Les pharisiens devant Jésus. James Tissot, c. 1886-1894. Brooklyn Museum, New York (Wikipédia).

Vraie et fausse pureté! Qui dit mieux!

Christiane Cloutier DupuisChristiane Cloutier Dupuis | 22e dimanche du Temps ordinaire (B) – 1er septembre 2024

Le pur et l’impur : Marc 7, 1-8.14-15.21-23
Les lectures : Deutéronome 4, 1-2.6-8 ; Psaume 14 (15) ; Jacques 1, 17-18.21-22.27
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Peu de catholiques savent comment sont conçus les lectionnaires liturgiques à l’usage de la messe et de la célébration des sacrements. C’est la Congrégation pour le culte divin qui en est responsable ; y travaillent, on s’en doute bien, nombre de spécialistes de la liturgie, de l’étude des textes bibliques. Espérons qu’il y a aussi des personnes provenant des milieux pastoraux en paroisse. Mais qui, nommément ? On ne sait pas. Mystère ! Pour en savoir davantage sur la conception du lectionnaire, il faudrait lire la longue introduction qui donne les caractéristiques, les règles qui ont guidé le choix des lectures, l’esprit du lectionnaire, les règles d’usage selon les temps liturgiques et j’en passe. Le choix des lectures du lectionnaire s’applique uniformément à l’Église entière, dans tous les pays et toutes les langues. Malgré tout cela, il y a des choix de textes bibliques pour la liturgie de la Parole de la messe qui nous laissent dubitatifs sur leur pertinence, comme le texte d’évangile de ce dimanche ; nous pourrions nous en passer, diraient certains.

Aujourd’hui par exemple, dans le texte évangélique choisi par ceux qui « confectionnent » le lectionnaire, huit versets portent sur des règles de pureté du judaïsme du 1er siècle, remises en question par Jésus mais totalement inopérantes pour les chrétiens.nes. Et les trois derniers versets de l’évangile se terminent par un enseignement moral emprunté au judaïsme hellénistique, donc pas du Jésus historique, un enseignement ajouté probablement par la tradition chrétienne. Quant aux versets 9 à 13 où Jésus reproche aux responsables religieux de son temps « de laisser de côté le commandement de Dieu et vous vous attachez à la tradition des hommes… Vous repoussez le commandement de Dieu pour garder votre tradition », on les a coupés alors qu’ils expliquent très bien la position de Jésus et pourquoi il leur fait des reproches. Pourquoi cette coupure ? Est-ce qu’ils sont à risque de susciter des questionnements sur le rapport entre des règles disciplinaires catholiques et leur rapport avec l’enseignement Jésus ? Enfin arrivent les vv. 14-15 où Jésus donne un enseignement d’une importance capitale : « Écoutez-moi tous et comprenez. Il n’y a rien d’extérieur à l’homme qui puisse le rendre impur en pénétrant en lui mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. » Cet énoncé explique en partie le reproche que Jésus a fait aux responsables religieux sur les rituels de pureté.

Commentaire

Cette péricope est composée de plusieurs éléments traditionnels rassemblés sous forme de discours. C’est Marc qui a associé ces éléments en deux parties essentielles : une controverse suivie d’une contre-attaque de la part de Jésus et un enseignement qu’il devait trouver extrêmement important. Sinon, il n’aurait pas fait précéder cet enseignement par cette controverse sur les règles de pureté suivie d’une contre-attaque cinglante contre les pharisiens. Pour comprendre ce bout d’évangile, on doit se rappeler que chaque évangéliste écrit pour sa communauté et en fonction des besoins et problèmes de celle-ci. La communauté de Marc était composée en majorité d’anciens « païens » mais aussi de Juifs qui vivaient à Rome. D’où probablement ce besoin de rappeler cet enseignement de Jésus sur les règles de pureté du judaïsme. C’est tout-à-fait plausible que des judéo-chrétiens de cette communauté soient restés attachés à plusieurs règles de pureté rituelle et étaient scandalisés de voir les pagano-chrétiens ne pas les respecter ou ne pas s’en soucier. Marc se devait de faire comprendre aux judéo-chrétiens pourquoi ces rituels n’étaient plus nécessaires. C’est ainsi qu’on assiste à une controverse entre Jésus et différents adversaires composés de pharisiens et de quelques scribes venus de Jérusalem, ceux-ci étant souvent des docteurs de la Loi. De voir Jésus contredire ces personnages importants était rassurant pour eux.

Un peu de culture

Pour les chrétiens.nes que nous sommes, les versets 1-6 sont intéressants uniquement au niveau culturel en nous apprenant certaines traditions juives dont celle de se laver les mains avant de manger avec une poignée d’eau, un « latinisme » qui vient du mot grec pygmè, poing, « mesure courante » pour les gens de culture latine à laquelle cette communauté appartient. Au lavage des mains suit la purification au retour du marché. Compte-tenu de l’importance de l’eau dans l’Orient ancien, ces ablutions ne concernent pas des « douches » que prendraient ces personnes mais de lavage des aliments, simple opération de cuisine! Puis vient la liste des nombreux objets à purifier, toutes des règles venant de la Tradition des Anciens mais nullement des Écritures.

