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Justice sociale
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chronique du 17 janvier 2014

 

Qui peut combattre la Bête?

L’Agneau

L’Agneau toute lumière, toute force, toute douceur
Sr Jeanne Vanasse
Acrylique, 61 x 51 cm, 2012
(photo : Gilles Rioux)


Puis je vis une bête sortir de la mer. Elle avait dix cornes et sept têtes ; elle portait une couronne sur chacune de ses cornes, et des noms insultants pour Dieu étaient inscrits sur ses têtes. La bête que je vis ressemblait à un léopard, ses pattes étaient comme celles d'un ours et sa gueule comme celle d'un lion. Le dragon lui confia sa puissance, son trône et un grand pouvoir. L'une des têtes de la bête semblait blessée à mort, mais la blessure mortelle fut guérie. La terre entière fut remplie d'admiration et suivit la bête. Tout le monde se mit à adorer le dragon, parce qu'il avait donné le pouvoir à la bête. Tous adorèrent également la bête, en disant : « Qui est semblable à la bête ? Qui peut la combattre ? » La bête fut autorisée à prononcer des paroles arrogantes et insultantes pour Dieu ; elle reçut le pouvoir d'agir pendant quarante-deux mois. Elle se mit à dire du mal de Dieu, à insulter son nom et le lieu où il réside, ainsi que tous ceux qui demeurent dans le ciel. Elle fut autorisée à combattre le peuple de Dieu et à le vaincre ; elle reçut le pouvoir sur toute tribu, tout peuple, toute langue et toute nation. Tous les habitants de la terre l'adoreront, tous ceux dont le nom ne se trouve pas inscrit, depuis la création du monde, dans le livre de vie, qui est celui de l'Agneau mis à mort. « Écoutez bien, si vous avez des oreilles pour entendre ! Celui qui est destiné à être prisonnier, eh bien, il ira en prison ; celui qui est destiné à périr par l'épée, eh bien, il périra par l'épée. Voilà pourquoi le peuple de Dieu doit faire preuve de résistance et de foi. »

Apocalypse 13, 1-11

     La Bête envoyée par le dragon pour combattre le Fils de l’homme, figure du peuple de Dieu, surgit de la mer, symbole du chaos et de la mort. Elle domine dans l’Apocalypse où elle apparait apparaît 36 fois. C’est une bête féroce dangereuse et violente qui domine le monde et combat le peuple de Dieu. Mais la Bête est blessée mortellement, puisque Satan, son maître, a été précipité du ciel. Dieu contrôle la situation et le peuple de Dieu, soumis à la persécution et à la mort, doit vivre dans la résistance. Nous avons ici un texte éminemment subversif. Le dragon a donné à la Bête son pouvoir, son trône et son autorité suprême, une façon de dire que l’Empire romain est doté d’un pouvoir satanique. Les idolâtres, « ceux qui habitent la terre » adorent ce faux dieu, ce suppôt du diable. Les adorateurs de la Bête se demandent : « Qui est comme la Bête, qui peut lutter contre elle? »

     À première vue, le livre de l’Apocalypse peut nous sembler bizarre avec ces monstres à plusieurs têtes et ces guerres des dieux dans le ciel et sur la terre. Il faut se rappeler que depuis plus de trois siècles, depuis la conquête de l’Asie par Alexandre le Grand, la culture grecque avait été imposée aux peuples de l’Orient. La Palestine a alors connu une hellénisation forcée avec la bienveillance des classes juives dominantes à laquelle les secteurs populaires se sont opposés farouchement. Dans ce contexte historique, les récits mythologiques païens  furent abondamment diffusés et la littérature « apocalyptique » réinterprétait ces récits païens en faveur de la foi juive et chrétienne.  Le livre de Daniel, la prédication de Jésus ainsi que les auteurs des livres du Nouveau Testament sont imbus de cette littérature de résistance.

Le grand dragon donne autorité à la bête

     Le dragon, l’antique serpent, Léviathan, identifié au Satan ou au diable, constitue une personnification des puissances du mal. Il a été projeté hors du ciel, c’est-à-dire hors du monde de Dieu. Nous avons ici un affrontement entre le bestial et l’humain à l’instar du mythe grec de Typhon qui décrit un monstre colossal, plus haut que les montagnes, aux nombreuses têtes et dont les yeux lancent des flammes. D’une force titanesque, il s’attaqua à Zeus, le dieu du ciel, qui par la foudre, écrasa le monstre en projetant le mont Etna sur lui. On retrouve curieusement aujourd’hui cette fascination pour de tels monstres dans la littérature de Tolkien, Le Seigneur des anneaux.

