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Accueillir, ou ne pas accueillir…

Martin BelleroseMartin Bellerose | 16 septembre 2024

Les textes de 2 et 3 Jean sont parmi les plus courts du Nouveau Testament, avec la lettre de Paul à Philémon dont nous avons déjà parlé en juin 2017. « Étrangement », les trois plus courts textes portent sur l’accueil et l’hospitalité. À la différence de la plupart des textes bibliques portant cette thématique, il s’agit ici d’une hospitalité personnalisée envers quelqu’un ayant des responsabilités pastorales.

2 Jean

Les propos tenus par l’auteur de ce texte concernant l’accueil étonnent. Il y est dit : « Si quelqu’un vient à vous sans être porteur de cette doctrine, ne l’accueillez pas chez vous et ne lui souhaitez pas la bienvenue. Qui lui souhaite la bienvenue communie à ses œuvres mauvaises. » (2 Jean 10-11) Notons ici que cette lettre s’adresse « à la Dame élue et à ses enfants » (2 Jean 1). Il s’agit donc vraisemblablement d’une veuve puisqu’elle a des enfants et il n’est pas fait mention de son mari. Dans la Première lettre à Timothée, Paul précise le rôle des veuves dans l’Église afin qu’elles soient inscrites comme telles : « Il faut qu’elle soit connue pour ses belles œuvres : qu’elle ait élevé des enfants, exercé l’hospitalité, lavé les pieds des saints, assisté les affligés, qu’elle se soit appliquée à toute œuvre bonne. » (1 Timothée 5,10) La recommandation de ne pas accueillir certaines personnes peut ici s’appliquer à la vulnérabilité propre à la personne à qui s’adresse la lettre.

Quelle est cette doctrine « saine » à laquelle fait référence l’auteur? En s’adressant à la Dame en question l’auteur affirme : « Je ne t’écris pas là un commandement nouveau, mais celui que nous avons depuis le commencement, aimons-nous les uns les autres. » (2 Jean 5) En effet, quelqu’un qui n’est pas porteur de cet amour qui vient de Christ comporte un risque pour la Dame, seule avec ses enfants. Aussi, l’auteur précise la fausse doctrine qui circule par ceux qui « ne professent pas la foi à la venue de Jésus Christ dans la chair » (2 Jean 7) qu’il qualifie de séducteurs, d’antichrists.

Si les chrétiens d’aujourd’hui sont davantage sujets à croire que le « véritable » croyant est celui qui professe que Christ est de nature divine et ne le limite pas à n’être qu’un être humain tout simplement, le contexte des épîtres johannique est bien différent. L’insistance sur la nature humaine de Christ revient à quelques reprises dans le corpus épistolaire johannique comme en 1 Jean 4,2 et 1 Jean 2,22, par exemple.

3 Jean

La troisième épitre de Jean semble en contradiction avec la deuxième. Ici, l’ancien – selon sa présentation de lui-même dans l’adresse des deux lettres – salue l’hospitalité dont Gaius a fait preuve et pour laquelle il est reconnu : « Cher ami, tu agis selon ta foi dans les soins que tu prends pour les frères, et cela pour des étrangers. » (3 Jean 5) Dans les versets qui suivent, il exhorte les chrétiens à suivre l’exemple de Gaius, à qui il dirige cette lettre. Précisons que l’hospitalité dont on parle ici est celle offerte aux apôtres, aux prédicateurs qui pérégrinent pour annoncer Christ. Ces évangélisateurs migrants ne sont cependant pas bien vus de tous.

Dans la même lettre, l’auteur critique de façon assez virulente l’inhospitalité de Diotréphès : « Aussi, lorsque je viendrai, je dénoncerai ses procédés, lui qui se répand contre nous en paroles mauvaises : et non content de cela, il refuse lui-même de recevoir les frères, et ceux qui voudraient les recevoir, il les en empêche et les chasse de l’Église. » (3 Jean 10).

Ce que nous en retenons pour aujourd’hui

Souvent, de nos jours, en particulier dans les milieux les plus ouverts et progressistes, on peut avoir tendance à comprendre « l’exigence » chrétienne de pratiquer l’hospitalité sans nuance, et parfois sans critères. Comme si ne pas être hospitalier était un reniement de sa foi. Les choses sont évidemment plus complexes et nuancées.

S’agit-il dans ces deux lettres johanniques d’accueillir seulement ceux avec qui nous sommes en tout point d’accord? Non, ce n’est pas à mon avis le sens de ces textes. Dans l’histoire récente des différents groupes ecclésiaux, nous avons appris que le fait d’avoir un titre dans une institution, aussi « sacré » soit-il, n’est pas garant d’idonéité. Quelqu’un qui n’est pas porteur en foi et en action de l’amour de Christ dont nous parle l’auteur des épitres johanniques, peut donner lieu à des abus, à des mauvaises directions spirituelles. Soyons prudents et conscients de nos vulnérabilités dans nos actions hospitalières pour le bien des nôtres, de nous-mêmes et de l’Église de Christ. Le bon Samaritain a eu ce discernement, il n’a pas accueilli l’homme blessé chez lui, mais il a quand même radicalement pratiqué l’hospitalité.

Entre l’exemple de Gaius et le contre-exemple de Diotréphès, il y a des réalités concrètes propres à chaque chrétiennes et chrétiens engagés, comme celle de la Dame dont il est question en 2 Jean.

Martin Bellerose est professeur et directeur de l’Institut d'étude et de recherche théologique en interculturalité, migration et mission (IERTIMM) et directeur de la formation en français de l’Église Unie du Canada.

Le furet biblique

Bible et migration

La question des migrations est de plus en plus présente dans les enjeux et débats de société. La présente rubrique cherche à mettre en évidence l’importance de cette thématique dans les différents textes bibliques et souhaite offrir des pistes, à partir des Écritures, afin de réfléchir sur des enjeux contemporains. Nous y explorons la littérature biblique, parfois extrabiblique, et des réceptions anciennes et actuelles de cette littérature.