(fabionegozio / Pixabay)

L’inter-hospitalité

Martin BelleroseMartin Bellerose | 20 mai 2024

Les sociétés contemporaines semblent obsédées par l’idée d’intégrer les nouveau arrivants, les immigrants. On parle parfois d’intégration, d’inclusion, d’assimilation et bien que ces termes décrivent des réalités toutes différentes les unes des autres, ils décrivent tous le rapport d’une minorité (immigrante) à la majorité (native). On est inclus dans quelque chose qui existe déjà, on s’intègre à une majorité, on est assimilé par la majorité en terre d’accueil.

Mais, est-ce seulement en ces termes que l’on peut parler de la relation des immigrants avec les natifs? Non, certainement pas. Nous explorerons ici certains textes bibliques qui traitent de la présence de ce que nous appelons « l’inter-hospitalité », soit une relation d’hospitalité réciproque entre personnes de groupes socioculturels différents. Il ne s’agit pas ici d’immigrants qui « s’insèrent » d’une façon ou d’une autre dans un groupe majoritaire.

En quoi consiste l’inter-hospitalité?

L’inter-hospitalité s’intéresse à la rencontre entre personnes, à un moment et un lieu donné, indépendamment du statut de l’une et l’autre personne à cet endroit. Pour nous, tout est ici centré sur la relation et sa dynamique. C’est un accueil mutuel des personnes.

L’inter-hospitalité nous propulse hors de la perspective du don. La réciprocité dans le geste hospitalier lui est intrinsèque. Si l’hospitalité est un don, c’est en tant que don de l’Esprit saint, mais ce n’est pas un don que l’accueillant fait à l’accueilli, le geste n’est pas unidirectionnel. L’un est accueilli en même temps qu’il accueille. Le fait d’offrir l’hospitalité n’exige pas d’être privilégié ; soit parce que l’on possède plus que l’autre et que nous sommes en position de pouvoir pourvoir à une nécessité de l’autre sans rien demander en retour, soit parce que nous sommes « chez nous » et ainsi pouvoir accueillir celui qui n’est pas « chez lui ». L’inter-hospitalité s’opère sans tenir compte du « chez soi » de l’un ou de l’autre ou, s’il est pris en compte, c’est généralement pour le renverser. Ces renversements sont fréquents dans la Bible.

Quelques exemples bibliques

Prenons ici quelques exemples dont certains ont fait l’objet de chroniques précédentes :

La théophanie de Mamré

Dans le récit de la théophanie de Mamré, lorsqu’Abraham accueille les trois visiteurs, il court vers eux alors que le texte précise qu’ils étaient « debout près de lui ».

Le Seigneur apparut à Abraham aux chênes de Mamré alors qu’il était assis à l’entrée de la tente dans la pleine chaleur du jour. Il leva les yeux et aperçut trois hommes debout près de lui. À leur vue il courut de l’entrée de la tente à leur rencontre, se prosterna à terre. (Genèse 18,1-2)

En accueillant les visiteurs, Abraham se place dans une position de vulnérabilité en allant vers eux et leur donne la possibilité de l’accueillir, ou de le rejeter. Abraham n’est pas seul à accueillir, malgré le fait que « les trois hommes » soient des visiteurs. Ils sont placés dans une situation dans laquelle eux aussi ont quelque chose à offrir. L’accueil est mutuel ici et constitue un bel exemple d’inter-hospitalité.

Rahab

Rahab est la prostituée de Jéricho qui a accueilli, caché, au péril de sa vie, les espions d’Israël envoyé par Josué. Les accueillir était très risqué pour elle. Malgré le risque, cela lui value d’être sauvée de la mort lorsque Jéricho a été mise à sac par Israël.

