
(Ella Olsson / Pexels)
L’abondance divine, source d’accueil
Jeremy Favreau | 17 novembre 2025
Allons ! vous tous qui avez soif, voici de l’eau, venez ! Même si vous n’avez pas d’argent, venez ! Prenez de quoi manger, c’est gratuit ; achetez du vin ou du lait, c’est pour rien. […] Eh bien toi aussi, Israël, tu lanceras un appel à des étrangers, des inconnus, et ces gens qui t’ignoraient accourront vers toi. Ils viendront à cause de moi, le Seigneur ton Dieu, le Dieu saint d’Israël, qui t’accorde cet honneur. (Ésaïe 55,1.5)
Manquer d’hospitalité est un comportement impensable chez plusieurs cultures anciennes et actuelles. C’était certainement le cas au Proche-Orient des temps bibliques, comme le rapportent nombre d’histoires où figurent Abraham, Moïse, David, la veuve de Sarepta et les églises naissantes au premier siècle. L’Occident possède aussi un héritage hospitalier significatif depuis l’époque des premiers monastères jusqu’aux expressions les plus récentes d’accueil des personnes en diverses situations précaires. Dans le christianisme, le commandement à aimer son prochain sous-tend tout comportement éthique et vertueux envers autrui.
Pourtant, il manque chez de nombreux chrétiens des liens solides entre leur désir d’aimer leur prochain et le fondement théologique de cet élan. De plus, plusieurs peinent à voir le rapport entre leurs bonnes actions et l’expression d’une vibrante spiritualité.
Pallier ce manque et raviver la foi expérientielle des croyants nécessitent de réexaminer l’appel du croyant à l’image du Christ, en qui Dieu « a voulu réconcilier l’univers entier avec lui » (Col 1,20). Jésus aimait dire : « Vous avez entendu… mais moi je vous dis… » Il est toujours approprié d’évaluer ses croyances à travers l’apport du Messie.
Pour retrouver la puissance de l’amour en action, il faut délaisser les croyances et les systèmes qui permettent le confort des uns au prix de la souffrance des autres. Mais il serait utopique de s’attendre à une telle repentance sans qu’on y soit interpellé. Cette interpellation est accomplie par les poètes et les « voix dans le désert », les personnes au cœur sensible et au sens de la justice aiguisé : les prophètes.
Un peuple « choisi »
Entre l’exode et l’époque de Jésus, il s’est développé au sein du peuple d’Israël, le peuple « choisi », une notion de supériorité identitaire et un mépris à l’égard des autres nations. La multiplication graduelle des lois de pureté a contribué à ériger une frontière bien délimitée entre Israël et les nations « païennes », et les douze tribus ont malheureusement perdu de vue la raison même de leur appel à la différence.
Lorsque Dieu appela Abraham à quitter Our des Chaldéens, il promit de le bénir ainsi que sa descendance (Gn 12,1-3). Il s’agissait d’un appel particulier et unique, mais non exclusif. L’appel hérité de leur patriarche ne devait pas circonscrire Israël à une éternelle séparation des autres peuples, mais plutôt les encourager à partager la bénédiction qu’ils avaient reçue. Là se trouve le danger : l’abondance divine est jugulée lorsque nous arrêtons de la partager.
Malgré les nombreuses exhortations à ne pas exploiter l’étranger dans leurs textes fondateurs, les puissants parmi le peuple d’Israël exploitèrent même les vulnérables parmi « les leurs », s’attirant ainsi les conséquences dont Dieu les avaient avertis (Lv 19,34 ; 26,33 ; Dt 28,36). Lors de la captivité, et même après leur retour de l’exil, l’appel d’Israël restait inchangé. C’est même au creux de la captivité que Dieu sema l’idée d’une bénédiction mutuelle plutôt qu’unidirectionnelle : « Cherchez à rendre prospère la ville où le Seigneur vous a fait exiler, et priez-le pour elle, car votre prospérité dépend de la sienne. » (Jr 29,7). Malgré leur trauma et le renversement de leur statut, le repli n’était toujours pas la voie à suivre. En l’absence du temple, les marques de leur identité et appartenance devaient revêtir une nouvelle forme. Mais ils avaient toujours la vocation d’être source de bénédiction pour toutes les familles de la terre.
Comme nulle part ailleurs dans les Écritures, les prophètes font le pont entre l’appel d’Israël et sa responsabilité d’accueillir et de bénir « l’autre ». C’est tout particulièrement le cas lorsque la prophétie se réfère au Messie (en qui l’appel d’Israël sera enfin réalisé). Les premiers versets du 49e chapitre d’Ésaïe sont un bel exemple : « Il m’a dit : “C’est toi qui es mon serviteur, l’Israël dont je me sers pour manifester ma gloire” […] Il m’a dit : “Cela ne suffit pas que tu sois à mon service, pour relever les tribus de Jacob et ramener les survivants d’Israël. Je fais de toi la lumière du monde, pour que mon salut s’étende jusqu’au bout de la terre.” » (49,3.6)
Depuis l’aube de la révélation divine, Dieu se présente comme généreux, inclusif, et abondant. Les prophètes d’hier et d’aujourd’hui nous le rappellent, et l’Esprit du Christ sollicite notre participation. Nous approfondirons ces thématiques dans les textes qui suivront.
Jeremy Favreau est chercheur associé et responsable des communications pour l’Institut d’étude et de recherche théologique en interculturalité, migration et mission et l’Institut protestant de théologie de l’Église Unie du Canada.
