La guérison de l’aveugle. Robert, Hodgell, c. 1960. Linogravure, 53 x 68,5 cm (image : marché des antiquités).

L’importance de voir clair !

Christiane Cloutier DupuisChristiane Cloutier Dupuis | 30e dimanche du Temps ordinaire (B) – 27 octobre 2024

Guérison de l’aveugle Bartimée : Marc 10, 46-52
Les lectures : Jérémie 31, 7-9 ; Psaume 125 (126) ; Hébreux 5, 1-6
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

On peut présenter cette péricope comme un drame théâtral en un acte avec un rédacteur nommé Marc, des personnages qui sont Jésus, les disciples, la foule, Bartimée et une action précise : une demande de guérison par un mendiant à un guérisseur.

La scène se passe à la porte de la ville de Jéricho. Jésus est entouré de ses disciples et de la foule. Bartimée, aveugle et mendiant de métier, est assis sur le bord du chemin. Il ne voit rien, mais il entend. Il distingue le bruit de la foule : conversation, rires, murmures, enfants qui jouent. Il s’informe ; on lui apprend que c’est Jésus de Nazareth qui sort de Jéricho et va vers Jérusalem. À peine a-t-il entendu qu’il se met à hurler (en gr. hurler, crier) : « Fils de David, aie pitié de moi ! » C’est pour cela qu’ils le menaçaient pour le faire taire. C’est dérangeant d’entendre crier et de voir quelqu’un ne pas tenir sa place. Mais lui criait de plus belle : « Fils de David aie pitié de moi ». Jésus l’entend. Marc raconte : S’arrêtant, Jésus dit : « Appelez-le ». Et on l’appelle et on lui dit : « Courage ! Debout ! Il t’appelle ! ». Malgré sa cécité, rejetant son manteau, il vint d’un bond près de Jésus. C’est évident qu’il ne voit rien. Et pourtant, s’adressant à lui, Jésus dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » « Rabbouni, que je recouvre la vue ». Et Jésus lui dit : « Va ; ta confiance t’a guéri ». Et aussitôt il recouvra la vue... et il le suivait sur le chemin.

1. L’écoute

Jésus, la foule et les disciples marchent sur le chemin. Bartimée, lui, est « assis sur le bord du chemin ». Il ne fait pas partie du monde. Il en est exclu. Il est le différent : à cause de cela, il ne peut être en marche. Il est en arrêt. Il est en dehors. Il n’est pas sur le chemin, mais au bord... Il est là, à écouter passer le convoi, incapable de se joindre à lui. Il est disjoint du groupe. La vie passe devant lui mais il ne peut la saisir car il ne voitpas ! Pour lui, tout est danger et en même temps, il est danger pour tous parce qu’aveugle et impur pour les autres. Malgré lui, il ne peut s’intégrer. Cela aussi, c’est une noirceur...

2. Bartimée crie

Bartimée fait la seule chose qui lui reste encore possible : crier. Bartimée crie. À pleins poumons. Il se mit à crier : il n’a pas seulement parlé ou murmuré, il crie. C’est un appel « au secours » et pas à n’importe qui : « Fils de David, Jésus, aie pitié ». Il devient dérangeant mais il devient aussi menaçant par son interpellation. Comment ose-t-il qualifier Jésus ainsi, lui qui ne voit rien ? Et comment ose-t-il l’aborder ainsi, lui l’impur, le pouilleux ?

Alors nous dit Marc, beaucoup le menaçaient pour le faire taire. Mais l’énergie du désespoir, l’heure de la dernière chance le poussait à crier de plus belle « Fils de David, aie pitié de moi » ! Plus rien ne peut l’arrêter car cet homme est sa bouée de secours, sa planche de salut ! Alors Jésus qui l’a entendu, s’arrête et dit : « Appelez-le ».

3. Le silence

On a l’impression subitement de pouvoir entendre voler une mouche. Comme si au milieu du tintamarre, un silence de plomb était subitement tombé. Sinon... comment expliquer ce revirement subit de l’entourage de Jésus, ce changement de conduite ? On appelle alors l’aveugle, et on lui dit : « Courage ! Debout ! Il t’appelle ! ». Curieux cela aussi. Du courage ? Il en avait eu pourtant. C’est lui qui persistait à crier malgré leurs menaces. S’agirait-il alors, d’un autre courage ? Celui de faire face aux purs, à la foule, au monde dont il est exclu ? Peut-être ou bien… serait-ce de se mettre debout, lui qui est assis depuis si longtemps ? Ou encore serait-ce de répondre à l’appel ? N’était-ce pas ce qu’il voulait : attirer l’attention, se faire remarquer ? Mais se faire remarquer par Jésus serait-il différent de se faire appeler par lui ? Dans le même verset 49, on répète trois fois le verbe « appeler ». Ce n’est pas un hasard. C’est le même verbe utilisé par Marc pour décrire l’appel de Jésus aux disciples. On peut se demander aussi qui se cache derrière cette interpellation de courage face à l’appel ? Serait-ce Marc pour les nouveaux disciples que sont devenus les chrétiens de sa communauté à cause de la persécution de Néron en 66 ap. J.-C. ?

