Guérison du sourd-muet. Bernadette Lopez, 2019 (evangile-et-peinture.org / bernalopez.org).

Jésus accueille sans discrimination

Odette MainvilleOdette Mainville | 23e dimanche du Temps ordinaire (B) – 8 septembre 2024

Guérison d’un sourd-muet : Marc 7, 31-37
Les lectures : Isaïe 35, 4-7a ; Psaume 145 (146) ; Jacques 2, 1-5
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Ce court texte tiré de l’Évangile de Marc peut, de prime abord, sembler quelque peu obscur. Des questions surgissent effectivement quant à l’identité de cette personne atteinte de surdité et de trouble de langage ; quant à l’identité de ceux qui l’amènent à Jésus ; quant au réflexe de ces inconnus de le lui amener ; quant à la raison qui incite Jésus à se retirer à l’écart pour opérer la guérison ; quant à l’injonction de garder le silence au sujet de la guérison. Pourtant, une lecture attentive et bien contextualisée peut apporter d’importants éclairages à ces questions.

Une guérison en territoire étranger

Dès le départ, le texte nous dit que Jésus se dirige vers la Décapole, une région située en territoire païen. Une indication qui pourrait sembler banale si ce n’était justement l’intention bien arrêtée de Marc de situer hors d’un milieu typiquement juif la guérison dont il s’apprête à faire état. De toute évidence, celui qui sera amené à Jésus est un païen. Une première leçon fort importante émane alors de ce fait, à savoir que devant la souffrance, Jésus ne fait aucune discrimination raciale ; il ne cherche, au contraire, qu’à délivrer l’affligé de sa souffrance. Ainsi, l’évangéliste a délibérément choisi de ne pas identifier ce personnage ni ceux qui l’ont conduit vers Jésus. Qu’il soit juif ou païen, cela n’a aucun impact sur la volonté de Jésus d’opérer la guérison.

D’ailleurs, dans la deuxième lecture, l’auteur de la lettre de saint Jacques intègre bien cette leçon inspirée de l’agir de Jésus. On y lit, en effet : Mes frères, dans votre foi en Jésus-Christ, notre Seigneur de gloire, n’ayez aucune partialité envers les personnes. La lettre de Jacques poursuit en insistant sur le devoir de porter autant d’égard envers celui qui est pauvrement vêtu qu’envers celui dont toute l’apparence fait montre de sa richesse. Une leçon voulant justement signifier que l’apparence physique, pas plus que l’origine ethnique, ne reflète nécessairement l’âme et le cœur.

Une autre conclusion, et non la moindre, se dégage encore du texte de Marc : celle à savoir que la réputation de Jésus s’est largement répandue, et ce, au-delà du cercle des disciples et du milieu juif en général. On sait désormais que ni la nationalité ni la religion de la personne qui se présente sur son chemin n’auront d’incidence sur l’accueil qu’il lui réservera. C’est l’humain qui compte, quels que soient ses antécédents. Toute discrimination est donc exclue. Une réputation qui inspire alors ceux et celles qui ont entendu parler de lui, au point où l’on n’hésite effectivement pas à recourir à sa miséricorde, confiant que sa compassion ne connait pas de frontières.

Du comportement de Jésus, on peut encore déduire que la foi n’appartient pas qu’à ceux et celles qui adhèrent à une pratique religieuse précise ; qu’elle ne se limite pas à l’adhésion à un ensemble de dogmes ou de vérités circonscrites, mais qu’elle peut tout aussi bien s’exprimer avec autant de ferveur et de confiance en contexte étranger. Cette foi en Jésus qui, justement, a incité des étrangers à lui amener celui éprouvé d’un double handicap le démontre bien. On peut, en outre, présumer que cet accueil de la part de Jésus a pu avoir comme effet de fortifier encore davantage la foi de ceux qui le lui ont amené, tout autant que la foi de celui qui a été guéri ; que cet accueil a également pu les inciter à suivre ses traces sur cette voie consistant à faire le bien. Comme le veut le dicton : « On récolte ce que l’on sème ». Semer l’amour et la charité est effectivement propice à l’ouverture vers le bien ; tout comme à l’inverse, semer la haine peut devenir germe du mal, de destruction.

