La Jérusalem nouvelle. Miniature de l’Apocalypse des Cloîtres, c. 1330, Angers (Wikimedia).

Apocalypse… Maintenant!

Martin BelleroseMartin Bellerose | 16 juin 2025

Dans nos cultures issues de la chrétienté occidentale, le mot « apocalypse » évoque des catastrophes, naturelles ou provoquées par les humains, et sème l’angoisse de la fin du monde chez celui ou celle qui entend résonner ce mot. Pourtant, « apocalypse » est une francisation d’un terme grec qui veut plutôt dire « révélation ».

Le dernier livre de la Bible porte le titre d’Apocalypse ou de Révélation, selon les traductions, et est souvent présenté comme une série de prédictions de catastrophes menant l’humanité à l’abime et annonçant une fin du monde vêtue de frayeurs, d’angoisse et d’une peur qui s’avère pour certains ingérable. Les scénarios de fin du monde dont il y est supposément question sont tellement horrible qu’il existe une croyance chrétienne disant que les justes seront enlevés de ce monde (1 Th 4,15-18) sans passé par la mort, et monteront au ciel, un peu comme ce fut le cas pour Élie, Hénoch et Jésus le jour de l’ascension.

Qui veut y voir une catastrophe?

L’injure va loin, dans la croyance populaire, l’Apocalypse est souvent réduite à un cahier de prédictions catastrophiques du genre de celles de Nostradamus ou de la prophétie des papes de saint Malachie. Rien de tout cela. L’Apocalypse est un livre qui nous parle de la victoire de Christ, d’un monde où tout va mieux, où le mal est vaincu. On nous parle d’une terre nouvelle, du renouvellement de la création, de bien-être et de bonheur. C’est un livre d’espérance!

Mais comment a-t-on réussis à le présenter comme un livre annonciateur d’une catastrophe à venir, et surtout de le faire croire aux gens, tant aux chrétiens qu’aux non-chrétiens? Car la catastrophe, les guerres, les tueries, les génocides, les massacres d’humains, les pouvoirs dictatoriaux, exploiteurs, exterminateurs et autodestructeurs qui se prennent pour des dieux, ce n’est pas à venir, c’est là avec nous présentement et ce, aussi loin que l’on puisse remonter dans l’histoire. Prédire cela, c’est de la charlatanerie! C’est comme annoncer à 14h, sous un ciel radieux en pleine canicule, qu’à 14h il fera beau et chaud, voire très, très chaud.

C’est d’un ridicule consommé que d’annoncer des séries de catastrophes alors que l’on vit quotidiennement dans la catastrophe ou d’annoncer que l’économie va mal aller alors que ça fait des centaines d’années que l’on vit dans une économie capitaliste. En quoi ce livre serait une révélation en annonçant cela, alors qu’on est déjà dans un merdier? Beaucoup de « croyants » désengagés se complaisent à spéculer qui est la bête? qui est la prostituée? Le rapt arrivera-t-il avant ou pendant les tribulations? Qui sont les deux témoins? Etc…

Une révélation est par définition quelque chose de neuf, et le dernier livre de la Bible est une révélation parce qu’il annonce une libération, l’enchainement du mal, un monde nouveau et une Terre nouvelle. Il annonce l’avenir certes mais ni pour annoncer des plaies, ni une chronologie précise d’une suite d’évènements inscrits d’avance, prédéterminés et inévitables. La théologie de l’histoire que propose le livre de l’Apocalypse est une lecture de cette dernière à partir de son aboutissement, soit la plénitude du règne de Dieu. Il y est dit en résumé que malgré le mal et les puissances du mondes (autre manière de dire le mot « péché ») autre chose que ce que nous vivons advient en Christ. Ayons foi en lui et son projet de société qui reflète la vie éternelle promise.

Annoncer une catastrophe alors qu’on est en pleine catastrophe ne peut que servir les intérêts de ceux qui sont à la source de cette catastrophe. Une belle manière de noyer le poisson dans l’eau. Aucun système politique particulier n’est pointé, tous sont visés en général. Les discours conspirationnistes et d’extrême droite en général s’apparentent parfois à certains éléments ici évoqués. On y verra une dénonciation du capitalisme financier et des gouvernements comme étant l’incarnation de la bête, tout en défendant des positions économiques libertariennes. De leur point de vue, les gouvernements empêchent la pleine liberté d’entreprise, le port d’arme et promeuve des sociétés hiérarchisées, selon le sexe, la « race », etc. Dans ces positionnements, aucune notion de libération, d’égalité, de santé pour tous, de droits sociaux pour tous ou de démanteler l’économie capitaliste dans son essence ou de lutter contre l’impérialisme ou décoloniser le monde n’est présente.