4. La réponse à l’appel

Rejetant son manteau, il vint d’un bond. Son manteau, c’est tout ce qu’il a, son unique bien et les nuits sont froides en Israël. Mais pour aller plus vite, pour ne pas s’enfarger, il se dépouille de son manteau. Or le manteau est un bien si précieux qu’une règle du Lévitique interdit à tout prêteur d’enlever le manteau à celui qui lui doit. Qu’est-ce que cela veut dire ici, dans ce contexte ? Pourquoi Marc souligne-t-il ce détail ? Et que signifie ce manteau pour nous en 2024 ? De quoi doit-on se dépouiller aujourd’hui comme disciple pour suivre Jésus ?

Voilà qu’un homme assis au bord du chemin se lève debout et se met en marche uniquement à cause de l’appel de Jésus. Celui-ci lui dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Étrange question ! C’est pourtant évident qu’il doit vouloir voir ! Pourquoi lui demander ? Serait-ce la façon de Jésus de respecter sa personne ? De l’amener à exprimer son désir, de verbaliser son besoin ? On sait l’importance en psychanalyse d’être capable de verbaliser ce qui fait mal, ce qui fait souffrir pour pouvoir amorcer une guérison. « Rabbouni, que je recouvre la vue ! » Recouvrer ? Il a donc déjà vu ! Bartimée retrouve un bien perdu, bien qui l’excluait de la société ! Bien qui lui permettra de voir mais aussi de discerner, de travailler, d’appartenir au corps social, économique et religieux.

« Va, ta confiance t’a guéri (trad.. litt.) ». Curieusement Jésus n’a posé aucun geste ni prononcé aucune parole pour le guérir. Il lui confirme plutôt que c’est sa confiance (pistis, gr. signifie d’abord confiance) à lui qui l’a guéri/sauvé (sozein signifie d’abord guérir). C’est la confiance en Jésus comme Messie guérisseur qui a poussé Bartimée à crier après lui. La guérison est un salut. C’est le Règne de Dieu qui arrive par le corps. C’est la façon qu’avait Jésus d’accréditer sa proclamation de l’arrivée du Règne de Dieu.

5. Les conséquences

Bartimée voit : mais auparavant il a d’abord reconnu par l’écoute le Messie, puis l’a supplié d’avoir pitié de lui et finalement la lumière a jailli. Il a retrouvé la vue et est redevenu un « pur ». Il peut maintenant marcher sur le chemin de la vie sans danger, travailler, aller de nouveau à la synagogue, vivre pleinement. Et il le suivait sur le chemin. Nouveau chemin. Nouveau parcours de vie. Bartimée suit maintenant Jésus sur son chemin à lui. Il va l’accompagner en sachant qui il suit. Il l’a reconnu Messie et Jésus ne l’a pas fait taire. Il y a de grosses chances que rendu à Jérusalem, au lieu de crier « crucifiez-le » avec la foule, il s’opposera à sa condamnation et se taira sachant que cet homme est bien le « choisi », « l’Élu », celui qui a reçu l’onction pour redonner la vue aux aveugles (Luc 4,18e).

Actualisation

1. Et moi là-dedans ? Où suis-je sur ce parcours de vie ?
Suis-je assis/e au bord du chemin ?
 Ai-je peur de me lever, de me tenir debout ?
Est-ce que je suis capable d’écouter la Parole et d’entendre ce qu’elle a à me dire ? Surtout, est-ce que je suis capable de reconnaître le Ressuscité quand il passe ou traverse ma vie ?
À travers des événements, des personnes, mon travail, un beau moment, un voyage, etc.
Est-ce que je réfléchis sur la qualité de ma confiance/foi en Jésus ?
Sur ma sorte de confiance/foi ? Pieuse, infantile ? Ou vivante, capable de déclencher une nouvelle façon de voir, de faire, d’entendre ? Capable de vaincre mes peurs, de me faire avancer, d’ouvrir un autre chemin ?

2. Nous questionnons-nous parfois face à notre liste d’impurs officiels, exclus d’une ou de pratiques religieuses dépendant de nos légistes catholiques ?

Les trouvons-nous osés, effrontés de penser que Dieu les entend, qu’il les appelle et qu’ils répondent, eux aussi à leur façon à l’appel ? Et que Jésus leur dise : « va, ta foi t’a guéri »! 

Formatrice spécialisée en études bibliques, Christiane Cloutier Dupuis détient un doctorat en Sciences religieuses (option Exégèse) de l’UQÀM.

Source : Le Feuillet biblique, no 2862. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

Célébrer

Célébrer la Parole

Depuis l’automne 2017, le Feuillet biblique n’est disponible qu’en version électronique et est publié ici sous la rubrique Célébrer la Parole. Avant cette période, les archives donnent des extraits du feuillet publiés par le Centre biblique de Montréal.