée avec raison. Mais la bible nous parle aussi d’un Souffle originel qui plane sur le chaos et en ramène une création bien ordonnée. Le Souffle créateur, à l’origine du monde, ce Souffle issu du Tout-Vivant se transmet à tout ce qui existe, continue de souffler parfois puissamment, de s’immiscer dans la boue humaine pour la transformer en Vivants et Vivantes. Ce Souffle libérateur a ouvert la mer Rouge et laissé passer à pied sec les esclaves fugitifs, la refermant ensuite sur les forces armées de Pharaon.

     Le Dieu de Moïse, de Gédéon et de Jésus est libérateur, il prend parti pour les humilié-e-s de la terre, il est la force des opprimé-e-s et le miracle finit toujours par se produire : les murs s’écroulent, les statues des puissants s’effondrent dans la poussière et une petite pierre tombée de la montagne suffit à pulvériser la statue du puissant empire aux pieds d’argile (voir Dn 2,34). C’est une loi de l’histoire : les libérations se produisent à partir des « insignifiants » des systèmes en place. « Mon clan est le plus faible de la tribu de Manassé et moi, je suis le plus jeune de ma famille. » La mort du jeune Mohamed à Sidi Bouzid à déclenché un ouragan de colère et de liberté. Le livre des Juges rappelle l’importance de l’alliance avec ce Dieu qui détruit les fausses sécurités de nos systèmes économiques basés sur une accumulation sans limites. Les dogmes du néolibéralisme constituent aujourd’hui le péché d’idolâtrie qui mène les peuples à l’esclavage. Que la relecture de ce livre fabuleux des Juges nous redonne l’espoir réaliste qu’un autre monde est possible.

Claude Lacaille

Source: Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

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Pour le respect des enfants du monde

 

 

 

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