Jésus guérit l’aveugle. El Greco, circa 1570. Huile sur toile, 119 x 146 cm. Metropolitan Museum of Art, New York (Wikipedia).

Bartimée, l’aveugle de Jéricho

Roland BugnonRoland Bugnon, CSSP | 11 mars 2019

Lire Marc 10, 24. 46-52

Le chapitre 10 du récit de Marc apparaît comme un moment charnière dans l’ensemble de son œuvre. Jésus traverse une dernière fois la Galilée avant de prendre la route de Jérusalem. Il a prévenu les siens : cette dernière étape sera difficile et s’achèvera dans la souffrance et la mort.

Ses disciples peinent à comprendre ses avertissements. Ils continuent à voir en lui le messie glorieux qui rétablira le royaume d’Israël et n’entendent pas les mises en garde. Ils restent fixés sur des rêves de grandeur très humaine (voir Mc 10,33-37). L’évocation, à plusieurs reprises, de la route de Jérusalem prend tout-à-coup une valeur symbolique. Le chemin choisi n’aura rien d’une promenade touristique. Il ne s’achèvera pas avec la marche triomphale du roi libérateur dont rêvent les disciples et le petit peuple avec eux. Personne ne peut entendre car ils refusent d’envisager cette perspective. Ils sont aveugles comme Bartimée qui est assis sur le bord de la route à mendier l’aide des passants. Marc situe à cet endroit le récit de sa rencontre avec Jésus, à la sortie de Jéricho, peu avant la bifurcation où commence la longue montée vers Jérusalem.

Bartimée entend le bruit de la foule qui s’approche et la voix du rabbi qui parvient jusqu’à lui ; il comprend l’importance du moment. Apprenant que Jésus de Nazareth va passer devant lui, une espérance folle monte en son cœur. Tout ce qu’il sait déjà de lui se regroupe et devient une certitude à laquelle il s’attache. Un cri sort de sa bouche : « Fils de David, Jésus, prends pitié de moi ! » Il donne d’emblée au rabbi de Nazareth l’un des titres attribués au roi-messie attendu. Dans la foule certaines personnes trouvent qu’il exagère et veulent le faire taire. Visiblement les avis divergent à ce sujet. Si tous s’accordent à voir en lui un véritable homme de Dieu ou un prophète, ils sont peu nombreux à imaginer qu’il soit le messie. En effet, même si ses paroles sont merveilleuses, il n’a rien d’un chef de guerre capable de rassembler le peuple contre l’envahisseur romain. Jusqu’à ce jour il a d’ailleurs toujours refusé ce titre. Bartimée n’en a cure ; il s’est fait son opinion sur la base de ce qu’il a entendu de lui. Son appel redouble d’intensité : « Fils de David, prends pitié de moi ! » On dit de lui qu’il est aveugle. En fait il est plus clairvoyant que la foule agglutinée là, dans l’espoir d’assister à un miracle ou de voir un signe spectaculaire. Lui n’a pas besoin de voir de ses yeux de chair. Il a tout compris intérieurement. Les yeux du cœur se sont ouverts en lui et le poussent à crier sa détresse sans aucun frein.

Jésus a entendu l’appel. Il s’arrête, désireux d’y répondre. « Appelez-le. »Relayée par la foule, l’invitation parvient à Bartimée : « Confiance, lève-toi ; il tappelle. » Ces mots ont sur lui un effet immédiat. « L’aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus. » Cette phrase comporte trois verbes qui définissent le tout d’une démarche de foi authentique. Dès qu’il entend l’invitation, il commence par jeter son manteau, son unique protection, avec les maigres aumônes récoltées. Il n’a plus besoin de rien. Sa sécurité, il la dépose entre les mains du rabbi de Nazareth. Puis d’un bond, il se relève, se met debout. Cet acte lui permet de devenir un homme libre qui recouvre sa pleine humanité. Il se met alors à courir vers Jésus sans se soucier des obstacles qu’il peut trouver sur son chemin. La voix entendue lui suffit. Elle devient le seul repère auquel il se fie. Cette voix retentit à nouveau, toute proche de lui. « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » La question peut paraître curieuse, Jésus sait bien que les cris viennent d’un aveugle, mais il veut que ce dernier exprime sa demande avec ses propres mots. Le dialogue a suffi pour créer une relation d’intimité entre eux deux. La dernière réponse l’indique. « Rabbouni, que je retrouve la vue ! » Le ton a changé, comme si quelque chose de nouveau venait de se passer. Le titre utilisé est « rabbouni » ou « mon maître à moi / mon maître bien-aimé ». Bartimée est entré dans une relation affective forte avec Jésus devenu pour lui l’ami en qui il a toute confiance. Pour ce dernier cela suffit : « Va, ta foi t’a sauvé. » Bartimée retrouve la vue.

Béni sois-tu Seigneur, pour cette rencontre avec Bartimée. Elle me rappelle que l’on peut ne rien voir avec ses yeux de chair, mais atteindre la clairvoyance du cœur. Ils sont nombreux à te suivre, à se bousculer en espérant voir quelque signe. Malheureusement, ce ne sont que des curieux avides de spectacle. Ils te voient parfaitement bien, peuvent t’entendre parler du royaume de Dieu, se réjouir même de ce que tu dis. Pourtant une question demeure : ont-ils vraiment cru en toi ? Sans te voir de ses yeux, Bartimée t’a reconnu comme le messie-envoyé de Dieu et il met en toi sa confiance ou sa foi. Sa vie en sera transformée. Guéris-moi, Seigneur, de mes propres cécités ; libère-moi de tout ce qui m’empêche de te reconnaître vraiment, lorsque tu passes sur ma route. Accorde-moi la grâce de te reconnaître en vérité.

Prêtre spiritain, Roland Bugnon est l’auteur de Voyage de Marc en Galilée : récit imaginaire et romancé de la naissance d’un livre (Saint-Augustin, 2013).

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Les événements de la vie nous confrontent et suscitent des questions. Si la Bible n’a pas la réponse à toutes nos questions, telle une lampe, elle éclaire nos existences et nous offre un certain nombre de repères.