Saint Jean. Détail d’une statue de chêne, circa 1800 (image : marché des antiquités).

Quelle place choisir ?

Odette MainvilleOdette Mainville | 29e dimanche du Temps ordinaire (B) – 20 octobre 2024

La demande de Jacques et de Jean : Marc 10, 35-45
Les lectures : Isaïe 53, 10-11 ; Psaume 32 (33) ; Hébreux 4, 14-16
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Jacques et Jean, deux frères disciples de Jésus, viennent vers lui afin de lui faire une demande très spéciale, en l’occurrence, celle d’occuper une place de choix, à ses côtés, dans le Royaume. Comment expliquer une telle requête à ce moment précis ? Une requête qui, d’ailleurs, suscitera un échange, de prime abord, obscur entre les deux frères et Jésus. Il faut remettre cet échange en contexte pour en avoir une saine compréhension.

Par contre, en deuxième partie du texte de Marc, on assiste à l’indignation des autres disciples à l’égard des deux frères. Jésus saisit alors l’occasion pour rétablir les valeurs véritables qui doivent prédominer quand il s’agit d’établir une sage relation entre la grandeur et le service.

Une remise en contexte

À l’époque où Jésus exerce sa mission terrestre, une vive espérance anime le peuple d’Israël, à savoir que le Règne de Dieu est sur le point d’être établi [1]. Une espérance qui s’avèrera un sujet prédominant de la prédication de Jésus. Une espérance qui, cependant, sera comblée d’une manière inopinée, considérant que ce Règne ne sera assumé par Jésus, Christ, qu’au moment où il sera fait Seigneur dans la résurrection. Il s’agira alors d’un redressement de perspective tout à fait inattendu de la part du peuple.

Mais tout d’abord, il faut comprendre la résurrection de Jésus comme approbation intégrale de Dieu à l’égard de tout ce qu’il a fait et proclamé. Il a été le parfait Messager de Dieu et en conséquence, c’est en Jésus ressuscité que s’établira effectivement le Règne espéré, un Règne universel qui sera exercé à partir de l’au-delà. Ceci étant, on conçoit alors que c’est en suivant ses traces que l’on accomplit la volonté de Dieu.

Au moment où les deux disciples formulent leur demande quant à la place qu’ils souhaitaient occuper lors de l’établissement du Règne, on ne pouvait encore soupçonner ce qu’en serait finalement la nature et la dimension. En fait, on croyait fermement qu’il serait établi sur terre, selon le modèle avec lequel on était familier dans le monde de l’époque, celui où le fait de siéger à la droite et à la gauche du roi représentait des positions de grand prestige. C’est ce que réclamaient donc Jacques et Jean, c’est-à-dire d’être associés à l’autorité de Jésus quand le Règne serait établi. Jésus saisit alors l’occasion pour les rappeler à l’ordre.

Une judicieuse mise au point de la part de Jésus

Dès le départ, la réplique de Jésus à l’endroit des deux disciples les replace devant leur ignorance : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, être baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé ? » D’une part, dans l’Ancien Testament, la coupe est souvent présentée comme le symbole de la souffrance [2] ; d’autre part, le terme ‘baptême’ se veut une traduction littérale du mot ‘immersion’. Ainsi, en évoquant la coupe qu’il devrait boire et le baptême dans lequel il serait plongé, Jésus faisait référence au supplice et à la mort qu’il anticipait déjà.
           
L’enseignement de Jésus aux disciples relativement à l’humilité à laquelle il les invitait avait d’ailleurs été plus d’une fois répété. À cet égard, que l’on se souvienne de l’une de ses paroles reprise en Marc 9,35 : Et s’étant assis, il appela les Douze et leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, il devra être le dernier de tous et le serviteur de tous ». Jésus avait illustré encore plus concrètement son propos en plaçant un petit enfant au milieu d’eux (Marc 9,36-37). Le pouvoir devait donc s’afficher dans un service, lequel devait se montrer attentif aux personnes les plus fragiles, celles qui avaient plus particulièrement besoin d’être protégées et défendues. Ainsi, ce n’est pas l’attachement au pouvoir qui doit prédominer, mais le service implicitement associé à la fonction d’autorité.

