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chronique du 25 janvier 2008

 

La langue des Évangiles : langue de Jésus ?

QuestionJ’ai entendu dire que les Évangiles originaux ont été écrits en grec et en hébreu. Mais, est-ce que ce sont là des langues que parlait Jésus? Si non, pourquoi a-t-on écrit les Évangiles en ces langues? (Kim)

p52

RéponseLes quatre Évangiles canoniques ont été écrits en grec. Il n’y a que l’Évangile de Matthieu qui est soupçonné d’avoir eu un original en araméen. Cette information nous provient de Papias, évêque de Hierapolis (Phrygie) qui a vécu au début du IIe siècle. Ses paroles sont rapportées, deux siècles plus tard, par un autre évêque, Eusèbe de Césarée, dans son Histoire ecclésiastique (Hist. Ecc. III, 39, 15-16), mais nous n’avons jamais retrouvé ce document et nous sommes loin d’être sûr qu’il ait vraiment existé car c’est la seule trace ancienne que nous ayons de son affirmation. Les Pères de l’Église (Irénée de Lyon, Origène, Jérôme) qui l’affirmeront par la suite, ne peuvent être considérés comme des sources indépendantes car ils doivent tenir leur information de Papias.

     Il y avait trois langues parlées en Palestine à l’époque de Jésus. L’araméen, l’hébreu et le grec. On n’a retrouvé que peu de traces de latin. La langue de l’administration et de l’élite était le grec. Les gens qui habitaient les villes longeant le bassin méditerranéen et les Juifs de la diaspora parlaient également le grec, mais à l’intérieur des terres et surtout en Galilée, les gens parlaient l’araméen car c’était, à cette époque en Palestine, la langue qui était la plus répandue. Flavius Josèphe écrivit sa première version de la Guerre des Juifs  en araméen et Bar Kokhba, à Jérusalem, écrivit la majorité de ses lettres en araméen. Les villageois de Galilée ne parlaient pas le grec. Ils ne commencèrent à parler grec qu’au IIe siècle après J.C., lorsque le Sud de la Galilée fut urbanisé. Dans le Nord de la Galilée, on ne retrouva que peu d’inscriptions de langue grecque. Elles étaient en hébreu ou en araméen.

     L’hébreu était surtout parlé en Judée. En Galilée, certains le parlaient, bien sûr, mais c’était surtout la langue sacrée, celle des rituels funéraires, celle des prières qu’on apprenait par cœur puisqu’à cette époque les traditions étaient plutôt orales (très peu de gens savaient lire et écrire). L’hébreu ne devint une langue très répandue, en Galilée, qu’au IIIe et IVe siècles. Cette expansion commença au IIe siècle, lorsque les rabbins s’enfuirent de Jérusalem en Galilée après la seconde révolte juive : la révolte de Bar Kokhba (132-135). Ils s’établirent à Beth Shearim d’abord, puis à Sepphoris et à Tibériade. Ils ouvrirent là des écoles rabbiniques. Juda le Prince (début du IIIe siècle) y  écrivit la Mishnah et eut sur la région (et dans la diaspora) une influence considérable.

     Quelle langue Jésus parlait-il? Dans les Évangiles, il utilise des expressions araméennes :       « Talita qoum » (Mc 5,41), « Ephphata » (Mc 7,33). Marie de Magdala s’adresse à lui en lui disant « Rabbouni » (Jn 20,16). Jésus parlait l’araméen. Parlait-il hébreu? Les paroles qu’on lui rapporte au moment de sa mort (et qui constituent pourtant les paroles du Ps 22) : « Eloï, Eloï lama sabaqthani » (Mc 15,34) sont également en araméen, et non en hébreu.

     Jésus parlait-il grec? Le grec était la langue de l’administration et de l’élite. Or, les paroles de Jésus contre « ceux qui vivent dans les palais des rois » (Lc 7,25) ne nous laissent pas supposer qu’il les fréquentait ou qu’il en partageait la langue. Jamais on ne mentionne, dans les Évangiles, son passage dans la ville de Séphoris, ville hellénisée, pourtant proche de Nazareth. Par contre, certains de ses disciples, comme Philippe et André (qui avaient des noms grecs) devaient le parler puisqu’ils servaient d’intermédiaires entre « les Grecs » et Jésus (Jn 12,20-22).

     Si Jésus parlait araméen, pourquoi les Évangiles ont-ils été écrit en grec? Parce que, premièrement, ils n’ont pas été écrits en Palestine : l’Évangile de Matthieu aurait été écrit à Antioche de Syrie; la couche finale de l’Évangile de Marc, à Rome; l’Évangile de Luc à Achaïe en Grèce; la couche finale de l’Évangile de Jean à Éphèse. Mais les évangélistes ont utilisé, par contre pour les écrire, des collections de Paroles de Jésus qui provenaient de Galilée ainsi que des traditions particulières (traditions orales) qu’ils ont agencé différemment dans chaque Évangile selon leurs perspectives théologiques et le vécu de leurs communautés. Certains Évangiles ont même des sources qui leurs sont propres. Deuxièmement ces récits s’adressaient à des gens de langue grecque. S’ils avaient écrit les Évangiles en araméen, les gens n’auraient rien compris et il leur aurait peut-être fallu imiter Esdras, à une autre époque, qui fut obligé de « faire comprendre » aux gens auxquels il s’adressait « ce qui était lu » (Ne 8,8).

     De plus, l’écriture de ces Évangiles en grec représente également l’ouverture de la révélation à toutes les nations : aux Juifs comme aux païens. Dans le contexte linguistique de l’époque cela signifie que la Nouvelle Alliance devenait accessible à tous les hommes de l’univers où tous, « circoncis » comme « non-circoncis », sont réunis dans le Christ (Ep 2,11-18).

     Rappelons, en passant, que la vraie langue de notre tradition chrétienne est le grec et non le latin! Nous ne pouvons le nier sans nier en même temps nos textes fondateurs... Cette langue fut d’ailleurs conservée par nos frères d’Orient. La reconnaissance de cet héritage commun pourrait devenir, à l’égard de ces frères, un vrai lieu de dialogue…

Yolande Girard

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Les Philistins et l'archéologie