Pierre et Jean courant au sépulcre le matin de la Résurrection. Eugène Burnand, 1898. Huile sur toile, 82 x 134 cm. Musée d’Orsay, Paris (Wikimedia).

Les disciples au tombeau

Béatrice BérubéBéatrice Bérubé | dimanche de Paques (C) – 17 avril 2022

Le tombeau vide : Jean 20, 1-10, évangile de la messe du jour de Pâques
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Au premier jour de la semaine, lorsqu’il faisait encore sombre, Marie de Magdala va au tombeau et voit que la pierre a été enlevée (v. 1). La formule, premier jour de la semaine, signifie le dimanche chrétien ou Jour du Seigneur (voir Apocalypse 1,10). Ce terme, utilisé maintes fois dans l’Ancien Testament (Ésaïe 13,3-2 ; Amos 5,18 ; Ézéchiel 30,3), désigne une intervention particulière de Dieu dans l’histoire. Les circonstances évoquent la nuit (de la mort) et un commencement (le premier jour). Comme les autres évangélistes, Jean préserve le mystère de l’intervention de Dieu qui s’est déroulée sans témoins. Ayant constaté l’état du tombeau, Marie rejoint à toute vitesse Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait (v. 2a). Cet apôtre anonyme, qui semble l’objet d’un amour de prédilection, apparaît plusieurs fois dans l’évangile de Jean (13,23 ; 19,26-27 ; 21,7.20 ; et probablement 18,15-16). Ce disciple, le seul à être présent au pied de la croix à la mort de Jésus, est mis en rapport ou en compétition avec Pierre (vv. 4-10). S’agit-il d’une figure symbolique constituée par l’évangéliste ou si, à travers ce personnage, Jean met en scène une personnalité qui a joué un rôle historique important? Persuadée que le corps de Jésus a été volé, Marie déclare aux deux disciples : On a enlevé le Seigneur du tombeau et nous ne savons pas où on l’a mis (v. 2b).  L’emploi du nous, qui est assez surprenant, est probablement une trace d’un état plus ancien de la tradition : les synoptiques parlent d’une démarche de plusieurs femmes parmi lesquelles Marie de Magdala, originaire d’une bourgade située au bord du lac de Tibériade, est toujours nommée (Matthieu 27,56.61 ; 28,1 ; Marc 15,40.47 ; 16,1-9 ; Luc 24,10).

Pierre et l’autre disciple se rendent au tombeau (v. 3). Ces deux apôtres, actifs dans la Passion, le sont encore dans la découverte du tombeau vide. L’autre disciple arrive plus vite au sépulcre, mais il n’y entre pas (vv. 4-5), probablement par respect pour Pierre lui reconnaissant une certaine prééminence (21,15-18). Puis, Pierre arrive, inventorie le contenu du tombeau (vv. 6-7), mais rien n’est dit de lui. L’autre disciple entre dans le tombeau; Il vit et il crut (v. 8). Le spectacle des bandelettes et du linge funéraire, qui servait à éponger la sueur, n’apparaît que dans cet évangile; mais lors d’un ensevelissement juif, il était exigé que la tête fût recouverte. L’ordre dans lequel les pièces de tissu abandonnées sont disposées signifie à l’autre disciple que le corps de Jésus n’a pas été volé. À la différence de Marie, il reconnaît le mystère de la présence à travers l’absence. Pour lui, les bandelettes et le linge funéraire sont le signe évident que Jésus est ressuscité. Étant le premier à reconnaître Jésus après la pêche miraculeuse (21,7), il est le type du parfait disciple qui sait lire les signes avec les yeux de la foi.

Au v. 9, l’évangéliste paraît impliquer un reproche à l’égard des disciples : Ils n’avaient pas encore compris l’Écriture. Selon le récit lucanien de l’apparition aux disciples réunis, c’est le Ressuscité qui, s’étant fait reconnaître, rappelle aux siens les annonces de la Loi, des Prophètes et des Psaumes (Lc 24,44-45 ; voir 24,25-27). Ce commentaire n’enlève rien à la mise en valeur de la foi de l’autre disciple. Si celui-ci parvient à la foi en la glorification de Jésus, ce n’est pas à travers une réminiscence de cet ordre, mais devant l’état surprenant du tombeau et grâce à une intuition due au Seigneur avec lequel il a un lien privilégié.

apparition à Marie

Va trouver mes frères et dis-leur… © Magdalie Nadeau, 2014. Techniques mixtes, 61 x 91,5 cm (avec la permission de l’artiste).