La dictature de l’Argent

     En relisant cette critique de Jean sur l’Empire romain,  je jette un regard sur la Bête qui aujourd’hui est adorée par les habitants de la planète Terre en entier : l’empire de l’Argent. « Qui est comme l’Argent, qui peut lutter contre lui? Devant le déclin de l’empire américain, la crise qui ébranle l’Union européenne en écrasant les populations, la montée des pays émergents qui se dressent comme des tigres affamés de matières premières et de main d’œuvre à bon marché, l’inégalité sociale et l’augmentation de la pauvreté partout, on ne peut s’empêcher de puiser dans ce texte l’espoir d’une victoire sur le mal.

     L’Argent, qui n’est en fait qu’un fétiche, un symbole d’échange, domine tous les gouvernements qui sont prosternés devant son empire financier, sa bourse et ses agences de notation. Le FMI et la Banque mondiale imposent des politiques d’austérité aux pays et les forcent à couper dans les dépenses publiques de santé, d’éducation et de services sociaux.  Après la crise majeure vécue par les banques et les fraudes milliardaires de l’année 2008, rien n’a changé. Le pouvoir de la Bête financière est demeuré intact, au grand dam de la souveraineté des peuples. Des accords de libre-échange conclus entre les pays livrent aux grandes compagnies transnationales le peu de liberté qu’il reste aux gouvernements.

     Un collègue de travail me partageait dernièrement son essoufflement dans sa profession au service des personnes âgées en hébergement. « Nous travaillons comme dans une usine; tout est évalué en fonction de la productivité : nous devenons des machines qui coursent avec la montre. Notre travail est essoufflant et frustrant. Nous devrions être à l’écoute des patients à qui nous n’avons plus le loisir de consacrer notre temps et notre attention. Tout est en fonction de la rentabilité, de l’économie et non pas au service des gens qui nous sont confiés. Ça ne peut pas marcher comme ça. »

     L’Apocalypse nous révèle le péché mortel de l’humanité : l’idolâtrie de l’Argent. Nous remettons docilement à l’empire financier le sort de la vie de toute l’humanité. Nous reconnaissons ce pouvoir de l’Argent sur nous comme s’il était une puissance divine transcendante. Nous sommes soumis à son pouvoir absolu. Toute critique au capitalisme néolibéral est suspectée d’hérésie et de trahison. « Qui peut lutter contre la Bête? »

     Soyons concrets : l’Alberta s’enrichit avec le pétrole des gaz bitumineux, un produit hautement polluant qui détruit le territoire et les communautés autochtones et augmente dangereusement les gaz à effet de serre. Le gouvernement Harper fait la sourde oreille aux « hérétiques » qui s’opposent à la croissance économique et donne tout son appui aux pétrolières. Des projets de pipelines sillonnent la carte de notre grand pays; il faut acheminer ce pétrole coûte que coûte vers les marchés européens et asiatiques, puisque le voisin étasunien n’en n’a plus besoin. L’industrie pétrolière veut exploiter les gaz de schistes dans le Golfe Saint-Laurent et sur l’île d’Anticosti et le gouvernement québécois prête une oreille favorable à ces chants de sirène qui menacent notre environnement. « Qui peut lutter contre la Bête? »

Un prophète de mensonge

     « Puis je vis une autre bête ; elle sortait de la terre. Elle avait deux cornes semblables à celles d'un agneau et elle parlait comme un dragon. » (Ap 12,11) Cette bête se déguise en agneau pour tromper. « Elle symbolise toute la structure idéologique impériale : ses prêtres, ses philosophes, ses maîtres, ses magistrats; ses cultes, ses célébrations de masse, son cirque; ses activités culturelles au théâtre, à l’odéon, à l’hippodrome; ses gymnases et éphèbes, son sport et ses olympiades; son droit et sa philosophie gréco-romaine; les insignes impériaux de ses armées, les images impériales sur ses pièces de monnaie; son organisation du marché, du commerce; ses relations internationales. L’idolâtrie pénètre tout, et tout est au service de l’idolâtrie de l’Empire. » [1] Tout le système est basé sur un grand mensonge que nous assumons tous comme une vérité de foi : le marché nous mène au bonheur par sa main invisible. Le pouvoir de l’Argent est infiltré dans toutes les structures de notre société : monde politique et économique, médias, sports, armée, etc. Nous vivons dans un grand mensonge : le miracle de la prospérité est promis à qui obéit humblement aux dictats du marché. Toute intervention pour restreindre la liberté du marché est un blasphème.