Jésus s’adresse au Père

Jésus a entrainé à l’écart l’homme handicapé, possiblement pour échapper à la rumeur publique et sans doute également par respect envers cet homme. Nous l’avons vu, ce dernier est affligé d’un double handicap, en l’occurrence, de surdité et d’un trouble d’élocution. En sa faveur, Jésus pose alors deux gestes concrets, mais bien symboliques, directement liés aux organes atteints de déficience : il met ses doigts dans les oreilles de l’homme et avec sa salive, il lui touche la langue. Puis avant de prononcer les paroles de guérison, il lève les yeux vers le ciel tout en soupirant, faisant ainsi appel à la force divine, confiant que, du Père, il peut obtenir l’assistance nécessaire. Il prononce ensuite cette parole «Effata!», laquelle signifie « Ouvre-toi ». Et voilà que la guérison s’accomplit. Il est permis de croire que ce « Ouvre-toi » véhicule une portée encore plus grande que celle de la guérison physique. On peut, en effet, penser qu’elle invite à une ouverture à la grâce divine, à la foi en la bonté de Dieu.

Paradoxalement, Jésus ordonne aux témoins de la guérison opérée de n’en parler à personne, comme s’il considérait que le moment propice n’était pas encore arrivé. Et pourtant, nous dit le texte : Plus il donnait cet ordre, plus ceux-ci le proclamaient. Comment, en effet, garder pour soi les manifestations de tant d’amour de la part de Jésus, dont on est témoin ou dont on prend conscience intérieurement ?

Ce passage véhicule également une leçon que dépasse la simple guérison physique de l’homme atteint de cette surdité dont découle son trouble d’élocution. Ce dernier sera désormais en mesure de bien entendre et, par conséquent, de mieux articuler ses propos. L’impact de cette guérison pourrait alors se prolonger au-delà de la recouvrance des capacités physiques en cause et suggérer une portée qui la transcende. Ainsi, quiconque a l’ouïe bien ajustée est susceptible de mieux entendre, de mieux intérioriser ce qu’il entend. En transposant au niveau spirituel, on pourrait alors suggérer qu’une oreille ouverte permet une plus juste compréhension des enseignements de Jésus ; des enseignements dont une langue déliée pourra témoigner et transmettre plus adéquatement.

Conclusion

Dans un autre ordre d’idées, comme conclusion, il n’est certes pas anodin de rappeler que la maladie n’est pas une punition de Dieu, comme on a souvent eu tendance à le croire. Combien de fois, en effet, n’avons-nous pas entendu : « Mais qu’est-ce que j’ai bien pu faire au Bon Dieu pour être atteint d’une telle maladie ? » Ou n’avons-nous pas déjà également entendu en guise de consolation devant l’épreuve : « Dieu éprouve ceux qu’il aime ». La maladie tout comme l’épreuve sont des réalités qui font partie de la vie humaine. Les bons comme les méchants peuvent en être atteints. Marcher sur les traces de Jésus invite alors à tout faire en notre pouvoir pour venir en aide à quiconque est atteint de maladie, à porter assistance à quiconque est frappé d’une épreuve.

Retenons encore sur cette idée que la foi n’est pas l’apanage des religions, mais qu’elle peut aussi se manifester dans l’agir et les propos de ceux et celles qui vivent en marge de la pratique religieuse. La volonté de modeler son existence sur les enseignements de Jésus se concrétise aussi dans les œuvres humanitaires, et cela même si les personnes engagées n’ont effectivement pas manifesté le désir d’inscrire explicitement leur agir à la suite du personnage Jésus. Bref, les athées sont aussi capables d’œuvres humanitaires similaires à celles prônées dans l’Évangile.

Odette Mainville est auteure et professeure honoraire de l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal.

Source : Le Feuillet biblique, no 2855. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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