Travailleurs étrangers en Égypte. Peinture murale de la chambre funéraire de Rechmirê, chef et vizir. Thèbes, circa 1500-1450 avant notre ère (Wikipédia).

Le « ger » dans le Pentateuque

Martin BelleroseMartin Bellerose | 21 octobre 2024

Le mot hébreu « ger » est celui qui désigne « l’immigrant » dans les textes bibliques traduits en langue française. Il est utilisé dans plusieurs cadres, dont entre autres le juridique, mais ici, nous nous centrerons sur un autre aspect de son utilisation dans le Pentateuque, soit les énoncés qui accompagnent le mot « ger ».

Quelques extraits du Pentateuque

Nous proposons ici trois péricopes, il y en a évidemment davantage, où le mot « ger »est utilisé, mais nous nous limiterons à ces exemples pour illustrer notre propos.

Quand un émigré viendra s’installer chez toi, dans votre pays, vous ne l’exploiterez pas ; cet émigré installé chez vous, vous le traiterez comme un indigène, comme l’un de vous ; tu l’aimeras comme toi-même ; car vous-mêmes avez été des émigrés dans le pays d’Egypte. C’est moi, le SEIGNEUR, votre Dieu. (Lévitique 19,33-34).

Tu n’exploiteras ni n’opprimeras l’émigré, car vous avez été des émigrés au pays d’Égypte. Vous ne maltraiterez aucune veuve ni aucun orphelin. (Exode 22,20-21)

C’est le SEIGNEUR votre Dieu qui est le Dieu des dieux et le Seigneur des seigneurs, le Dieu grand, puissant et redoutable, l’impartial et l’incorruptible, qui rend justice à l’orphelin et à la veuve, et qui aime l’émigré en lui donnant du pain et un manteau. Vous aimerez l’émigré, car au pays d’Égypte vous étiez des émigrés. (Deutéronome 10,17-19)

La traduction que nous utilisons ici (Traduction œcuménique de la Bible) utilise le mot « émigré » pour traduire le mot « ger ».La Nouvelle traduction en français courant utilise plutôt le mot « immigré » pour traduire la même réalité. Pour ma part, les deux traductions sont agaçantes à ce point de vue. En réalité, on émigre d’un pays source de notre migration pour immigrer dans un pays ou une terre d’accueil. L’émigration a à voir avec le fait de sortir d’un endroit, alors que l’immigration a à voir avec le fait d’entrer à un endroit. Or, dans les textes en question, il s’agit de personnes de l’extérieur venue vivre parmi le peuple d’Israël. Il est donc question d’immigration et non d’émigration.

Voici une remarque très empirique, en France, lorsqu’il s’agit de Français vivants dans un autre pays que la France, on dit que ce sont des « expats » ou expatriés, alors que lorsqu’il s’agit de personnes provenant d’un autre pays vivant en France, ce sont des immigrés. Nul besoin de spécifier laquelle des deux expressions est plus péjorative que l’autre. Je trouve le mot « immigrant » plus approprié et plus respectueux que les deux autres. Il s’agit là, bien entendu, d’un choix personnel.

Des constantes dans le texte

Le mot « ger » fait partie d’une triade. Cela n’est évidemment pas toujours le cas dans le Pentateuque, mais cela ce produit assez souvent et nous en avons l’exemple ci-haut. Cette triade, veuve – orphelin – « ger », est celle de l’exclusion. En utilisant ces trois termes, les auteurs vétérotestamentaires se réfèrent à l’ensemble des exclus de leurs temps. On pourrait considérer cette triade de nos jours comme l’expression d’une « option préférentielle pour les pauvres ».

Autre idée récurrente dans les péricopes du Pentateuque où le mot « ger » est utilisé, c’est la référence à la condition immigrante du peuple d’Israël : « accueillez l’immigrant car vous aussi avez été immigrants en Égypte ». J’ai ici paraphrasé pour exprimer l’idée de façon générique. Il est toutefois difficile de saisir à la fois le ton et le sens de cette sentence. Veut-on dire « traitez bien l’immigrant parmi afin de ne pas reproduire votre mauvaise expérience en tant qu’immigrant en Égypte » ou veut-on plutôt dire, « traitez bien l’immigrant parmi vous car vous-même avez été bien traités en Égypte ». Nous sommes plutôt enclins, semble-t-il, à opter pour la première réception car on pense à l’Exode où Dieu a fait sortir les hébreux d’Égypte car il a vu la souffrance de son peuple.

Il ne faut pas oublier cependant que le peuple d’Israël a été accueilli en Égypte alors qu’il souffrait d’une famine. Ils ont été accueillis par leur frère Joseph qu’ils avaient laissé pour mort quelques années auparavant. Une hospitalité marquée par le pardon et la miséricorde.

Que l’une ou l’autre des interprétations soit privilégiée importe peu quant à l’attitude à adopter face à l’immigrant. Dans les deux cas, il en résulte une invitation à pratiquer l’hospitalité envers le « ger ». Il n’en demeure pas moins qui si le geste d’accueillir l’autre est le fruit d’un sentiment de reconnaissance envers ceux qui nous ont accueilli dans le passé, elle risque d’être davantage à la mesure de ce qui est attendu de la part d’un croyant en Dieu et, donc, moins empreinte de réticence et d’amertume que si notre pratique hospitalière prend sa source dans une mauvaise expérience de l’accueil reçu.

Martin Bellerose est professeur et directeur de l’Institut d'étude et de recherche théologique en interculturalité, migration et mission (IERTIMM) et directeur de la formation en français de l’Église Unie du Canada.

Le furet biblique

Bible et migration

La question des migrations est de plus en plus présente dans les enjeux et débats de société. La présente rubrique cherche à mettre en évidence l’importance de cette thématique dans les différents textes bibliques et souhaite offrir des pistes, à partir des Écritures, afin de réfléchir sur des enjeux contemporains. Nous y explorons la littérature biblique, parfois extrabiblique, et des réceptions anciennes et actuelles de cette littérature.