La manne. Jacopo Tintoretto, 1594. Huile sur toile.
Basilique de San Giorgio Maggiore, Venise (Wikidata).

L’Eucharistie en Jean, un sacrement de la migration

Martin BelleroseMartin Bellerose | 16 décembre 2024

Lorsque l’on aborde la question de l’Eucharistie, de la communion ou du repas du Seigneur – selon la tradition à laquelle on appartient on choisira l’un ou l’autre terme – d’un point de vue biblique, on retourne aux sources de l’institution de la pratique cultuelle de la sainte cène. On se réfère à Mt 26,26-29 ; Mc 14,22-25 ; Lc 22,17-20 ; 1 Co 11,23-26. Comme si le repas du Seigneur n’en tenait qu’au repas tenu la nuit où Il fut livré, que nous appelons communément dans nos traditions : le jeudi saint.

Dans l’Évangile de Jean

Pourtant, dans l’Évangile de Jean il est aussi question du repas du Seigneur où il est lui-même présenté comme le pain de vie. On présente ce repas sous un angle tout à fait différent de ce à quoi nous sommes habitués, l’identification de Christ au pain se fait dans le même texte que la multiplication des pains.

Jésus leur répondit : « L’œuvre de Dieu c’est de croire en celui qu’Il a envoyé. » Ils lui répliquèrent : « Mais toi, quel signe fais-tu donc, pour que nous voyions et que nous te croyions ? Quelle est ton œuvre ? Au désert, nos pères ont mangé la manne, ainsi qu’il est écrit : Il leur a donné à manger un pain qui vient du ciel. » Mais Jésus leur dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain du ciel, mais c’est mon Père qui vous donne le véritable pain du ciel. Car le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. » (Jean 6,29-33)

L’évangéliste ajoute :

Ils lui dirent alors : « Seigneur, donne-nous toujours ce pain-là ! » Jésus leur dit : « C’est moi qui suis le pain de vie ; celui qui vient à moi n’aura pas faim ; celui qui croit en moi jamais n’aura soif. Mais je vous l’ai dit : vous avez vu et pourtant vous ne croyez pas. » (Jean 6,34-36)

Tant dans le livre de l’Exode que dans l’Évangile de Jean, il s’agit d’une nourriture que nous ne connaissions pas jusque-là : la manne, dans le texte vétérotestamentaire et la parole vivante de Christ dans le texte néotestamentaire. Dans le texte de Jean, c’est une parole qui nourrit le corps et le cœur.

J’ai mentionné précédemment que ce texte se trouve dans le même chapitre que le récit de la multiplication des pains en Jean 6. Il ne s’agit évidemment pas là d’une simple coïncidence : il y a là un positionnement théologique. On y raconte (Jean 6,1-15) qu’une foule venait à lui, là où il était, sur la montagne. Ces gens se sont déplacés pour se nourrir de sa parole. Il y a une possibilité implicite dans le texte que Jésus fasse retourner tous ces gens, là d’où ils viennent. S’il ne pourvoyait pas à leur nécessité matérielle, il les aurait alors privés du pain de vie éternelle qu’il était lui-même.

Cette situation n’est pas étrangère à celle du peuple d’Israël pendant l’Exode. Pris au désert devant la faim, Dieu aurait pu dire, selon le souhait de plusieurs d’ailleurs, « retourner là d’où vous venez, en Égypte, car il n’y a plus rien à manger pour vous dans le désert ». Mais au lieu de cela, Dieu se donne lui-même en nourriture à son peuple.

La source dans Exode 16

Le texte évoqué en Jean n’institue pas la sainte cène. Mais ô combien il pourrait enrichir notre pratique de la communion et ce, toutes traditions chrétiennes confondues. Lorsque l’on partage le pain qui donne vie au corps, c’est la parole vivante de Christ qui donne vie au cœur et à l’âme qui y est symbolisé. Il évoque toute cette Parole qui dit aux migrants, que ce soit au moment de l’exode, de l’exile, lors des persécutions des chrétiens aux premier temps de l’Église, ou ceux d’aujourd’hui : « n’arrête pas ta route, je pourvoirai à tes besoins, et je t’encouragerai au moment où tu risques de te décourager ». Cette même parole vivante et éternelle prononcée à Josué juste au moment d’arriver en terre promise qui dit : « Sois fort et courageux, car c’est toi qui donneras comme patrimoine à ce peuple le pays que j’ai juré à leurs pères de leur donner. » (Josué 1,6) Et il lui sera répété un peu plus loin : « Ne te l’ai-je pas prescrit : sois fort et courageux? Ne tremble pas, ne te laisse pas abattre, car le Seigneur, ton Dieu, sera avec toi partout où tu iras. » (Josué 1,9)

Cette parole nourrit l’espérance d’un peuple en proie au découragement, Lorsque l’on reçoit le pain au moment de la communion, c’est cette même nourriture d’espérance que nous recevons. Cette nourriture, c’est Christ qui se donne chaque fois qu’on prend part au repas du Seigneur et qui était préfiguré lorsque le peuple d’Israël migrait vers la terre promise.

La couche de rosée se leva. Alors, sur la surface du désert, il y avait quelque chose de fin, de crissant, quelque chose de fin tel du givre, sur la terre. Les fils d’Israël regardèrent et se dirent l’un à l’autre : « Mân hou ? » (« Qu’est-ce que c’est ? »), car ils ne savaient pas ce que c’était. Moïse leur dit : « C’est le pain que le Seigneur vous donne à manger. » (Exode 16,14-15)

Martin Bellerose est professeur et directeur de l’Institut d'étude et de recherche théologique en interculturalité, migration et mission (IERTIMM) et directeur de la formation en français de l’Église Unie du Canada.

Le furet biblique

Bible et migration

La question des migrations est de plus en plus présente dans les enjeux et débats de société. La présente rubrique cherche à mettre en évidence l’importance de cette thématique dans les différents textes bibliques et souhaite offrir des pistes, à partir des Écritures, afin de réfléchir sur des enjeux contemporains. Nous y explorons la littérature biblique, parfois extrabiblique, et des réceptions anciennes et actuelles de cette littérature.