
Jésus devant Pilate. Mihály Munkácsy, 1881.
Huile sur toile, 417 x 636 cm. Musée Déri, Debrecen (Wikipédia).
« Es-tu roi? »
Lorraine Caza | Le Christ, roi de l’univers (B) – 24 novembre 2024
Jésus devant le tribunal romain : Jean 18, 33b-37
Les lectures : Daniel 7, 13-14 ; Psaume 92 (93) ; Apocalypse 1, 5-8
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
À la fin de chaque année liturgique, l’Église nous invite à proclamer vigoureusement la royauté du Christ. Elle fait appel à différents textes évangéliques pour nourrir notre méditation.
Lors de l’année A, elle évoque la merveilleuse présentation du jugement dernier qui précède l’entrée dans le récit de la passion du Sauveur, dans l’évangile de Matthieu. Jésus s’y présente comme le Fils de l’homme venant en gloire, entouré des anges, siégeant sur son trône de gloire. Il dit être le roi qui déclarera aux humains à sa droite qu’ils vont recevoir en héritage le royaume préparé pour eux dès la création du monde (Mt 25,31-46). C’est donc sur les lèvres de Jésus que Matthieu évoque un roi, juge suprême et un royaume que ce roi ouvre aux justes qui auront eu souci des plus petits.
Au terme de l’année C, l’Église ouvre pour nous le récit de la crucifixion de Jésus de l’évangile de Luc, alors qu’un des brigands crucifiés avec Jésus s’adresse à ce dernier avec cette touchante supplication : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton règne. » (Lc 23,35-43) C’est donc un brigand repenti qui porte le langage du royaume de Jésus.
Pour cette année B qui nous retient en 2024, c’est à une partie du procès romain de Jésus, en Jn 18,33-38, que nous sommes renvoyés. Ayant entendu les accusations des Juifs à l’endroit de Jésus, Pilate enchaînera les questions : Es-tu roi des Juifs ? Qu’as-tu fait ? Tu es donc roi ? Qu’est-ce que la vérité ? Pilate, le procurateur romain, un païen donc, nous met en situation d’entendre de Jésus lui-même ce qu’il veut bien exprimer de sa royauté. On aura d’abord sa contre-question à Pilate lorsque celui-ci lui demande s’il s’identifie comme roi des juifs : « Dis-tu cela de toi-même ou d’autres te l’ont-ils dit de moi? » On aura compris que si Jésus affirme qu’il est roi des Juifs, son langage n’est pas sans porter des implications politiques qui pourraient résonner de façon très négative aux oreilles de l’autorité romaine. Pilate ne semble pourtant pas redouter Jésus ; il ne le perçoit pas comme un fauteur du trouble puisqu’au lieu d’insister sur le titre royal, il demande plutôt à Jésus quel méfait expliquerait sa comparution devant lui. À cette seconde question, Jésus répond en revenant à la question touchant sa royauté.
« Mon royaume n’est pas de ce monde. »
Prenons le temps, en ce dimanche, d’approfondir les mots attribués à Jésus : « Mon royaume n’est pas de ce monde. Si mon Royaume était de ce monde, mes gens auraient combattu pour que je ne fusse pas livré aux Juifs. Mais mon Royaume n’est pas d’ici ». À la fin du chapitre 7 et après le récit de la femme adultère, en Jean 8, des réflexions fort intéressantes de Jésus sur son identité nous préparaient bien à cette réponse de Jésus à Pilate. Il se définit comme la lumière du monde et quand on l’accuse alors de se rendre témoignage à lui-même, il rétorque : « Mon témoignage vaut parce que je sais d’où je suis venu et où je vais, mais vous, vous ne savez ni d’où je viens ni où je vais… Je ne suis pas seul ; il y a moi et celui qui m’a envoyé… » lls lui dirent alors : « Où est ton Père ? » Jésus répondit : « Vous ne connaissez ni moi ni mon Père ; si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père… » Jésus dit : « Vous, vous êtes d’en-bas ; moi, je suis d’en-haut. Vous, vous êtes de ce monde ; moi, je ne suis pas de ce monde » (Jn 8,23). Il est bien dans ce monde, mais il n’est pas de ce monde; son royaume n’est pas d’ici, c’est-à-dire, « pas lié aux réalités de ce monde concret, tangible, déterminable dans l’espace, de nature terrestre ».
