(Mart Production / Pexels)

Lire la Bible en assoiffé

Jean-Claude RavetJean-Claude Ravet | 8 septembre 2025

Il faudrait lire la Bible comme on boit à un point d’eau dans le désert. Trouver en elle la possibilité de continuer à vivre. Ce n’est pas des histoires qu’on y trouve. Ni des paroles de sagesse. Elles sont là bien sûr. Millénaires, en attente d’être lues. Mais pour qu’elle soit cette source vitale, elles ne suffisent pas. Il faut y aller d’abord assoiffés. La gorge sèche. Ouvrir le livre la main tremblante, désespérés de n’y trouver que ça. Tant lu. Tant écouté. Tant commenté. Avec l’espoir vain d’y trouver l’inespéré, ce qui peut sauver. Et le trouver. Il faut un vide immense en nous, creusé par la misère du monde où puisse surgir un désir vif comme un feu qui brûle tout comme ces feux qui ravagent les forêts aujourd’hui, allumés par le dessèchement de l’âme et qui ne laissent derrière eux que cendres et fumées. Un désir qui brûle le décor de carton-pâte qui meuble tant de vies, et masque tant de cris, de pleurs, de corps recroquevillés par la douleur, les mains tendues ou crucifiées, les yeux pleins de désespoir et de prières – et sa propre fragilité. Un désir impossible de comprendre la folie humaine. La lèpre qui défigure l’homme, le ronge jusqu’à l’âme, l’en vide, ne laissant qu’une apparence difforme, répulsive qui efface à son passage la beauté du monde jusqu’au désert, celui du combat et de l’exil.

Il faut un vide immense qui nous dénude et nous fasse éprouver la soif, la soif immense de vivre. Non pas une vie quelconque, mais la vie qui rime avec éternité. Non pas la nôtre mesquine, mais l’unique qui compte, celle de Dieu. Celle qui embrasse l’humanité et l’univers. Les atomes et les étoiles. Les vivants et les morts. L’infini et l’éphémère. Le silence et la lumière. La terre et le ciel. Il nous faut cette part du vide en nous dans lequel Dieu s’est vidé lui-même pour créer, et pour naître. Et ce vide se creuse, et cette soif se creuse, nous dit les histoires et la sagesse de la Bible, au contact des petits, des vulnérables et des blessés, des pauvres et des opprimés, des corps écorchés par l’indifférence et l’avidité humaine, et le silence de Dieu. C’est avec ce vide, c’est avec cette soif, avec ce désir de vivre cette vie humaine, cette vie divine, la nôtre, la fragile, l’aimée, qu’il faut ouvrir la Bible, comme on est entré naguère dans une tombe ouverte pour n’y trouver qu’un suaire plié et un ange qui disait : Pourquoi chercher le Vivant parmi les morts. Retourner en Galilée, c’est là que vous le verrez (Lc 24,5-6 ; Mc 16,6-7).

Il faut pouvoir ouvrir la Bible pour y puiser le sens qui fait vivre. Pour se dresser debout, ferme, pugnace, dans la catastrophe, quand tout s’écroule, quand les ouragans, les bombes, le non-sens, la démesure des riches et des puissants font voler en éclats nos demeures, nos croyances, nos espoirs, notre savoir sur le monde. Quand nous marchons sur les routes portant sur le dos les restes abîmés de multitude de vies, les balluchons bourrés de deuils et de larmes, tirant le lourd fardeau de l’abandon. Il nous faut pouvoir ouvrir la Bible quand il n’y a plus de livres à ouvrir, quand la Bible n’est plus un livre mais un puits dans le désert dans lequel l’on jette avec angoisse un seau au fond dans l’espoir d’y puiser de l’eau qui fera vivre. Les déjà repus et désaltérés ne peuvent qu’y trouver que ce qu’ils ont déjà, le superflu qui ornera leur vie repue.

Il faut lire la Bible comme on va chercher de l’eau dans le désert, quand l’eau manque. Sans rien d’autre que nos mains sales et sèches, vides pour y poser nos lèvres, sales et sèches. La lire comme de l’eau que l’on boit. Les repus, eux, savent y trouver des armes, de l’or, des bricoles, de la puissance, de la richesse qui les rassurent dans leurs ripailles, et ajoutent à leur puissance et à leur richesse. Du vide sans désir. Ils trouvent ce qu’ils ont déjà. La Bible ouverte n’est qu’une eau qui coule dans des mains creuses comme un bol pour y boire, non pas la retenir ni la contenir. Une eau pleine de vies et de souffles, de bontés offertes, de souffrances apaisées, de rêves éveillés, de traces de Dieu assoiffé, en quête d’eau dans le désert. Une eau à même de faire naître un chant de joie devant la beauté de la vie chez un être déjà cerné par la violence et le mal, comme les trois enfants jetés dans la fournaise de Babylone (Dn 3,51-90).

Un homme un jour, sur une île où il était relégué en exil, a ouvert la Bible ainsi, assoiffé de sens. Il y a puisé une eau vive, elle jaillissait comme une source inépuisable. Tant qu’il en a puisé et puisé, des jours, des nuits, jusqu’à en faire un livre. Un livre comme un puits pour les égarés et assoiffés du désert, les ébranlés des ruines, les attentifs du silence de Dieu, comme lui. C’est que le Dieu assoiffé lui-même la lui avait offerte, le lui avait ouvert. Viens, lui dit-il, toi l’assoiffé, viens y boire. Et que celui qui ressent, comme lui, ce vide en lui qui brûle comme un désir de vivre, « vienne et prenne l’eau de la vie gratuitement » (Ap 22,17).

Jean-Claude Ravet est essayiste et a été rédacteur en chef de la revue Relations de 2005 à 2019.

Hammourabi

Justice sociale

Les textes proposés provoquent et nous font réfléchir sur des enjeux sociaux à la lumière des Écritures. La chronique a été alimentée par Claude Lacaille pendant plusieurs années. Depuis 2017, les textes sont signés par une équipe de collaborateurs.

livre

 

Jean-Claude Ravet est l’auteur de Le désert et l’oasis. Essais de résistance (2016) et de La nuit en l’aube. Résistances spirituelles à la destruction du monde (2024), aux éditions Nota Bene.