L’apparition du Vivant à Marie de Magdala

Marie est à l’extérieur du tombeau et elle sanglote (v. 11). Cet extrait laisse supposer qu’elle a suivi les deux disciples au tombeau ou qu’elle y est revenue après leur départ. Elle est désolée de la mort de Jésus et, elle pleure la disparition du cadavre, dernier vestige de la présence. Tout à son chagrin, elle ne remarque pas les deux anges vêtus de blanc assis dans le tombeau (v. 12). Dans la Bible, le blanc est la couleur des êtres célestes (Daniel 7,9 ; Ap 1,14 ; 4,4). Leur position, à la tête et aux pieds, marque la place exacte où avait reposé le corps de Jésus. Cette présence céleste n’a pour Marie aucune valeur de signe. À leur question : Femme, pourquoi pleures-tu? elle leur répond comme à des gens ordinaires qui auraient ignoré le motif de ses larmes : On a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a mis (v. 13).

Pourtant, Jésus est là, debout, c’est-à-dire ressuscité (Actes des apôtres 7,55-56 ; Ap 5,6 ; 11,11 ; 20,12). Elle le voit, mais ne le reconnaît pas (v. 14). Ses yeux, comme ceux des disciples d’Emmaüs (Lc 24,16), ne reconnaissent pas Jésus ressuscité. Elle le prend pour le gardien du jardin (v. 15b). Jésus l’interroge : Femme pourquoi pleures-tu? qui cherches-tu? (v. 15a) Cette interrogation de Jésus est une remise d’elle-même en question à laquelle il invite Marie à franchir dans l’itinéraire vers la foi. Marie lui répond : Seigneur, si c’est toi qui l’as enlevé, dis-moi où tu l’as mis et j’irai le prendre (v. 15c). Aussitôt, Jésus appelle Marie par son nom (v. 16a) comme le pasteur qui connaît ses brebis et désigne chacune par leur nom (Jean 10,3-4). En entendant son nom, Marie se tourne vers Jésus en s’exclamant : Rabbouni (v. 16b), un variant de Rabbi, c’est-à-dire Maître (1,38 ; 3,2 ; 11,28 ; 13,13).

Par cette exclamation, Marie exprime spontanément l’émotion de la présence retrouvée, mais aussi subitement sa foi. Jésus lui ordonne : Ne me retiens pas (v. 17a). Ce refus à Marie de retenir Jésus est dicté par la mission qu’elle doit remplir : Va trouver mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père qui est votre Père, vers mon Dieu, votre Dieu (v. 17b). Jésus avait déjà parlé de Dieu en disant mon Père (Mt 7,21 ; Mc 14,36 ; Lc 2,49) ; tout en maintenant une distinction, il parle pour la première fois de la paternité de Dieu à l’égard des disciples qu’il nomme aussi ses frères (Mt 28,10). En les appelant ainsi, Jésus ressuscité les intègre dans sa famille. Il laisse entendre que, grâce à sa mort et à sa glorification, les disciples ont maintenant Dieu pour Père et pour protecteur, et qu’ils sont appelés à aller un jour au Père (voir 14,1-11). Au v. 18, Marie accomplit la tâche qui lui a été demandée. Elle retourne auprès des apôtres pour leur annoncer qu’elle a vu le Seigneur et leur raconter ce qu’il lui a dit.

Qu’en est-il aujourd’hui?

En ce 21e siècle, est-il possible de croire sans voir? Sur quoi la foi peut-elle s'appuyer? Pour nous, les lecteurs, qui vivons dans le temps de l'absence physique du Christ, ce récit est là, pour que, de la rencontre entre nous et l’écrit, naisse la Vie par la foi en Jésus, Messie et Fils de Dieu. À l'instar des destinataires de l'évangéliste à la fin du 1er siècle qui n'ont pas vu le Ressuscité, nous, les chrétiens d'aujourd'hui, devons lire ce texte comme un récit qui nous est adressé et nous souvenir du disciple bien-aimé qui a décelé un signe devant l’état surprenant du tombeau. Ce disciple est le modèle du croyant ou, autrement dit, le modèle de la foi.

Béatrice Bérubé a fait ses études à l’Université du Québec à Montréal où elle s’est spécialisée en études bibliques. Elle a obtenu son doctorat en 2014 et collabore au Feuillet biblique depuis 2015.

Source : Le Feuillet biblique, no 2754. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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