(photo : Anne-Marie Chapleau)

Semaine de la Parole 2022 – Écouter la voix du bien-aimé

Hélène Pinard Anne-Marie Chapleau | 31 janvier 2022

Cette chronique vous parvient alors que la Semaine de la Parole 2022 tire vers sa fin. Neuf jours de plongée dans la Parole vive, par tous les sens et par tous les moyens! Bien entendu, le récitatif biblique est de la partie ; mais lequel choisir? Que pourrait nous inspirer le thème de la semaine, « À cause de son grand amour ! » (Lc 7,47)? C’est ce que nous nous demandions, ma vieille complice Francine Vincent (diocèse de Saint-Jean-Longueuil) et moi-même.

En louangeant la femme, Jésus, dans ce texte de l’Évangile selon Luc (Lc 7,36-50), se fait le révélateur d’une dynamique de circulation d’amour qui imprègne déjà sa vie. L’amour, en effet, n’existe pas hors relation. Il place en vis-à-vis des personnes appelées à devenir l’une pour l’autre des bien-aimé.e.s.

Le Cantique des Cantiques parle de long en large de l’amour. Le passage qui s’ouvre sur ces mots — « Voix de mon bien-aimé » (Ct 2,8-17) – recèle de riches enseignements sur l’amour. C’est donc celui que nous avons choisi.

D’emblée, en disant « mon bien-aimé », la personne qui récite devient la bien-aimée. Dès lors, les gestes du récitatif viennent ancrer dans son corps cette identification à la bien-aimée. Elle entre à l’intérieur de la Parole avec sa propre vie.

Je suis la bien-aimée

Je chante « Voix de mon bien-aimé » (v. 8) ; ma main droite se porte à mon oreille, puis ma main gauche vient reposer sur mon cœur. Je deviens mon aspiration à rencontrer l’autre, à laisser sa voix ouvrir en moi des chemins neufs. Je ne peux pas le voir de mes yeux quand je dis « le voici, il vient » (v. 8) et que ma main droite revient vers moi pour esquisser son arrivée. Mais le désir enfoui en moi me le fait pourtant « voir ». Il traduit mon assurance secrète que la rencontre aura bel et bien lieu, même si ma quête sera toujours accompagnée du sentiment que l’autre m’échappe. Car l’amour dont parle le Cantique n’a rien de la mainmise sur l’autre, de l’appropriation de l’un par l’autre. Il évoque plutôt la profondeur mystérieuse d’un amour où l’autre ne peut jamais être tenu pour acquis.

Au moment où je commence à chanter « Mon bien-aimé a pris la parole, il me dit » (v. 10), mes mains sont croisées sur ma poitrine.  Puis la droite se porte à ma bouche pour indiquer le jaillissement de la parole du bien-aimé. Je manifeste ainsi le chemin de sa parole en moi : je l’ai entendue, elle est venue se loger en mon cœur, et voilà que maintenant je la redis pour en lancer les échos à d’autres oreilles et, aussi, pour l’entendre à nouveau, car vraiment, elle s’adresse à moi et je n’ai jamais fini de l’entendre : « Lève-toi, ma compagne, ma belle, et va vers toi » (v. 10). Ma main droite qui se soulève m’encourage à oser me lever. Alors, mes deux bras s’entrecroisent et mes mains forment comme un berceau ouvert. Les paroles mêmes par lesquelles le Seigneur appelait Abram (devenu plus tard Abraham) à se mettre en route — va vers toi (Gn 12,1) — me sont dites à moi. Si je peux me lever, vaincre les pesanteurs et les longs hivers (v. 11) qui m’empêchent de déployer mes ailes, c’est qu’un autre m’aime, me précède et m’offre de m’engendrer à moi-même.

Il m’appelle « ma colombe » (v. 14) ; alors mes bras et mes mains deviennent des ailes qui me soulèvent l’âme. Il veut me rejoindre « au creux du rocher, au secret des falaises », dans ce lieu intime et protégé que mes mains dessinent en se réfugiant chacune leur tour sous le bras opposé. Là, je pourrai lui révéler mon visage et lui faire entendre ma voix (v. 14), en d’autres mots être pleinement moi-même devant lui parce que pleinement acceptée.

Attention aux petits renards!

Puis un verset fait apparemment rupture avec les autres : « Attrapez-nous les renards, les petits renards qui ravagent nos vignes » (v. 15). Qui parle? Sans doute les deux bien-aimés ensemble, dans un appel commun à une solidarité contre tout ce dont on ne se méfie pas et qui peut faire faner les « vignes en fleur » (v. 15). Mes mains imitent les pattes des petits renards qui creusent allègrement sans se soucier des ravages qu’ils sont en train de causer. Ainsi en est-il dans le Cantique des Cantiques : la poésie et les images sensuelles n’empêchent pas le regard lucide sur l’amour et les écueils qu’il peut rencontrer, comme celui de vouloir s’attacher l’autre et le retenir. Ce n’est peut-être pas pour rien que ce récitatif s’achève sur une requête inusitée de la bien-aimée à son amoureux : « retourne, mon bien-aimé… » (v. 17). Ma main droite accompagne le bien-aimé qui s’en va tandis que ma main gauche retourne vers mon cœur. Tout comme la bien-aimée, je continuerai à rechercher le bien-aimé. C’est le mouvement de l’amour que rien ne peut arrêter, pas même les « grandes eaux » ni les « fleuves (Ct 8,7).

Anne-Marie Chapleau est membre de l’Association canadienne du récitatif biblique.

Jousse

Récitatif biblique

L'Association canadienne du récitatif biblique propose une chronique mensuelle pour comprendre la discipline spirituelle qui rassemble ses membres. Axée sur la Parole et sur son effet sur l'ensemble de la personne, le récitatif biblique est une forme de méditation où tous les sens sont sollicités.