Être serviteur, une marque de grandeur !

L’indignation des autres disciples, qui avaient entendu les propos de Jacques et de Jean, semblerait indiquer qu’ils avaient mieux intégré les instructions de Jésus quant au rôle que devaient assumer ceux en position d’autorité. Jésus avait alors poursuivi en donnant l’exemple des chefs des nations qui commandent en maitres, ceux-ci étant davantage préoccupés par la soif d’être servis que par le devoir de servir. Il affirmait clairement qu’il ne devait pas en être ainsi de la part de ses disciples. « Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. » Pour intégrer adéquatement cette leçon, ses disciples devaient modeler leur agir sur celui de Jésus, afin de travailler à la libération des gens et non leur asservissement. D’ailleurs, Jésus s’appliquait personnellement cette directive : « Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir ». Comment alors pourrait-on se dire disciple de Jésus autrement qu’en se mettant au service de ses semblables ?

Ce passage évangélique se termine par une parole extrêmement importante de Jésus, laquelle n’a toutefois pas toujours donné lieu à une juste interprétation : celle où il affirme que le Fils de l’homme est venu pour donner sa vie en rançon pour la multitude. Rappelons simplement que la rançon était le prix de rachat d’un esclave. Mais cette parole de Jésus a plutôt été régulièrement interprétée comme si c’était la somme de ses souffrances liées à sa mort en croix qui auraient valeur de rachat pour l’humanité.

En fait, la mort de Jésus en croix était la conséquence de sa contestation d’un régime oppresseur exercé par les autorités juives de son pays. Il dénonçait avec véhémence autant les fardeaux imposés aux petites gens que l’orgueil affiché par les dirigeants religieux. Rien n’a pu freiner son engagement à répandre ce qu’il considérait être la volonté de son Père. Il savait pertinemment qu’un tel engagement de sa part ne pourrait être toléré par les autorités abusives et que ces dernières n’hésiteraient pas à réclamer sa mort pour le faire taire. Bien que sachant cela, Jésus acceptait néanmoins « de donner sa vie en rançon » pour le salut du peuple qui, dans une certaine mesure, vivait sous un régime de servitude exercé par les dirigeants en place. Si la mort avait été la dernière étape de son parcours, les autorités d’alors auraient été satisfaites de s’être débarrassées d’un ‘fauteur de trouble’. Mais Dieu, en le rendant à la vie, marque son approbation à l’endroit de Jésus, tout en portant un jugement accusateur envers ceux qui l’ont condamné.

Conclusion

De tout ce qui précède, on peut conclure que la véritable façon de vivre sa foi chrétienne est de sans cesse se rappeler ce qu’ont été les choix de Jésus, de l’œil ouvert qu’il a gardé sur les dirigeants de son peuple, sur la façon dont il a compris la volonté de Dieu pour l’humanité. La seule façon de vivre sa foi chrétienne est de modeler sa vie sur celle de Jésus, même si cela doit entrainer certaines contestations et même certaines désobéissances à l’endroit des autorités en place, qu’elles soient civiles ou religieuses.

Odette Mainville est auteure et professeure honoraire de l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal.

[1] Cette espérance est clairement exprimée par Paul, comme en font foi deux passages tirés de ses lettres : 1 Thessaloniciens 4,15 ; 1 Corinthiens 15,51.
[2] Voici un exemple tiré d’Isaïe 51,22 : Ainsi parle le Seigneur Yahvé, ton Dieu, qui défend la cause de son peuple : Voici que je prends de ta main la coupe du vertige; le calice de ma fureur, tu ne le boiras plus désormais.

Source : Le Feuillet biblique, no 2861. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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