Ces règles qui semblent concerner tous les Juifs ne concernaient en réalité que la piété pharisienne. Au temps de Jésus, on lave la vaisselle dans le sable tant l’eau est précieuse. Et l’hygiène est plus que basique… Autrement dit, ce sont des règles que seuls les riches pouvaient se permettre de suivre. Raison de plus pour que Jésus s’insurge contre une Tradition supposée venir de Dieu mais qui était affaire d’hommes, d’hommerie. Jésus savait à quel point toutes ces règles pénalisaient les anawîm, les petites gens. Et que ces prescriptions les culpabilisaient de ne pas pouvoir les suivre et souvent en faisaient des « pécheurs publics ». D’où sa contre-attaque.

Seule chose importante à retenir pour les chrétiens.nes que nous sommes : les concepts de pureté et d’impureté concernaient strictement les rites et rituels religieux dans le judaïsme ainsi que dans toutes les autres religions quand on étudie la sociologie des religions ! La pureté est un concept relevant soit de la chimie (pas de mélange de différentes matières), soit des rituels religieux. Autrement dit, cela n’a rien à voir avec le péché sexuel d’impureté développé ultérieurement dans le christianisme ; les plus âgés se souviendront du « 6e commandement »!   

L’enseignement de Jésus 

Jésus dit : « Écoutez-moi tous et comprenez. Il n’y a rien à l’extérieur de l’homme entrant en lui qui peut le rendre impur mais les choses qui sortent de l’homme sont celles qui rendent l’homme impur ». Ce n’est pas un hasard si Jésus commence en disant « Écoutez » C’est un mot essentiel dans une tradition orale et tout discours important commence par ce mot. Cela signifie que c’est un enseignement capital donné par Jésus. C’est au fil des siècles que la religion et la tradition des Anciens ont accouché d’un nombre effarant d’interdits qui n’avaient et n’ont toujours rien en commun avec le Dieu qui s’était révélé à Moïse et dont parlaient les prophètes. Il suffit de lire Genèse 1-2,4b pour comprendre que tous ces interdits n’avaient rien à voir avec la Parole de Dieu. Gn 1-2,4b où l’on répète inlassablement en ritournelle : « Et Dieu vit que cela était bon » après la création de la lumière, des luminaires, des végétaux et animaux de toutes sortes. Et quand il s’agit de l’humain, c’est encore mieux, l’auteur spécifie : « Et Dieu vit que cela était très bon ».

Ce qui préoccupe le Dieu qui se révèle à Moïse, c’est la situation de l’être humain : « J’ai vu votre misère, j’ai entendu vos cris, je connais vos souffrances, je suis descendu vous libérer » (Exode 3,7). On est très loin d’un Dieu qui condamne et exige toutes sortes de contorsions pour lui plaire. Déformation malheureuse de l’authentique Dieu qu’est YHWH, due à un développement religieux excessif ! On sait qu’au temps de Jésus, une liste interminable d’animaux, d’aliments étaient déclarés impurs ainsi que les personnes qui leur touchaient. Une autre liste ciblait différentes maladies ainsi que les personnes qui en étaient atteintes. Les conséquences étaient tragiques ! Déjà le Lévitique avait sa liste ; avec la Tradition des Anciens, c’était le cauchemar absolu pour les anawîm.

Quand on étudie le Jésus de l’Histoire, on voit à quel point certains récits de l’Ancien Testament l’ont marqué au fer rouge. Les deux récits de la création en Genèse, ensuite ce fameux Dieu inconnu jusqu’alors aux êtres humains qui se révèle à Moïse au buisson ardent (Ex 3,7) et dont le seul souci est la situation de cet être humain, ce Dieu (Ex 3,13) qui dévoile son Nom à Moïse (Ex 3,14), « Je suis, serai », c’est-à-dire J’existe et Je serai toujours là pour toi, montre un Dieu de relation incroyable qui va donner des signes qu’Il existe vraiment tout au long de l’Exode. Un Dieu qui ne demande rien pour Lui, ni temple, ni position « d’aplaventrisme », ni courbettes mais un Dieu qui veut que l’être humain se tienne debout, se respecte. Influence déterminante d’Ézéchiel sur Jésus au sujet de l’importance de se tenir debout (Ez 1,28e-2,1 ; voir aussi sur ce sujet, Jésus en Luc 6,8 et Lc 13,13).

Soyons en action de grâce devant Jésus de Nazareth aujourd’hui. Si nous, chrétiens.nes, mangeons tout ce que nous voulons, si nous voyons tous les animaux comme des créatures voulues de Dieu, c’est grâce à son enseignement libérateur. Sinon, nous serions encore esclaves d’une foule d’interdits touchant aliments, animaux, façon de les tuer, rituels alimentaires, vestimentaires et autres, façon de voir les « étrangers », etc. Il est important de nous le rappeler mais encore plus de savoir d’où nous vient cette liberté due exclusivement à Jésus ! Il est le seul être humain à avoir compris de façon inouïe la profondeur de l’amour de Dieu pour l’humain et sa compréhension abyssale de cet humain qu’il accepte avec ses limites et ses faiblesses parce qu’humain !

Formatrice spécialisée en études bibliques, Christiane Cloutier Dupuis détient un doctorat en Sciences religieuses (option Exégèse) de l’UQÀM.

Source : Le Feuillet biblique, no 2854. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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