Dans le discours d’adieu (Jn 17,16-17), Jésus dira à son Père : « Ils ne sont pas du monde comme je ne suis pas du monde »et il enchaînera alors : « Consacre-les dans la vérité : ta parole est vérité… Pour eux, je me consacre moi-même, afin qu’ils soient eux aussi consacrés en vérité ».
Pilate insiste : « Tu es donc roi? » et Jésus de répondre : « Tu le dis! Je suis roi et je ne suis né, je ne suis venu dans le monde que pour rendre témoignage la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. » Pilate termine cette première partie de sa rencontre avec Jésus avec la question qui restera sans réponse : « Qu’est-ce que la vérité? »
Prennent donc un grand relief dans cette première partie du procès devant Pilate, l’affirmation de la royauté de Jésus et sa mission de rendre témoignage à la vérité. L’insistance de Jésus à clarifier que sa royauté n’est pas de ce monde, qu’elle n’est pas d’ici, nous conduit à bien identifier les caractéristiques de cette royauté de Jésus : il n’est pas question d’une autorité qui s’impose par la force, la violence, la domination. Tout l’évangile présente un Jésus débordant de compassion et de tendresse pour tout être humain, au service de la vie de tous les êtres, miséricordieux, prêt à aller jusqu’au don de sa vie pour nous assurer le salut. On aimera garder en mémoire que le procès n’est pas le premier lieu où l’on trouve l’emploi du titre de roi adressé à Jésus. Rappelons-nous Nathanaël rencontrant Jésus et lui disant : « Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le roi d’Israël. » (Jn 1,49) Jean dira aussi qu’à la suite de la multiplication des pains, Jésus avait perçu que les gens voulaient venir l’enlever pour le faire roi (Jn 6,15). Quand Nathanaël appelle Jésus roi des juifs, dans quel sens utilise-t-il ce titre? Et quand les gens, comblés lors de la multiplication des pains, veulent enlever Jésus pour le faire roi, quelle conception ont-ils de Jésus ?
Qu’est-ce que la vérité?
Et que dire des nombreuses évocations de la vérité tout au long du quatrième évangile : « La loi fut donnée par Moïse ; la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ. » (Jn 1,17) « Celui qui fait la vérité vient à la lumière. » (Jn 3,21) « L’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père dans l’esprit et la vérité. » (Jn 4,23) « Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libérera. » (Jn 8,32) « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. » (Jn 14,6) « Sanctifie-les dans la Vérité. Ta parole est Vérité. » (Jn 17,17)
Dans son impressionnant commentaire de l’évangile de Jean, Robert Mercier note que pour Jésus : « Rendre témoignage à la Vérité ne se limite pas à prêcher, enseigner et accomplir des signes ; c’est, pour Jésus, révéler, manifester son origine de Fils, d’Envoyé, de Parole. C’est en cela que toute sa vie et surtout sa mort rendent témoignage de l’unique Vérité. Dieu est Père, être sans origine [1]. »
Le thème de la royauté traverse toutes les lectures de la liturgie de ce jour. Nous entendons d’abord le prophète Daniel présenter un Fils d’Homme à qui est donné domination, gloire et royaume et que tous les peuples, nations, langues servent, dont la domination est éternelle et dont la royauté est indestructible (Dn 7,13-14).
L’Apocalypse de Jean évoquera le souverain des rois de la terre… celui qui nous aime et qui fait de nous le Royaume et les prêtres de Dieu son Père (Ap 1,5-8). Le psaume 92 accompagne si bien ces lectures : « Jésus-Christ Seigneur, tu règnes dans la gloire. »
Membre de la Congrégation de Notre-Dame, Lorraine Caza est bibliste et professeure honoraire du Collège dominicain de philosophie et de théologie (Ottawa).
[1] Robert Mercier, L’Évangile « pour que vous croyiez ». Le quatrième évangile (selon Jean), Wilson & Lafleur, 2010, p. 1208.
Source : Le Feuillet biblique, no 2866. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.