Les pouvoirs du monde ne sauraient, de toute évidence, proposer une lecture de l’Apocalypse de Jean comme l’annonce d’un monde affranchi en Christ du mal qu’ils produisent. Ils se présentent plutôt en protecteurs du monde tel qu’il est contre les maux à venir. Ce discours sur les fins ultimes est devenu une culture interprétative. Cela nous fait voir « Babel » comme une malédiction alors qu’il n’est jamais question de malédiction dans le texte. La pluralité des langues et des cultures est un instrument de résistance à l’impérialisme uniformisateur. Un dernier exemple : présenter l’autre joue peut être perçu comme une noble soumission mais on peut aussi comprendre ce geste comme un appel à la résistance : « On vous frappe, ne fuyez pas, résistez » (présentez l’autre joue).

Ces lectures de la Bible, étant devenues une culture interprétative, dépassent les limites des cadres ecclésiaux et se permettent de s’inspirer des textes bibliques pour justifier des positionnements contraires aux principes chrétiens.

Apocalypse et immigration

Récemment, Jii-Jan Lin, historienne des idées et des textes bibliques et professeure à la Divinity School de l’Université Yale au Connecticut, publiait un ouvrage ayant pour titre Immigration and Apocalypse : How the Book of Revelation Shaped American Immigration [1]. Elle y explique comment le système d’immigration états-unien s’inspire du livre biblique en question, ou du moins d’une lecture que nous qualifions pour notre part d’impériocolonisatrice. L’autrice y mentionne comment, depuis le début, ce pays s’est conceptualisé comme LA Jérusalem nouvelle, comme un pays exceptionnel, éternel, juste et se jactait d’être un refuge qui accueille les pèlerins venus de partout (p. 2). Tous ne rêvent-ils pas de vivre dans ce pays si merveilleux? Cette métaphore pour parler des États-Unis a été un moyen d’exclure ceux dont on ne voulait pas la présence.

Pour nous, il est frappant de voir jusqu’à quel point les interprétations dominantes du livre de l’Apocalypse sont en concordances avec les positions anti-immigration de l’extrême droite, avouée ou non avouée. On conçoit une cité grande mais limitée, avec une capacité d’accueil limitée. Le bien-être promis dans cette cité dépend en quelque sorte de la réprobation d’un grand nombre, que l’on condamne d’avance en les appelant « illégaux ». Nos imaginaires cultivent l’image d’une file d’attente à la fin des temps, où nous serons jugés : les uns entreront, les autres en seront expulsés et retournés vers, pour plusieurs, une mort certaine. On se dit qu’on est prêt à accueillir ceux qui n’ont pas mentis, pas désobéis, ceux qui n’ont rien fait d’illégal. Dit autrement, l’accueil est réservé à ceux qui n’ont pas péché.

Mais la Bible entière parle d’immigration et d’hospitalité, c’en est même le fil conducteur. C’est du moins ce que j’ai voulu montrer depuis 2017 à travers les textes de cette chronique. L’Apocalypse ne saurait être en marge de la tendance biblique générale, d’où l’importance de décoloniser nos lectures de la Bible en général et de l’Apocalypse en particulier. Pour ce faire, il est nécessaire de promouvoir l’éducation théologique. Ceux qui s’y opposent, tant chez les chrétiens que les non-chrétiens, sont souvent ceux qui jettent aussi un regard catastrophiste sur le livre de la Révélation.

Martin Bellerose est professeur et directeur de l’Institut d'étude et de recherche théologique en interculturalité, migration et mission (IERTIMM) et directeur de la formation en français de l’Église Unie du Canada.

[1] Jii-Jan Lin. Immigration and Apocalypse : How the Book of Revelation Shaped American Immigration. New Haven. Yale University Press, 2024.

Le furet biblique

Bible et migration

La question des migrations est de plus en plus présente dans les enjeux et débats de société. La présente rubrique cherche à mettre en évidence l’importance de cette thématique dans les différents textes bibliques et souhaite offrir des pistes, à partir des Écritures, afin de réfléchir sur des enjeux contemporains. Nous y explorons la littérature biblique, parfois extrabiblique, et des réceptions anciennes et actuelles de cette littérature.