Chant de la victoire sur la Bête

Je regardai encore : je vis l'Agneau qui se tenait sur le mont Sion et, avec lui, cent quarante-quatre mille personnes qui avaient son nom et le nom de son Père inscrits sur le front. J'entendis une voix qui venait du ciel et qui résonnait comme de grandes chutes d'eau, comme un fort coup de tonnerre. La voix que j'entendis était semblable au son produit par des harpistes, quand ils jouent de leur instrument. Ces milliers de gens chantaient un chant nouveau devant le trône, devant les quatre êtres vivants et les anciens. Personne ne pouvait apprendre ce chant sinon les cent quarante-quatre mille qui ont été rachetés de la terre. Ceux-là ne se sont pas souillés avec des femmes, ils se sont gardés purs. Ils suivent l'Agneau partout où il va ; ils ont été rachetés d'entre les humains pour être offerts les premiers à Dieu et à l'Agneau. Dans leur bouche, il n'y a jamais eu place pour le mensonge; ils sont sans défaut.

Apocalypse 14, 1-6

     Nous avons ici le texte central, la substantifique moelle de l’Apocalypse. Jean nous partage sa vision du présent : un peuple de Dieu de 12 tribus de 12 000 membres chacune, une unité sociale parfaite et bien structurée qui entoure le Christ vivant ressuscité sous la forme de l’Agneau immolé. Ce peuple est sur terre, dans un lieu symbolique, car la Jérusalem historique a déjà été détruite par les Romains. Les membres de cette communauté sont protégés par le nom du Père et de l’Agneau inscrit sur leurs fronts, contrairement aux idolâtres qui sont marqués du nom de la Bête pour pouvoir acheter et vendre, autrement dit pour pouvoir survivre.

     La communauté de l’Agneau est constituée de personnes qui n’acceptent pas le mensonge de la Bête. Ce sont  des gens droits, bénis par Dieu et l’Agneau : « En marche, les cœurs purs, ils verront Dieu. » (Mt 5,8) On sursaute en lisant qu’ils ne se sont pas souillés avec des femmes! Comprenons bien qu’il ne s’agit ici ni de misogynie, ni de célibat ou d’abstinence sexuelle. L’idolâtrie est considérée par tous les prophètes juifs comme une prostitution, un adultère, une infidélité à Dieu et elle est toujours désignée comme telle. L’allusion concerne le commerce sexuel des prostituées sacrées dans les temples grecs. Il s’agit bien de la pureté de celles et ceux qui n’ont pas forniqué avec l’idole de l’Argent.

     Seules les personnes qui suivent l’Agneau partout où il va peuvent comprendre ce message venu de Dieu : l’Argent n’est qu’un moyen d’échange, pas un dieu. Remettons l’économie au service de la vie et de la justice. Ce chant céleste n’est compris que par les « idéalistes » qui refusent l’autorité de la Bête et se bouchent les oreilles devant les chants de sirènes des faux prophètes qui font de nous des esclaves. L’Église de Jésus, c’est la grande communauté, organisée et structurée pour résister au pouvoir de la Bête, l’Argent.

« Ainsi donc, nous aussi, encouragés par cette foule de supporters, débarrassés de tout fardeau qui nous alourdirait et du péché, qui facilement nous handicape, courons avec endurance l’épreuve qui nous est proposée, les yeux rivés sur celui qui est source de la foi et celui qui la mène à sa perfection, Jésus qui, au lieu de la joie qui lui était offerte et sans tenir compte d’une telle infamie, accepta la mort sur une croix et s’est assis à la droite du trône de Dieu. Oui, afin de ne pas vous laisser abattre par le découragement, songez à celui qui a subi une telle opposition de la part des pécheurs. Car dans votre combat contre le péché, vous n’avez pas encore bataillé jusqu’à la mort. »

Hébreux 12, 1-4 selon la version Bayard-Médiaspaul, 2001

[1] Pablo Richard, L'Apocalypse, reconstruction de l’espérance, Lumen Vitae-Paulines, 2001 pp. 158-159.

Claude Lacaille

Source: Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

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