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Comprendre la Bible
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chronique du 19 décembre 2003
 

L'arbre de la connaissance du bien et du mal (Gn 2,9)
  

Commençons avec le genre littéraire de Gn 1-11. Ces chapitres, qui racontent le début du monde et des hommes, sont en fait des méditations sur l'humanité, et l'humanité devant Dieu. Les onze premiers chapitres de la Genèse, célèbres entre tous, sont des mythes. Attention! Quand on emploie ce mot en exégèse, on n'entend pas quelque chose qui n'est pas vrai ou un conte de fée, comme c'est le sens qu'on donne au mot dans le langage populaire. « Ah! Cette affaire là, c'est un mythe! » On entend ici par mythe une vérité tellement profonde et tellement mystérieuse qu'on n'arrive pas à l'exprimer entièrement ou adéquatement par des concepts. Dans ce cas, les anciens racontaient une histoire qu'ils situaient dans les temps primordiaux, et dont les personnages ont quelque chose de surhumain ou de divin. Le mythe dévoile donc un mystère sur l'humain auquel personne n'a de réponse. Des questions comme : Pourquoi cette attirance mystérieuse entre l'homme et la femme? à laquelle répondra Gn 2,18-24. Pourquoi chaque être humain est-il mystérieusement attiré par le mal? à laquelle répondra Gn 3. Quand on lit les mythes de Gn 1-11, il ne faut pas se demander si ça s'est vraiment passer comme c'est décrit (ce serait faire preuve de peu d'intelligence, et même les auteurs de ces textes ne le croyaient pas); il faut se demander quelle situation humaine universelle d'aujourd'hui est visée.

     Pour raconter les grands mythes fondateurs, les anciens utilisaient les symboles. Un symbole est un élément du monde d'en bas qui renvoie à un élément du monde d'en haut. La différence entre le signe et le symbole, c'est que le signe se situe sur le même plan (la fumée est signe du feu) tandis qu'avec le symbole, il y a un saut à un niveau supérieur grâce à un élément commun (l'eau est symbole du baptême).

     Il y a deux arbres dans le jardin d'Éden, qui symbolise le bonheur auquel l'humain est appelé : l'arbre de vie, et l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Avant de préciser la fonction de ces arbres, il importe de bien comprendre la signification symbolique de l'arbre. Quand on observe un arbre, on constate qu'il est constitué d'un tronc et de branches. Le symbole s'attachera à cet aspect spatial. Le tronc fait fonction de lien entre la terre où il a ses racines et le ciel où il est dirigé. L'arbre est donc un symbole de la communion entre les deux mondes : celui d'en haut où habite la divinité et celui d'en bas où habitent les humains.

     Le premier arbre, l'arbre de vie, se rencontre dans beaucoup d'autres mythes des peuples de l'Orient ancien, comme la célèbre épopée de Gilgamesh. On y raconte comment le héros entend parler d'un arbre qui peut donner la vie éternelle, qui est le but de sa longue quête. Il en vient à trouver cet arbre, mais il lui est volé par un serpent, qui change de peau après avoir mangé de cet arbre. Tout cela signifie un renouvellement de vie et plénitude de vie (le serpent, parce qu'il change de peau, a toujours été interprété dans les anciennes mythologies, comme un symbole de vie éternelle, et chez les premiers chrétiens, de résurrection). Si le jardin d'Éden symbolise le bonheur humain, un des aspects de ce bonheur est la vie pleine, abondante et même éternelle qui est un don de la divinité.

     Quant à l'arbre de la connaissance du bien et du mal, il est unique à Gn 2,9 et il est difficile à interpréter. Les biblistes ont diverses théories. J'en expose quelques unes.

     À première vue, on pourrait conclure que si l'arbre de la vie donne la vie, l'arbre de la connaissance du bien et du mal donne justement la connaissance du bien et du mal. Mais il faut noter que cette connaissance est interdite en 2,17 et 3,3 et que celui qui l'acquière est rendu semble à un dieu (3,5). Si on identifie l'arbre à l'éveil de la conscience humaine ou avec la naissance du sens moral, cela suppose que Dieu voulait, dans son projet initial, maintenir l'humanité dans un état d'enfance et que, pour devenir adulte, l'humain devait désobéir ou transgresser un commandement divin. Cette opinion n'est donc pas soutenable.

     D'autres pensent que cette connaissance représente l'autonomie morale, dans ce sens que la personne humaine décide désormais de ce qui est bien et de ce qui est mal. Mais cette solution n'en est pas une et elle ne respecte pas le texte, puisque l'humain exerce déjà l'autonomie morale quand il décide de manger du fruit de l'arbre. Cela exclut donc que l'arbre donne l'autonomie morale.

     Il semble plutôt que l'arbre symbolise le pouvoir absolu. En hébreu, comme dans les autres langues sémitiques, on aime indiquer une totalité par ses deux extrêmes. Ainsi, « le ciel et la terre » signifie l'univers (voir Ex 20,11; 31,17; 2 R 19,15; Is 37,16). De cette manière, « le bien et le mal » ne signifierait pas l'un ou l'autre de ces deux réalités, mais les deux, c'est-à-dire « tout » (comparer 2 S 14,17 avec 14,20 où dans un cas on utilise l'expression « bien et mal » et dans l'autre le mot « tout »). Quant au mot « connaissance », il n'a pas le sens abstrait que nous lui donnons dans nos langues. Dans les langues sémitiques, il implique connaissance profonde, intimité, pouvoir. Quand on connaît, on a créé des liens intimes et puissants avec le connu. Les lecteurs de la Bible connaissent aussi le sens sexuel du mot; en effet, pour une femme, « connaître un homme » implique la relation sexuelle intime (voir Gn 4,1.17.25; 19,5.8; 24,16; Lc 1,34).

     L'arbre de la connaissance du bien et du mal symboliserait donc un autre désir profond de l'humain : celui d'être en mesure de connaître tout et d'utiliser ce pouvoir de façon absolue. En ce sens, le serpent dit à la femme, en reprenant l'expression « connaître le bien et le mal », que la manducation du fruit de cet arbre les rendrait comme des dieux (3,5). Être comme un dieu, avec un pouvoir absolu, c'est-à-dire ne plus être limité par la condition humaine, c'est bien là une tentation universelle pour tout humain à toutes les époques.

Hervé Tremblay, OP
Professeur au Collège dominicain de philosophie et de théologie (Ottawa)

 

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