Aux deux hommes qui avaient espionné le pays, Josué dit : « Entrez dans la maison de la prostituée et faites-en sortir cette femme et tout ce qui est à elle, ainsi que vous le lui avez juré. (Josué 6,22)

Josué laissa la vie à Rahab, la prostituée, à sa famille et à tout ce qui était à elle ; elle a habité au milieu d’Israël jusqu’à ce jour, car elle avait caché les messagers que Josué avait envoyés pour espionner Jéricho. (Josué 6,25)

L’accueil ici n’a pas été conditionnel, mais mutuel. Par son geste d’accueillir les espions d’Israël, Rahab a été accueillie dans ce peuple, et non pas pour y être une simple figurante : elle a pris part à l’histoire d’Israël. N’oublions pas, en effet, qu’elle est l’arrière-arrière-grand-mère du roi David et par le fait même aïeule de Jésus.

Les disciples d’Emmaüs

Après avoir marché ensemble toute une journée, les disciples d’Emmaüs invitèrent celui qu’ils considéraient comme un étranger séjournant à Jérusalem (Luc 24,18).

Ils le pressèrent en disant : « Reste avec nous car le soir vient et la journée déjà est avancée. » Et il entra pour rester avec eux. Or, quand il se fut mis à table avec eux, il prit le pain, prononça la bénédiction, le rompit et le leur donna. (Luc 24,29-30)

Les disciples avaient offert l’hospitalité à Jésus. S’étant attablé, un renversement s’opère et Jésus prend le rôle de l’amphitryon, de celui qui reçoit. C’est en pratiquant l’hospitalité, en partageant le pain, qu’il est reconnu. Encore une fois, l’hospitalité est mutuelle. Ceux qui ont reçu Jésus « chez eux » ont été au même instant reçu par ce dernier dans son royaume qui s’établit le jour même de la résurrection.

Zachée

Quand Jésus arriva à cet endroit, levant les yeux, il lui dit : « Zachée, descends vite : il me faut aujourd’hui demeurer dans ta maison. » Vite Zachée descendit et l’accueillit tout joyeux. (Luc 19,5-6)

Ici, nous avons un autre cas de figure : Jésus s’invite chez Zachée. En s’invitant chez le publicain, il l’accueille dans les faits, puisqu’il le reçoit tel qu’il est malgré son rôle social, son image et sa réputation peu favorable. En acceptant d’accueillir Jésus, Zachée est aussi accueilli par lui.

En conclusion

Ces récits nous font voir, chacun à leur façon, comment on y dépasse le paradigme de la simple intégration ou de l’inclusion. Il y a d’abord et avant tout un accueil mutuel qui s’opère. Lorsqu’Abraham reçoit les trois visiteurs à un endroit qui n’est pas chez lui, mais qui lui a été promis – à lui et à sa descendance même si Sara n’a pas encore enfanté – le Seigneur l’accueil en lui promettant une descendance qui donnera sens à ce qu’il s’enracine en cette terre. Soyons ici prudents : lorsqu’un endroit devient « chez-soi », il ne le devient pas exclusivement. Au moment même où Rahab cache les espions, elle devient partie prenante du peuple d’Israël sans pour autant que la Cananéenne qu’elle est de naissance sorte de Canaan.

Dans nos exemples tirés de l’Évangile de Luc, chaque geste hospitalier place l’amphitryon en invité. Peu importe chez qui nous sommes, si on s’est invité ou si on a été invité. C’est l’accueil mutuel dans ce que nous appelons l’inter-hospitalité qui reconfigure nos relations en les dynamisant. Personne n’est placé dans une position propice à dominer la situation…

Martin Bellerose est professeur et directeur de l’Institut d'étude et de recherche théologique en interculturalité, migration et mission (IERTIMM) et directeur de la formation en français de l’Église Unie du Canada.

Le furet biblique

Bible et migration

La question des migrations est de plus en plus présente dans les enjeux et débats de société. La présente rubrique cherche à mettre en évidence l’importance de cette thématique dans les différents textes bibliques et souhaite offrir des pistes, à partir des Écritures, afin de réfléchir sur des enjeux contemporains. Nous y explorons la littérature biblique, parfois extrabiblique, et des réceptions anciennes et actuelles de cette littérature.